CENTRAFRIQUE : TOUADERA : LE DOUTE
Bangui, le 17 octobre 2017.
Par : Joseph Akouissonne, CNC.
UN PRÉSIDENT AU PIED DU MUR
Selon l’adage : « c’est au pied du mur qu’on reconnaît le maçon.» Le président Touadera est au pied du mur de la maison Centrafrique, qu’il tente de rebâtir. Mais la règle à niveau indique une tendance à l’irrégularité. Le mur penche et menace de s’écrouler. Le doute sur la solidité de la construction s’installe. Les Centrafricains sont inquiets.
L’intrusion spectaculaire des séditieux dans le nouveau gouvernement Sarandji et à la présidence de la République relève d’un calcul politique dangereux, susceptible de mener le pays dans une impasse. C’est un reniement de la parole donnée. Pourtant, Il n’y a pas si longtemps, le président Touadera promettait aux rebelles convaincus de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, qu’ils comparaîtraient devant la Cour Spéciale de Bangui pour répondre de leurs forfaits. Qu’aucune impunité ne saurait être accordée aux criminels de guerre.
Mais voilà qu’à la surprise générale, après les avoir nommés ministres du gouvernement Sarandji, Touadera fait entrer d’autres responsables ex-Sélékas à la Présidence comme conseillers ! Les Centrafricains ne sont-ils pas en droit de s’interroger sur ces nominations intempestives et choquantes ? Qu’en pensent l’ONU et la France ? Ont-elles obligé Touadera à appliquer les résultats de leurs palabres secrètes avec les séditieux ? Pourquoi, dans la cohorte de conseillers à la présidence de la République, ne s’en est-il pas trouvé un pour dire au Président Touadera qu’il faisait fausse route et risquait de perdre la confiance des Centrafricains ?
L’immense espoir soulevé par son élection a laissé place à une grande déception, empreinte de colère. L’impunité des assassins qui se profile à l’horizon est révoltante et inacceptable. La préoccupation des chefs rebelles est, justement, en premier lieu, de se soustraire aux sanctions de l’ONU et à une comparution devant la Cour Spéciale de Bangui. Leurs ruses redoutables fonctionnent grâce à la « naïveté » supposée des autorités de Bangui, qui commencent à leur remettre les clés du Palais de la Renaissance. Qui peut croire à la sincérité de bandes armées aux abois, qui refusent, depuis trois ans, de se désarmer et de se rendre à la table de négociation pour la paix (SIRIRI) et la réconciliation nationale ? Qui peut croire à l’accord de cessez-le-feu signé par Ali Darass et Nourredine Adam ? Ce n’est qu’une mascarade pour se partager les provinces minières et poursuivre leurs violences sanglantes sur les populations. Ce n’est rien d’autre qu’un somnifère destiné à endormir l’opinion internationale et centrafricaine, un leurre pour tenter d’échapper aux accusations de crimes contre l’humanité lancée par l’ONU.
Depuis l’entrée spectaculaire des chefs rebelles au gouvernement et à la Présidence de la République, la violence n’a fait que redoubler dans les provinces sous leur férule. Autant dire que les errements du gouvernement, les accords négociés dans le secret avec ces bandits de grands chemins risquent, malheureusement, de prolonger le calvaire des Centrafricains. Il n’est pas supportable de savoir qu’au sommet de l’état, siègent désormais les bourreaux du peuple.
LE SURPRENANT SILENCE DE L’OPPOSITION ET DES DEPUTES
Devant la gravissime décision de nommer des responsables sélékistes ministres et conseillers à la présidence de la République, l’aphonie des leaders de l’opposition et des députés, d’habitude si prompts à critiquer les actions du gouvernement, est stupéfiante : on dirait qu’ils se murent dans un silence assourdissant. Pas un commentaire. Pas une prise de position devant ce qui ressemble à un coup d’état à froid des Sélékas, bourreaux du peuple centrafricain. On aurait espéré entendre les politiciens de ce pays émettre leur opinion. Mais rien n’est venu, alors que la situation de la Centrafrique exige la participation de tous.
LES HANDICAPS DE LA COLONISATION
Le risque est grand pour que le pays soit démembré. Il est désormais avéré que la République Centrafricaine est victime des forces obscures qui agissent dans l’ombre. Qui tirent les ficelles de ce théâtre machiavélique. Les metteurs en scène de cette tragédie sont certaines puissances internationales ayant de puissants relais à Bangui. Tout se passe comme si nous étions encore sous la colonisation, avec des agents de sociétés concessionnaires brutaux, inhumains et cupides. Les révoltes des populations contre la répression des colons étaient alors nombreuses, mais, à chaque fois, réprimées dans un bain de sang. Aucun média français de l’époque ne rapportait cette tragédie. Après tout ce n’était que des Nègres et c’était loin, extrêmement loin, perdu au centre de l’immense continent… La décolonisation a laissé un pays exsangue, dépourvu de structure administrative et de fonctionnaires formés. Les colons blancs, convaincus de leur supériorité raciale, infantilisaient les Oubanguiens, qui devenaient alors des assistés.
Les conséquences de cette infantilisation handicapent encore les mentalités en R.CA. Comment comprendre qu’à la moindre difficulté les autorités centrafricaines appellent la France au secours ? Comment comprendre que c’est l’ancienne puissance coloniale qui assure les fins de mois des fonctionnaires d’un pays devenu indépendant et souverain ? Les élites du pays sont prisonnières d’un complexe d’infériorité, qui abîme leur patriotisme. On ne le répétera jamais assez : un état sans une armée bien équipée ne peut pas défendre ses populations ni garantir l’intégrité de son territoire. Les rebelles peuvent défier tous les jours les autorités légitimes. Car ils connaissent la faiblesse d’un pays désarmé et sous tutorat.
Aussi longtemps que ces situations perdureront, il est à craindre que la République Centrafricaine demeure dans une cruelle incertitude.
JOSEPH AKOUISSONN