Bangui, République centrafricaine, samedi, 9 janvier 2021 (Corbeaunews-Centrafrique). Il est de notoriété absolue que la République centrafricaine traverse des moments les plus pénibles et sombres de son histoire politique. Organiser des élections groupées dans un climat d’insécurité entretenu par les groupes armés non conventionnels est un enjeu et à la fois un défi majeur du quinquennat alors que l’armée nationale est en totale reconstruction et de surcroît sous embargo du Conseil de sécurité de l’ONU.
Après le fameux accord de Khartoum négocié aux forceps suivi d’une accalmie relative depuis 2018, les incursions punitives des groupes armés coalisés sous l’impulsion du général Bozizé montent en puissance et mettent à mal le processus électoral qui avait déjà du plomb dans l’aile. Après le rejet par la cour constitutionnelle de la demande de report formulée par une frange de l’opposition démocratique, les élections présidentielles et législatives ont finalement été organisée le 27 décembre sur une partie du territoire national.
De nombreuses irrégularités parfois flagrantes ont été relevées entachant ainsi la crédibilité et la légitimité du scrutin groupé. L’on signale les bourrages massifs des urnes, le nombre particulièrement important de vote par dérogation, la conservation des urnes par les forces onusiennes, un électeur sur deux n’a pu voter, la modification des procès-verbaux de vote, la somme des pourcentages attribués aux candidats qui dépasse 100% et que l’Autorité Nationale des Élections a corrigé après la prise de conscience, la destruction de certains matériels électoraux par les groupes armés non conventionnels et surtout le taux de participation annoncé qui ne correspond pas au nombre de votants sachant que le corps électoral était initialement estimé à 1,8 million d’électeurs inscrits sur la liste électorale définitive.
Conformément aux dispositions de l’article 120 du code électoral, une dizaine de candidats y compris les membres de la Coalition de l’Opposition Démocratique COD 2020 ont demandé l’annulation et la reprise des élections groupées du 27 décembre 2020. Débordée par les requêtes et conformément aux dispositions de l’article 98 de la constitution, la cour constitutionnelle est tenue de statuer et de délibérer sur tous les recours.
Préoccupé par la représentativité et la légitimité d’une telle élection, le citoyen lambda s’interroge :
La cour constitutionnelle va t-elle valider une élection qui ne respecte pas les standards internationaux et surtout dénoncée par la majorité de l’opposition ? Le pouvoir mesure t-il le risque évident inhérent à la tension post-électorale ? Le lapsus du président de l’ANE créditant un candidat de 31% au lieu de 21% est-il révélateur de fraude ?Le pouvoir attend t-elle toujours des injonctions de la communauté internationale pour tenter une décrispation de la situation ? La détermination du peuple à exercer son droit de vote donne t-il le privilège au pouvoir de manipuler les résultats ? En d’autres termes, la détermination du peuple à voter synonyme du rejet de la violence est-elle une aubaine pour le pouvoir d’imposer au peuple l’inacceptable ?
Quelle est la part de responsabilité de la communauté internationale dans ce fiasco électoral ?
Depuis la sortie médiatique du président de la république déclarant que « la république est en guerre », couplée avec l’ouverture d’une enquête contre le général Bozizé pour rébellion, peut-on affirmer que la justice centrafricaine est aux ordres ? Dans la suite logique d’idée, peut-on aussi faire confiance à la cour constitutionnelle de dire le droit ? Le peuple a certes demandé les élections mais pas un passage en force suivi d’arrestations, d’enlèvements et de nettoyage d’une ethnie. En conséquence de ce qui précède, nous invitons le pouvoir à la vigilance contre des comportements isolés des milices ou sbires incontrôlés du pouvoir. L’avenir de la jeune démocratie centrafricaine est ainsi intimement lié à la décision de la cour constitutionnelle.
Nous osons espérer que les sages de la cour constitutionnelle dans la plénitude de leur composition collégiale diront le droit et rien que le droit sans se soucier de l’organisme qui va financer les nouvelles élections en cas d’annulation…ne perdons surtout pas de vue que c’est la démocratie centrafricaine qui est l’heureux gagnant du processus électoral.
Mais attention, ne le dites à personne. Si on vous demande, ne dites surtout pas que c’est moi.
Paris le 8 décembre 2020.
Bernard SELEMBY DOUDOU.
Juriste, Administrateur des élections.
Tel : 0666830062.