La République centrafricaine est plongée dans un funeste conflit intercommunautaire qui divise la population et laisse planer le scénario d’un nettoyage ethnique des musulmans du pays. Préférant les instruments aux AK-47, des artistes tentent d’enterrer de leurs rythmes le bruit d’un chaos meurtrier. Quand les cigales centrafricaines chantent la réconciliation.
Le soleil se couche derrière la colline de la Panthère qui surplombe le centre-ville de Bangui. Chaque soir, les coupures d’électricité plongent la capitale dans la noirceur. Les résidants entrent dans leurs quartiers respectifs et les militaires de la Mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine (MISCA) — cette mission de maintien de la paix autorisée par l’ONU — établissent des barrages routiers sur les principales artères.
Alors que des coups de feu résonnent près des quartiers chauds, écho lointain d’un conflit qui ne finit plus de durer, une musique entraînante émane d’un petit bar situé sur une sombre route de terre. Les rythmes joyeux des instruments se mêlent aux vrombissements de la génératrice et à l’odeur d’essence que cette dernière crache. Depuis le début du conflit, en mars 2013, faute de salles de spectacles, les artistes performent dans des lieux publics.
« Le conflit a eu un effet dévastateur sur les rares organismes qui soutenaient la production et la diffusion de l’art et de la culture », note Constantin Ngoutendji, animateur et producteur d’émissions culturelles à Ndeke Luka, une radio locale qui diffuse en français et en sango, langue véhiculaire du pays. Après la vérité, la culture est certainement l’une des premières victimes de cette guerre civile.
Triste symbole d’une culture écrasée par les affrontements entre groupes rebelles et milices d’autodéfense, le musée national de Bangui, situé à un jet de pierre du centre-ville, a aujourd’hui des allures de maison hantée. Ce qui fut la résidence du père de la nation Barthélémy Boganda a été saccagé et pillé par les forces rebelles de la Séléka, à l’origine du coup d’État de mars 2013, souligne Constantin Ngoutendji. Aujourd’hui, il ne reste plus que la charpente de béton et des éclats de vitre et de pierres éparpillés au pied de l’établissement.
En survie culturelle
« À partir de l’arrivée de la Séléka, ç’a été un gâchis total », laisse gravement tomber As- Kotangbanga. Dans un café, le rappeur et slameur raconte que la déferlante de violences a contraint les centres de diffusion comme l’Alliance française à fermer leurs portes. D’autres, comme le Centre protestant pour la jeunesse et l’Espace culturel Linga Téré, ont été vandalisés.
« Aujoud’hui, même si les rebelles de la Séléka ont été repoussés, nous sommes toujours dans une sorte de sécheresse culturelle et artistique », poursuit-il. Car voilà, à l’instar de nombreux Centrafricains, plusieurs artistes ont fui la capitale et ses violences pour se réfugier en région ou dans les pays frontaliers : Cameroun, Tchad, République démocratique du Congo (RDC). Plus ou moins 250 000 Centrafricains auraient quitté le pays et près du quart de la population serait déplacée, soit entre 600 000 et un million de personnes.
Triste constat, déplore As-Kotangbanga. L’artiste précise que le conflit — troisième guerre civile en moins d’une décennie — n’a fait qu’accentuer un déclin culturel déjà existant. Depuis l’indépendance du pays en 1960, les coups d’État, la présence de régimes militaires et l’établissement de politiques répressives, les pillages et les exactions contre la population ont étouffé l’émergence de ce qui aurait pu être une vie artistique forte et rassembleuse.
Et c’est la survie et le développement de l’identité centrafricaine qui est en jeu, selon Constantin Ngoutendji. « Les jeunes artistes ne côtoient pas souvent des artisans plus expérimentés, ce qui leur permettrait d’avancer. Les plus professionnels d’entre eux ont pour la plupart quitté le pays. Cet échange entre générations ou entre artistes qui débutent et d’autres plus expérimentés n’existe pas réellement. »
Moteur de réconciliation
Un conte du pays raconte que l’invention de la harpe viendrait d’un guerrier inspiré par les vibrations de la corde de son arc. À l’instar de cette légende, les artistes centrafricains pourraient-ils s’inspirer positivement des concertos d’armes à feu et requiem de leurs proches qui résonnent toujours sur son territoire ? C’est la voie que semblent vouloir emprunter nombre d’artistes.
En cet après-midi ensoleillé de juin, des danseurs et des chanteurs se donnent rendez-vous à l’entrée du Stade de football de Bangui. Le coeur est à la fête et une centaine d’adolescents chantent et applaudissent. « Nous avons la responsabilité d’envoyer un message de réconciliation pour que la Centrafrique retrouve la paix », dit l’un des organisateurs de cet événement qui se veut un drapeau blanc brandi par des artistes de la capitale.
Les performances artistiques au nom de la paix se multiplient. En avril, le groupe Génération afro-acoustique s’est réuni à l’hôtel Azimut pour chanter des pièces comme Cessez le feu et La Centrafrique attend toujours. À l’occasion, l’ambassade de France et le Conseil national de transition de la Centrafrique ont remis l’équivalent de 13 000 $CAN afin que le groupe puisse entamer une tournée au Cameroun, au Congo-Brazzaville et en France pour chanter la paix en Centrafrique.
Le rappeur Crépin « le Guerrier » Azouka — de retour à Bangui après une fuite de quelques mois en RDC — estime que l’aide gouvernementale sera nécessaire pour faire rayonner la culture. « Peut-être que nous serions plus au courant de ce qui se déroule ici si nous avions, par exemple, des chanteurs qui rayonnaient davantage à l’international et devenaient les porte-parole de la population du pays. »
Des regroupements d’artistes ont récemment entamé des discussions pour obtenir l’appui du gouvernement. Mais dans un pays où 2,5 des 4,5 millions de Centrafricains ont besoin d’aide humanitaire, où des centaines de milliers de personnes s’entassent dans des camps de déplacés éparpillés dans la ville et où l’espérance de vie n’atteint pas 50 ans, il y a fort à parier que l’investissement en culture ne sera pas la priorité. « Et pourtant, nous ne devons pas l’oublier pour autant », estime Constantin Ngoutendji.
Le devoir