La RCA à vendre : Enquête au cœur d’un État où tout s’achète…

Par la rédaction de Corbeau News Centrafrique, CNC.
Un matin de mars 2023, le Président Touadera, dans un rare moment de franchise, laisse tomber une phrase qui résonne comme une bombe à retardement : « Les masses d’argent qui devraient aller au Trésor Public vont dans les poches des tiers ». Ces mots, rapportés par Élie OUEIFIO dans son ouvrage percutant La RCA doit-elle toujours dépendre des autres ? (août 2024), ne sont pas une simple anecdote. Ils sont le cri d’un chef d’État qui, volontairement ou non, met à nu une vérité que tout le monde connaît mais que peu osent nommer : en République centrafricaine (RCA), la corruption n’est plus une dérive, c’est le moteur même de l’appareil public.
En effet, du plus modeste guichet administratif aux contrats publics les plus colossaux, tout se vend, tout s’achète, dans une mécanique si bien huilée qu’elle en devient presque banale. Cet article plonge dans les entrailles de ce système, explore ses rouages, ses acteurs, ses conséquences et les espoirs fragiles d’un changement qui tarde à venir.
Une administration transformée en marché géant
Imaginez une République centrafricaine où chaque interaction avec l’État est une transaction commerciale. À Bangui, dans les administrations aux murs lézardés, le citoyen n’est pas un usager, mais un client, ou plutôt une proie. Un simple extrait de naissance, document pourtant indispensable, devient une odyssée coûteuse. Les frais officiels sont une façade : pour obtenir le précieux papier, il faut glisser un billet supplémentaire au fonctionnaire, qui vous regarde avec un sourire entendu en disant : « C’est comme ça ici ». Refusez, et votre dossier risque de s’égarer mystérieusement dans un dédale de tiroirs, ou d’être relégué à une attente interminable. Ce n’est pas un cas rare, mais une pratique quotidienne, presque ritualisée, qui s’étend à tous les niveaux.
Montez d’un cran, et le tableau devient encore plus sombre. Les marchés publics, censés améliorer les infrastructures ou les services, se transforment en festins pour les initiés. Les appels d’offres sont truqués avant même d’être lancés, les entreprises fictives pullulent, et les fonds publics s’évaporent dans des projets qui ne voient jamais le jour ou qui coûtent dix fois leur valeur réelle. Un pont à moitié construit, une école promise mais jamais achevée, des routes qui s’effritent avant d’être terminées : ces vestiges de la corruption sont visibles partout, comme des cicatrices sur le paysage centrafricain.
Ce système n’est pas anarchique ; il est organisé, structuré, presque hiérarchique. En haut, les décideurs, ministres, directeurs, proches du pouvoir, orientent les flux financiers vers leurs réseaux. Au milieu, les cadres administratifs, tels des courtiers, facilitent les arrangements, négocient les dessous-de-table et veillent à ce que les profits soient bien répartis. À la base, les petits fonctionnaires, mal payés et démotivés, se servent directement sur la population, transformant chaque démarche en une opportunité de survie. C’est une pyramide où chacun, à son niveau, trouve son compte, au détriment d’un pays qui s’effondre sous le poids de cette prédation.
Une culture de la corruption enracinée
Ce qui rend ce phénomène si terrifiant, c’est son enracinement profond dans les pratiques et les mentalités. La corruption en RCA n’est pas une anomalie ; elle est devenue une culture, un mode de fonctionnement accepté, voire attendu. Les nouveaux employés de l’administration, souvent jeunes et idéalistes au départ, sont rapidement pris en main par leurs aînés. Dès leur arrivée, on leur explique « le système » : les tarifs officieux, les combines pour détourner une part des recettes, les silences à garder. Refuser de jouer le jeu, c’est s’exposer à des représailles, une mutation punitive dans une province reculée, un harcèlement discret mais incessant, ou une mise à l’écart qui rend le quotidien invivable. La plupart cèdent, non pas par avidité, mais par nécessité ou par peur.
Avec le temps, cette normalisation a donné naissance à tout un écosystème. Un vocabulaire spécifique s’est développé pour masquer la réalité : on parle de « coup de main », de « reconnaissance » ou de « frais de traitement accéléré » pour éviter le mot tabou, « pot-de-vin ». Les tarifs sont connus de tous, presque affichés dans l’inconscient collectif : tant pour un certificat, tant pour une signature, tant pour éviter un contrôle. Même les citoyens, résignés, intègrent ces pratiques dans leur quotidien, au point que payer pour un service devient une évidence, un rite de passage.
Les salaires dérisoires des fonctionnaires servent d’excuse parfaite. Dans un pays où les agents publics attendent parfois des mois pour toucher une paie misérable, la corruption apparaît comme une bouée de sauvetage. « Comment vivre avec 30 000 FCFA par mois quand tout augmente ? » se défend un employé des douanes interrogé par OUEIFIO. Cette justification, bien que compréhensible à l’échelle individuelle, cache une vérité plus cruelle : ce système ne profite pas également à tous. Si les petits agents extorquent quelques billets pour survivre, les gros bonnets, eux, amassent des fortunes, bâtissant des villas ostentatoires pendant que le pays s’enfonce dans la misère.
Les grands prédateurs et leurs festins
À un niveau supérieur, la corruption prend des proportions industrielles. Les détournements de fonds publics ne se comptent plus en milliers, mais en millions, voire en milliards de FCFA. Les budgets alloués à la santé, à l’éducation ou aux infrastructures disparaissent dans des circuits opaques, alimentant des comptes offshore ou des projets personnels. Les marchés publics sont le terrain de jeu favori des grands prédateurs : des contrats surfacturés sont attribués à des entreprises liées au pouvoir, des travaux fictifs sont facturés à prix d’or, et des recrutements bidons gonflent les effectifs de l’administration avec des « employés » qui ne mettent jamais les pieds au bureau.
Un exemple frappant, souvent évoqué dans les cercles informels de Bangui, est celui des « projets fantômes ». Une route est annoncée avec fanfare, un budget est voté, des fonds sont débloqués… et puis rien. Ou presque : une piste à peine tracée, abandonnée aux premières pluies, tandis que l’argent a mystérieusement disparu. Ces pratiques ne sont pas des accidents ; elles sont le fruit d’une complicité organisée, où chaque maillon de la chaîne – du ministre qui approuve le projet au comptable qui ferme les yeux – touche sa part du butin.
Un pays qui paie le prix fort
Les conséquences de cette corruption endémique sont dévastatrices, tant sur le plan économique que social. L’économie centrafricaine, déjà fragile, est saignée à blanc. Les recettes fiscales, qui devraient financer les services publics, s’évaporent avant d’atteindre les caisses de l’État. Les investisseurs étrangers, pourtant attirés par les ressources naturelles du pays – diamants, or, bois –, hésitent à s’engager dans un environnement où la transparence est un mirage. Résultat : le développement stagne, les infrastructures s’effritent, et les services de base, comme l’accès à l’eau ou à l’électricité, restent un luxe pour une grande partie de la population.
Mais le coût le plus lourd est humain. La société centrafricaine se désagrège sous l’effet de cette normalisation de l’illégalité. La confiance dans l’État, déjà érodée par des décennies de crises, s’effondre complètement. Les citoyens, lassés de voir leurs impôts et leurs efforts détournés, se détournent des institutions, préférant contourner les règles eux-mêmes pour survivre. Les jeunes, en particulier, grandissent dans un monde où l’honnêteté est une chimère, et où la débrouillardise illicite semble être la seule voie vers le succès. Cette perte de repères creuse une fracture sociale béante : d’un côté, une élite corrompue qui prospère ; de l’autre, une population abandonnée, résignée ou révoltée, mais impuissante.
Des réformes mort-nées
Face à cette hémorragie, des efforts ont été tentés pour enrayer la corruption. Des commissions anticorruption ont été mises sur pied, des lois votées, des promesses faites sous les projecteurs internationaux. Mais ces initiatives se sont toutes révélées être des coquilles vides. Les commissions, dépourvues de moyens et de pouvoir réel, servent davantage de vitrine que d’outil. Les sanctions, quand elles sont prononcées, restent dans les tiroirs, protégées par une chaîne de complicités qui remonte jusqu’aux plus hautes sphères. Les réformes, sabotées de l’intérieur par ceux qu’elles visent, s’enlisent dans une bureaucratie hostile au changement.
Les résistances sont multiples et puissantes. Les réseaux mafieux qui profitent de ce système ont les moyens de se défendre : pressions, intimidations, voire élimination physique des gêneurs. Les fonctionnaires honnêtes, rares et isolés, sont vite découragés ou neutralisés. Quant à la volonté politique, elle fait cruellement défaut. Comment réformer un système dont les principaux bénéficiaires occupent les postes clés ? La réponse est dans la question : sans une rupture radicale, portée par une impulsion venue d’en haut ou d’en bas, le statu quo perdure, au grand dam d’un peuple qui ne croit plus aux discours creux.
Les solutions : un rêve réalisable ?
Élie OUEIFIO, dans son ouvrage, ne se contente pas de diagnostiquer le mal ; il propose des remèdes. Il appelle à une refonte totale du système, avec des mesures concrètes et audacieuses. D’abord, il faut s’attaquer aux racines économiques de la corruption : revaloriser les salaires des fonctionnaires pour leur offrir une alternative digne à l’extorsion. Ensuite, moderniser l’administration en numérisant les procédures – un dossier en ligne est plus difficile à « égarer » qu’un papier glissé sous une pile. Il préconise aussi une rotation régulière des agents pour briser les réseaux de complicité, ainsi que des contrôles surprise pour maintenir la pression.
Mais les réformes ne suffisent pas sans un cadre institutionnel solide. OUEIFIO imagine une agence anticorruption indépendante, dotée de vrais pouvoirs d’enquête et de sanction, protégée des interférences politiques. Il insiste sur la nécessité de protéger les lanceurs d’alerte, ces courageux qui osent briser l’omerta, et de frapper fort avec des punitions publiques et exemplaires pour dissuader les autres. Enfin, il plaide pour une éducation éthique obligatoire, dès le recrutement, pour insuffler une nouvelle culture dans l’administration.
Le réveil de la société civile
Ces changements, aussi nécessaires soient-ils, ne peuvent pas venir uniquement d’en haut. OUEIFIO mise sur un sursaut populaire, une mobilisation citoyenne qui renverserait la donne. Il appelle à la création de plateformes où les abus peuvent être dénoncés en toute sécurité, à des campagnes massives pour sensibiliser la population, et même à un boycott des pratiques corruptives – refuser de payer les « extras » demandés par les fonctionnaires, malgré les risques que cela comporte. Il voit dans l’éducation civique un levier essentiel pour apprendre aux nouvelles générations que la corruption n’est pas une fatalité.
La surveillance par les citoyens est un autre pilier de sa vision. Des observatoires locaux, des réseaux de vigilance, une documentation rigoureuse des dérives : autant de moyens pour mettre la pression sur les corrompus et leurs complices. Les médias, malgré leurs propres fragilités, ont un rôle à jouer en amplifiant ces voix, en exposant les scandales et en maintenant l’attention sur les coupables. C’est un contrôle par le bas, lent mais puissant, qui pourrait forcer l’État à rendre des comptes.
Une révolution morale pour sauver une nation
Au fond, ce que décrit OUEIFIO, c’est une bataille pour l’âme de la RCA. La corruption, dans ce pays, n’est pas qu’un problème technique ou économique ; c’est une crise morale qui exige une réponse à la hauteur. Il faut une volonté politique inflexible, capable de trancher dans le vif, de briser les réseaux et de restaurer la confiance. Il faut une mobilisation nationale, où chaque citoyen devient un acteur du changement, refusant de céder à la facilité ou à la peur. Il faut des réformes profondes, qui ne se contentent pas de panser les plaies mais qui reconstruisent un système sur des bases saines. Et surtout, il faut une transformation des mentalités, un rejet collectif de l’idée que « c’est comme ça ici ».
La RCA est à un tournant. Continuer sur cette voie, c’est accepter de voir le pays sombrer, rongé par ses propres démons. Changer, c’est entreprendre une révolution – pas seulement politique, mais humaine – qui demandera du temps, des sacrifices et une détermination sans faille. Comme le conclut OUEIFIO avec une lucidité poignante : « La corruption n’est pas une fatalité, c’est un choix. Et nous devons choisir maintenant entre la survie de notre nation et la perpétuation d’un système qui nous tue à petit feu. » Le compte à rebours est lancé, et chaque jour qui passe sans action est une victoire de plus pour ceux qui vendent la RCA au plus offrant.
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