L’art de la fabrication des marmites artisanales : un patrimoine centrafricain menacé dans le pays
Bangui, 20 septembre 2024 (CNC).
À Bangui comme dans les villes de provinces en République centrafricaine, une tradition artisanale ancestrale résiste tant bien que mal aux défis du monde moderne. Dans les différents quartiers populaires de la capitale , y compris dans les villes de l’arrière pays, des ateliers de fabrication de marmites artisanales continuent de faire vivre un savoir-faire unique, transmis de génération en génération. Mais aujourd’hui, ce patrimoine culturel et économique fait face à des vents contraires qui menacent son avenir.
Au cœur du 8ème arrondissement, dans le quartier Combattant, non loin de l’école primaire, l’atelier de Sylvain bourdonne d’activité. Une dizaine d’artisans s’affairent autour des fours et des moules, transformant avec dextérité de vieux morceaux d’aluminium en ustensiles de cuisine indispensables à la vie quotidienne des Centrafricains, comme les marmites artisanales.
“C’est un métier dur, mais qui nourrit son homme”, confie Sylvain, le regard rivé sur une marmite en cours de façonnage.
Pourtant, derrière cette apparente vitalité, l’inquiétude grandit. “Les prix des matières premières ont doublé, voir triplé “, se désole Sylvain. “Avant, on trouvait facilement de l’aluminium à recycler. Maintenant, avec l’exportation massive vers l’étranger, c’est devenu rare et cher.” Cette flambée des coûts se répercute inévitablement sur le prix final des marmites artisanales , au grand dam des clients.
Jeanne-Marie, venue du quartier Galabadja pour renouveler sa batterie de cuisine, en fait l’amère expérience. “C’est devenu hors de prix”, se lamente-t-elle. “Une petite marmite qui coûtait 1250 francs il y a quelques mois se vend maintenant à plus de 1500 francs. Comment voulez-vous qu’on s’en sorte ?”
Cette situation précaire n’épargne aucun des nombreux ateliers de fabrication de marmites artisanales disséminés dans la capitale. À Gobongo, dans le quatrième arrondissement de Bangui, les artisans tentent tant bien que mal d’innover pour survivre. “On ne fait plus seulement des marmites”, explique Maturin, un jeune forgeron. “On fabrique aussi des pièces pour motos et voitures. Mais sans soutien, on ne peut pas aller bien loin”.
En effet, le manque d’accompagnement technique et financier freine considérablement le développement de cette filière artisanale. “Dans les pays voisins comme le Congo, nos confrères travaillent avec des machines modernes”, souligne Maturin. “Ici, on en est encore à la fabrication manuelle. On a du talent, mais sans moyens, on ne peut pas l’exprimer pleinement.”
Entre temps, à Cantonnier, les artisans centrafricains, fabriquant des marmites également, après avoir traversé la frontière camerounaise à la recherche de matériaux à Garoua-Boulaï, se heurtent aux barrières des forces centrafricaines à leur retour. Des formalités et taxes sont imposées, même sur des carcasses des aluminiums récupérées parfois dans les poubelles camerounaises. Malgré ces entraves, ils persévèrent dans la fabrication, un processus ardu qui occupe des heures précieuses. La difficulté atteint son paroxysme lorsqu’ils cherchent à vendre leurs produits, les obligeant à se tourner vers le marché camerounais en l’absence d’acheteurs suffisants côté centrafricain.
De retour au Cameroun pour vendre leurs marmites, les forces centrafricaines à la barrière ajoutent un nouveau défi aux artisans en imposant des taxes à la sortie de ces mêmes produits. Cette imposition supplémentaire défavorise fortement les artisans centrafricains fabriquant des marmites. Sur le marché camerounais, ils se voient contraints de vendre à des prix dérisoires aux grossistes pour subvenir à leurs besoins et soutenir leurs familles. Cette réalité complexe souligne davantage les inégalités et les obstacles économiques auxquels ces artisans font face, renforçant la nécessité d’une action immédiate.
Ce cri du cœur des artisans centrafricains, que ça soit à Cantonnier, ou ailleurs comme à Bangui, résonne comme un appel à l’aide lancé aux autorités et aux partenaires au développement. Car au-delà de sa dimension économique, la fabrication artisanale de marmites représente un pan important du patrimoine culturel du pays. Chaque coup de marteau, chaque geste précis perpétue une tradition séculaire qui fait la fierté des Centrafricains.
Mais pour combien de temps encore ? Face à la concurrence des produits importés et aux difficultés croissantes d’approvisionnement en matières premières, l’avenir de ce savoir-faire unique semble de plus en plus incertain. Sans une prise de conscience rapide et des mesures concrètes de soutien, c’est tout un pan de l’identité centrafricaine qui risque de disparaître dans les braises des fours artisanaux.
L’heure est donc à la mobilisation. Il est urgent de mettre en place des politiques volontaristes pour préserver et valoriser ce patrimoine vivant. Formation professionnelle, accès facilité aux crédits, modernisation des outils de production… Les pistes d’action ne manquent pas. Mais elles nécessitent une volonté politique forte et un engagement de tous les acteurs de la société centrafricaine.
Car au-delà des marmites, c’est toute la question du développement endogène et de la valorisation des ressources locales qui est posée. Dans un pays riche de sa diversité culturelle et de ses savoir-faire traditionnels, l’artisanat pourrait devenir un véritable moteur de croissance et d’emploi. À condition de lui en donner les moyens.
Le défi esta de taille, mais l’enjeu en vaut la peine. Car chaque marmite façonnée dans les ateliers de Bangui porte en elle un peu de l’âme centrafricaine. Un trésor à préserver coûte que coûte, pour les générations futures.
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