Bangui (République centrafricaine) – Contrairement à l’enquête menée par le bureau d’investigation du CNC 48 heures après le triple meurtre des trois journalistes russes en juillet 2018 proche de la ville de Sibut, le comité d’enquête russe vient officiellement de rendre publique la conclusion de ses enquêtes dans lesquelles il confirme qu’un vol à main armée serait à l’origine. Mais que s’est-il réellement passé ce jour avant et après le triple meurtre des journalistes ? Enquête du CNC.
Dans la nuit du lundi à mardi 31 juillet 2018 près de Sibut, dans la préfecture de Kémo, au centre de la République centrafricaine, trois journalistes russes ont été assassinés, et leurs effets personnels ont été emportés par les assaillants.
48 heures plus tard, le jeudi 2 août, notre équipe d’investigation s’est rendue sur le lieu du crime, et ses premiers éléments d’enquête montrent bel et bien que les trois journalistes russes n’ont pas été assassinés suite à un vol crapuleux comme affirme le comité d’enquête russe dans sa conclusion de janvier 2020. Pourquoi ?
Le jeudi 30 juillet, vers 18 heures, le véhicule des journalistes arrive à Sibut, située à 186 kilomètres de Bangui, et traverse après formalité le premier checkpoint, celui des gendarmes. Quelques mètres plus loin, c’est le checkpoint des FACA, ils ont été bloqués suite à la consigne laissée une heure plutôt par le chef des mercenaires russes basés à Sibut.
Après quelques minutes d’échange téléphonique avec ce chef mercenaire, le véhicule des journalistes est autorisé à franchir la barrière des FACA et prend la direction de Dékoua.
Bizarrement, le chauffeur, arrivé à 18 kilomètres après Sibut sur l’axe Dékoua, au village Kiné, fait demi-tour jusqu’à l’entrée de Sibut, puis repart à nouveau vers Dékoua, sans qu’on ignore les raisons de cette manœuvre. Plusieurs villageois qui ont vu le véhicule des journalistes ont témoigné en ce sens.
Malheureusement, en arrivant à 3 kilomètres du village Kpakou, situé à 25 kilomètres de Sibut sur l’axe Dékoua, le véhicule des journalistes est tombé dans le guet-apens tendu par les assaillants. Deux ont été assassinés sur place, le troisième, qui tentait de fuir vers le village Kpakou, a été rattrapé par les assaillants 600 mètres plus loin et abattu .
Pendant ce temps, le chauffeur, qu’on ignore exactement sa position au moment du crime, arrive une heure plus tard au domicile du chef du groupe du village Kpakou pour lui annoncer la nouvelle du meurtre des trois journalistes avant de quitter le lendemain, accompagné du chef du groupe pour retourner à Sibut, et alerter les mercenaires russes qui lui ont indiqué d’aller informer les gendarmes qui sont juste à côté de leur base.
Cependant, notre bureau d’investigation, premier à mener l’enquête sur ce triple assassinat, découvre plusieurs zones d’ombre qui entourent cette affaire. D’ailleurs, le chauffeur des trois journalistes serait un espion, un soldat déguisé en civil. Puis, quelques heures avant l’arrivée des trois journalistes à Sibut le 30 juillet, deux pick-up de même couleur, même marque dans lesquels on voit six hommes blancs, conduits par deux gendarmes en civil de la LGM (légion de la gendarmerie mobile). Les deux véhicules avaient pris la direction de la ville de Dékoua vers 17h30. Bizarrement, le premier véhicule est arrivé à Dékoua vers 21 heures, tandis que le second est arrivé à Grimari le lendemain.
Rappelons que Sibut Dékoua fait environ 80 kilomètres, et Sibut-Grimari 120 kilomètres.
Plus étonnant dans cette affaire, quatre jours après le triple meurtre, le gouvernement interdit la présence des journalistes sur le lieu de meurtre sans un accord préalable des autorités militaires.
Des nombreuses zones d’ombre dévoilées par notre bureau d’enquête laissent à penser plutôt à un assassinat programmé et non un simple vol crapuleux.
Gisèle MOLOMA
Copyright2020CNC.