La sorcellerie et sous-développement à Béloko : un Marabout Appelé en Renfort.
Dans la petite ville frontalière de Béloko, à l’ouest de la République centrafricaine, un phénomène insolite attire l’attention depuis quelques jours. Face à un développement économique qui tarde à se concrétiser, les habitants ont décidé de faire appel à des forces occultes pour tenter de débloquer la situation.
Bangui, 22 août 2024.
Par la rédaction de Corbeau News Centrafrique.
La sorcellerie : un constat amer.
Béloko, poste-frontière avec le Cameroun dans la préfecture de Nana-Mambéré, aurait dû connaître un essor significatif ces dernières années. Sa position stratégique en fait un point de passage obligé pour les échanges commerciaux entre les deux pays. Pourtant, la ville semble figée dans le temps, incapable de tirer profit de cet avantage géographique.
Le chômage frappe durement la jeunesse locale. Les infrastructures de base font cruellement défaut. Le projet de construction d’une plateforme douanière moderne, censé dynamiser l’économie locale, est au point mort depuis des années.
Mathias Bédo, secrétaire général de la chefferie du quartier Zaoro-Doa à Béloko, ne cache pas son amertume : “Nous voyons passer les camions et les marchandises, mais rien ne reste ici. Nos jeunes n’ont pas de travail, nos routes sont mauvaises. On nous avait promis le développement avec cette nouvelle plateforme, mais rien ne se passe”.
La sorcellerie : aa tentation de l’irrationnel.
Face à cette impasse, certains habitants de Béloko ont fini par se tourner vers des explications irrationnelles. L’idée que des forces occultes puissent être à l’origine de ce blocage a progressivement fait son chemin.
“Quand rien ne marche, quand tous les projets échouent les uns après les autres, les gens commencent à penser qu’il y a autre chose”, explique Jean-Baptiste Zotongo, sociologue enseignant à Béloko. “Dans notre culture, l’invisible joue un rôle important. Il est facile alors d’imaginer que des sorciers ou des mauvais esprits puissent être responsables de nos malheurs”.
L’appel aux marabouts.
Face à ce constat, les autorités traditionnelles du quartier Zaoro-Doa ont décidé de passer à l’action. Le 12 août dernier, elles ont fait appel à un marabout réputé, venu spécialement de la préfecture de la Lobaye.
Bengba Blaise Ngofi, c’est son nom, est arrivé avec la lourde tâche de “nettoyer” spirituellement le quartier. Son objectif : lever tous les blocages occultes qui empêcheraient le développement de se concrétiser.
Depuis son arrivée, Bengba Blaise Ngofi mène des rituels quotidiens, assisté par d’autres praticiens traditionnels locaux. Chaque nuit, des cérémonies sont organisées autour d’un grand feu. Le marabout y danse, entre en transe, et prétend communiquer avec le monde des esprits pour identifier les sources du mal.
“Il a ramassé des plantes de blocage, des bouts de ciseaux, des jetons anciens”, énumère Mathias Bédo. “Toutes ces choses auraient été placées là par des sorciers pour freiner notre développement”.
Un phénomène qui divise.
Si une partie de la population semble adhérer à ces pratiques, d’autres voix s’élèvent pour exprimer leur scepticisme, voire leur inquiétude.
Le jeune Firmin Junior, un commerçant de Béloko, se montre très critique : “Ces pratiques sont contraires à notre foi chrétienne. Elles entretiennent la superstition et détournent les gens des vraies solutions à nos problèmes”.
Certains jeunes de la ville partagent ce scepticisme. Alain Magnatou, diplômé de droit public à l’université de Bangui, et originaire de Béloko, au chômage depuis deux ans, ne cache pas son agacement : “C’est ridicule de croire que nos problèmes viennent de la sorcellerie. Le vrai problème, c’est la mauvaise gouvernance, la corruption, le manque d’investissements”.
Un révélateur des difficultés profondes.
Au-delà de son aspect folklorique, ce recours au maraboutage à Béloko révèle des problématiques plus profondes qui touchent de nombreuses régions de Centrafrique.
Pour le sociologue Jean-Baptiste, ce phénomène est symptomatique du désarroi des populations rurales face à un développement qui ne vient pas : “Ces gens se sentent abandonnés, oubliés. Ils ne comprennent pas pourquoi, malgré les promesses, leur situation ne s’améliore pas. Le recours au surnaturel est une façon de reprendre le contrôle, de se dire qu’on peut agir sur son destin”.
Le chercheur pointe également du doigt les carences de l’État dans ces régions reculées : “Quand les services de base ne sont pas assurés, quand l’éducation et la santé sont défaillantes, les gens se tournent naturellement vers ce qu’ils connaissent, vers leurs croyances traditionnelles”.
Des inquiétudes pour l’avenir.
Si le recours au maraboutage semble apporter un certain réconfort à une partie de la population de Béloko, d’autres s’inquiètent des conséquences à long terme de ces pratiques.
Le père Emmanuel de l’église catholique locale craint notamment une montée des tensions communautaires : “Quand on commence à chercher des boucs émissaires, à accuser certains d’être des sorciers, cela peut vite dégénérer. Nous avons déjà vu par le passé où ce genre de chasses aux sorcières pouvait mener”.
Le jeune Alain partage ces même inquiétudes : “Ces histoires de maraboutage peuvent créer des divisions durables dans la communauté. Une fois qu’on a désigné quelqu’un comme sorcier, comment peut-il se défendre ? Comment restaurer la confiance ?”