samedi, novembre 16, 2024
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Rwanda : la patiente traque des génocidaires

 

 

A l’écart des regards indiscrets, dans une rue arborée du quartier de Nyarutarama à Kigali, trois pavillons d’apparence anodine abritent l’équipe d’enquêteurs et de procureurs rwandais chargés de traquer dans le monde entier les responsables présumés du génocide de 1994.

En mars, des journalistes de l’AFP ont brièvement été autorisés à visiter ces locaux, sans cependant avoir le droit de parler aux membres de cette unité spéciale rwandaise.

La GFTU (« Genocide fugitives tracking unit ») a été créée en 2007 pour enquêter sur les responsables en fuite du génocide de 1994 ayant fait, selon l’ONU, au moins 800.000 morts, essentiellement au sein de la minorité tutsi, et les traduire en justice.

« Son mandat était d’enquêter et de préparer les dossiers (d’accusation) contre les fugitifs encore dans la nature, en dehors du pays », explique Faustin Nkusi, le porte-parole du parquet général qui chapeaute l’unité.

Certains des concepteurs du génocide sont passés devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), qui a fermé ses portes fin 2015 après avoir prononcé plusieurs dizaines de condamnations.

Les exécutants, eux, ont comparu devant les tribunaux populaires. Entre 2005 et 2012, les « gacaca » ont jugé près de deux millions de personnes, pour un taux de condamnation de 65%.

Mais un quart de siècle après, nombre de donneurs d’ordres ou de petites mains du génocide sont toujours en fuite, dispersés dans le monde entier, de pays voisins – République démocratique du Congo, Ouganda, Tanzanie, Kenya, Zambie, Malawi – à l’Europe ou au continent américain, et même jusqu’en Australie.

– Tergiversations –

Depuis sa création, la GFTU a lancé 1012 mandats d’arrêt internationaux dans 32 pays. Grâce à son travail, le Rwanda a obtenu le retour sur son sol de 19 génocidaires présumés, et 22 personnes ont été jugées à l’étranger.

Mais cela reste un grain de poussière dans l’immensité. Quand les gacaca ont achevé leurs travaux, ils ont donné à la GTFU une liste de près de 72.000 fugitifs qui avaient été condamnés par contumace, car on ignorait où ils se trouvaient.

« Ce n’est pas facile pour (le parquet), car nous n’avons pas la main sur les investigations et les arrestations », souligne M. Nkusi. « Nous devons travailler ensemble avec les institutions de ces pays. »

L’unité, composée d’enquêteurs et de procureurs, collabore avec les juridictions nationales, avec Interpol, et avec le Mécanisme de l’ONU pour les tribunaux pénaux internationaux (MTPI). Celui-ci a pris la suite du TPIR et gère encore des dossiers clés comme celui de Félicien Kabuga, considéré comme le « financier du génocide ».

Dans sa traque, la GFTU est confrontée à bien des difficultés. A commencer par celle de l’identification des fugitifs, qui savent changer d’identité, se jouer de la porosité des frontières africaines ou de la liberté de circulation dans l’espace Schengen, ou qui ont obtenu l’asile politique dans ces pays.

L’autre tient aux tergiversations de nombreux pays, qui ont longtemps été réticents à juger de présumés génocidaires chez eux, et ont argué de l’absence d’accord judiciaire bilatéral avec le Rwanda pour refuser d’y extrader des suspects.

« Certains pays ne sont politiquement pas prêts à ça », accuse M. Nkusi. Tous, pourtant, sont signataires de la convention des Nations unies prévenant le génocide et les crimes contre l’humanité et devraient « respecter cet engagement », plaide-t-il.

– « Justice doit être rendue » –

La France, que Kigali accuse d’avoir soutenu le régime hutu qui a planifié le génocide, a notamment refusé en 2011 la demande d’extradition d’Agathe Kanziga, la veuve de l’ancien président Juvénal Habyarimana, dont l’assassinat le 6 avril 1994 a déclenché le génocide.

La justice française a également toujours refusé d’extrader les suspects réfugiés sur le territoire national, la Cour de cassation considérant que le génocide n’était pas défini en 1994 dans le code pénal rwandais.

« C’est un jugement que nous respectons (…) Mais, malgré tout, ils ont l’obligation de juger ces gens », fait valoir M. Nkusi. Or, jusqu’à présent, seuls un ancien officier de l’armée rwandaise en 2014 et deux maires en 2016 ont été condamnés en France.

La coopération judiciaire entre les deux pays existe toutefois. Lors de leur visite, les journalistes de l’AFP ont vu des enquêteurs français. Venus exécuter une commission rogatoire, ils étaient là pour parler à des témoins et réunir des preuves. Une équipe norvégienne étaient également présente.

Les extraditions ces dernières années de suspects arrêtés par exemple aux États-Unis, au Canada ou aux Pays-Bas montrent aussi que des pays ont pris conscience de leurs devoirs. En Afrique aussi, certains, comme le Malawi, commencent à changer d’attitude.

Les jugements de tribunaux nationaux établissant que les personnes extradées pouvaient bénéficier d’un procès équitable au Rwanda, qui a aboli la peine capitale en 2007, ont favorisé ces extraditions, relève M. Nkusi.

Il espère donc que le processus va désormais s’accélérer. Les suspects commencent à vieillir, rappelle-t-il. Or, argue-t-il, « justice doit être rendue, les gens doivent être arrêtés, jugés, et être soit innocentés, soit condamnés ».

 

Avec ©AFP

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