Bangui (République centrafricaine) – Lorsque les premiers cas de Covid-19 ont été confirmés en République centrafricaine au mois de mars, le pays était déjà en proie à une urgence humanitaire et sanitaire majeure. Au début de l’année, la RCA déclarait une épidémie de rougeole à l’échelle nationale, la plus importante depuis près de deux décennies. Médecins Sans Frontières (MSF) traite et vaccine les enfants à grande échelle dans plusieurs zones du pays.
Ndongue est un village isolé situé à l’ouest de la République centrafricaine, proche de la frontière avec le Cameroun. Des dizaines de parents et de jeunes enfants font la queue à un poste de vaccination que Médecins Sans Frontières a installé sous un grand manguier au centre du village. L’équipe est là pour administrer le vaccin contre la rougeole et la pneumonie (PCV13).
Certains des enfants qui attendent leur tour ont des rayures faites à l’aide d’écorce de mangue et de feuilles sur le visage, un remède traditionnel contre la rougeole et d’autres maladies. Pour la plupart des personnes vivant dans cette région reculée, la médecine traditionnelle est la seule option en cas de maladie.
« Ici, personne ne peut se permettre de payer une consultation à hôpital, nous essayons donc de nous soigner en utilisant la médecine traditionnelle. En dernier recours, nous allons chez les guérisseurs traditionnels, et nous les payons avec un poulet si nous n’avons pas d’argent, » dit Véronique, une agricultrice locale qui est venue faire vacciner le plus jeune de ses six enfants, Sarah André, âgée de trois mois. « C’est la première fois que nous entendons parler d’une vaccination.»
Après de nombreuses années de violence et d’insécurité, la République centrafricaine est dans un état d’urgence sanitaire chronique. Une grande partie des cinq millions d’habitants du pays, dont plus de 700 000 sont déplacés à l’intérieur du pays en raison de l’insécurité[1], n’ont pas accès aux soins de santé, et de nombreux enfants n’ont pas été vaccinés.
Dans ces conditions, une maladie évitable mais très contagieuse comme la rougeole peut se propager rapidement. En janvier, le ministère de la santé a déclaré une épidémie de rougeole à l’échelle nationale.
En soutien aux autorités sanitaires, MSF a lancé une campagne de vaccination massive pour vacciner plus de 312 000 enfants contre la rougeole dans sept zones sanitaires du pays.
« Les défis logistiques et les coûts liés à la mise en place d’une campagne de vaccination à grande échelle dans des régions aussi isolées et éloignées sont énormes”, déclare Ester Gutierrez, cheffe de mission de MSF en RCA. ¨Beaucoup de ces régions ne peuvent être atteintes que par avion, et nos équipes voyagent souvent pendant plusieurs jours pour atteindre les habitants des villages les plus reculés. L’insécurité est aussi un obstacle de taille : nous n’avons par exemple pas pu nous rendre dans la zone entre Bria et Ouadda au centre-nord du pays pour y vacciner les enfants et apporter des soins médicaux en raison des violences. »
Maintenir les vaccins au froid dans les régions dépourvues d’électricité fiable est un énorme défi. Zacharie Musangu est un vétéran de MSF qui a commencé à travailler avec l’organisation dans sa République démocratique du Congo natale en 2004. Sur la base temporaire de MSF, dans la petite ville de Baboua, l’expert en logistique se lève chaque matin à 3 heures pour préparer les vaccins destinés aux huit équipes mobiles qui les emmènent en voiture ou à moto dans les villages isolés du district. « Le plus important est de maintenir la même température lorsque les vaccins sont prélevés des congélateurs de notre base, ce que nous appelons la chaîne du froid active, à la chaîne de froid passive des glacières que nos équipes mobiles emmènent sur les sites de vaccination. C’est une procédure très délicate, » dit Zacharie, que tout le monde appelle Papa Zac.
En parallèle de la campagne de vaccination, les équipes de MSF traitent également les enfants déjà malades de la rougeole. Depuis le début de l’année 2020, plus de 6 200 cas suspects de rougeole ont été rapportés et traités par MSF dans les districts sanitaires de Nangha, Boguila et Bossangoa, dans la région de l’Ouham au nord du pays.
Yvonne Zongagofo a amené son beau-fils Maxime à un poste de santé que MSF soutient dans le village de Benzambe, à plusieurs heures de route de la ville de Bossangoa. Maxime est malade depuis trois jours. Il a de la fièvre et ne veut pas manger. « J’ai insisté auprès ma famille pour emmener Maxime au centre de santé après avoir su que c’était la rougeole », dit-elle. « Nous n’avons pas eu de cas de cette maladie depuis des années, mais j’ai reconnu les symptômes parce que je me souviens de la dernière épidémie, lorsque j’étais enfant. À l’époque, la médecine traditionnelle était le seul remède, et il n’y avait ni ONG, ni médecins, ni hôpitaux dans cette région. Aujourd’hui, la situation s’est légèrement améliorée, nous avons un peu plus accès aux soins de santé, mais ce n’est pas suffisant. Des enfants meurent encore dans ma communauté ». Après la consultation au poste de santé, Maxime est conduit à l’hôpital soutenu par MSF à Bossangoa, où un service a été mis en place spécialement pour la rougeole.
Les enfants dont le système immunitaire est affaibli par la rougeole développent souvent d’autres problèmes de santé, notamment des infections respiratoires graves comme la pneumonie, ou la diarrhée. Une autre complication fréquente est la malnutrition. De nombreux enfants atteints de la rougeole développent des ulcères douloureux qui peuvent les empêcher de manger correctement. Les enfants malades n’ont pas beaucoup de réserves et sont rapidement sous-alimentés. Les équipes de MSF traitent ces comorbidités ainsi que les maladies comme la rougeole ou le paludisme, qui restent les principales causes de décès des enfants en RCA.
Soulaimani Bouldi, 30 ans, est un commerçant du village de Besson, où une équipe mobile de MSF avait mené une campagne de vaccination quelques jours auparavant. Soulaimani avait amené son fils Hammadou, âgé de deux ans, pour le faire vacciner. Mais notre équipe médicale a diagnostiqué une malnutrition chez le petit garçon, qui avait auparavant été malade de la rougeole, et l’a envoyé à l’hôpital de Baboua, où MSF soutient temporairement le service pédiatrique et a installé trois tentes pour traiter les cas de rougeole avec complications. « Notre vie a été incroyablement dure ces dernières années, » dit Soulaimani « Il y a 5 ans, nous avons dû fuir au Cameroun à cause des attaques des groupes armés. A notre retour, notre maison a été détruite et nos animaux ont été volés. Nous n’avons pas d’argent pour payer les médicaments de nos enfants ».
Malheureusement, pour certains enfants et leurs familles, l’aide arrive trop tard. Une femme appelée Zari Odette amène son bébé à l’hôpital, mais le petit garçon est mort à son arrivée. Il avait récemment été atteint de la rougeole et est très probablement mort de complications respiratoires.
Pour la seule année 2018, la rougeole a coûté la vie à plus de 140 000 personnes dans le monde, pour la plupart de jeunes enfants, et les chiffres de l’année dernière devraient être bien plus élevés, avec des flambées dévastatrices dans plusieurs pays.
« Les enfants ne devraient pas avoir à mourir d’une maladie évitable comme la rougeole », déclare Adelaide Ouabo, coordinatrice médicale de MSF. « Contrairement au nouveau Coronavirus, nous disposons d’un vaccin contre la rougeole depuis des décennies, et nous devons faire en sorte que le plus grand nombre possible d’enfants y aient accès. »
Le premier cas de COVID-19 a été confirmé en RCA en mars, et MSF soutient la réponse des autorités sanitaires à la pandémie.
« Dans le même temps, notre priorité reste de poursuivre nos projets médicaux pour sauver des vies dans de nombreuses régions du pays », déclare M. Ouabo. « Nous devons nous assurer que les mesures prises pour limiter la propagation du Covid-19 ne compromettent pas la lutte contre les « maladies tueuses silencieuses » comme la rougeole, le paludisme, la pneumonie ou la malnutrition. Nous savons par expérience qu’un accès réduit aux services médicaux en cas d’urgence entraîne encore plus de crises sanitaires ».
MSF craint qu’un accès réduit aux vaccinations ne crée des lacunes dangereuses en matière d’immunité, ce qui entraînerait une augmentation des maladies évitables par la vaccination dans les mois à venir.
[1] Selon les derniers chiffres du HCR de février 2020 : https://data2.unhcr.org/en/situations/car