Longtemps critiquée pour la lenteur de sa mise en place, la juridiction créée en 2015 est à l’origine de 18 arrestations au sein de groupes armés.
C’est une annonce qui marquera ses cinq ans d’existence. La Cour pénale spéciale (CPS) de la République centrafricaine a indiqué, lundi 25 mai, avoir effectué neuf arrestations dans des dossiers portant sur des crimes commis dans le sud-est du pays, à Obo, Zémio et Bambouti. Ces personnes, toutes membres du groupe armé Unité pour la paix en Centrafrique (UPC), ont été capturées par les forces de la Mission des Nations unies en RCA (Minusca) et les forces armées centrafricaines. Officiellement, seuls ces cas sont cités par la Cour, mais selon le porte-parole de la Minusca, neuf autres personnes ont été arrêtées la semaine dernière dans la région de Ndélé (nord), toujours « à la demande de la CPS ».
Ce sont les premières arrestations auxquelles se livre cette juridiction mixte – composée de magistrats nationaux et internationaux – depuis sa création par l’adoption d’une loi organique le 3 juin 2015. Outre ses organes judiciaires, elle dispose d’une unité spéciale de police judiciaire, chargée de mener les enquêtes sur le terrain. La CPS avait été mise en place dans la foulée du forum de Bangui, une vaste consultation populaire qui avait insisté sur la nécessité du règlement judiciaire des crimes les plus graves commis depuis janvier 2003, alors même que des événements tragiques secouaient encore – et secouent toujours – le pays.
Depuis la crise politico-militaire de 2013, la Centrafrique peine en effet à se sortir d’une situation d’insécurité qui mine les efforts de reprise économique et de développement. L’accord de paix du 6 février 2019 a certes permis une légère amélioration, mais les troubles se poursuivent sur fond de prévarication et de pillage des ressources du pays.
« Actes de Barbarie »
La Cour, dont les travaux ont réellement débuté en octobre 2018, mène des instructions très discrètes sur huit affaires depuis janvier 2019, et huit autres dossiers sont à l’étude au parquet. Depuis un an, dans le nord du pays, des affrontements sporadiques voient s’opposer des groupes armés autrefois alliés au sein de la Séléka (l’ex-coalition qui avait pris le pouvoir à Bangui en mars 2013), avec un fort soupçon de manipulation ethnique. D’abord concentrés autour et dans les villes de Birao et Bria, ces affrontements se sont étendus à Ndélé, faisant des dizaines de victimes civiles et des milliers de déplacés internes.
La CPS avait déjà indiqué dans un communiqué datant du 10 mars, que les auteurs de ces « actes de barbarie » étaient dans le viseur de la juridiction, mais le seul dossier dont elle s’est officiellement saisie, le 8 mai 2020, est celui de Ndélé. Une commission d’enquête gouvernementale avait été dépêchée dans la ville le 1er mai et, au vu des conclusions, le parquet général avait annoncé son dessaisissement au profit de la CPS.
Alors que ces troubles focalisent l’attention dans le nord du pays, un autre groupe armé, l’UPC du général Ali Darassa, étend son influence dans le sud-est, en s’emparant notamment du village frontière avec le Soudan du Sud, Bambouti, situé à une centaine de kilomètres d’Obo, la préfecture du Haut-Mbomou. En dépit des avertissements et des interventions parfois musclées de la Minusca, le groupe a continué ses activités, et a toujours refusé de quitter Bambouti. Les 18 et 19 mai, des affrontements ont eu lieu à Obo même entre les forces armées centrafricaines, soutenues par la Minusca, et des membres présumés de l’UPC. C’est à l’issue de cette attaque que les 9 membres de l’UPC ont été arrêtés. Dans un communiqué, Ali Darassa a depuis annoncé que ce n’était pas ses hommes qui étaient impliqués dans ces affrontements.
Au total, cela fait donc 21 personnes qui sont désormais sous les verrous dans le cadre d’enquêtes instruites par la CPS. Trois autres personnes arrêtées pour une autre affaire avaient en effet déjà été transmises à la juridiction mixte à la suite d’un dessaisissement de la justice nationale au profit de la CPS.
Répercussions politiques
Les répercussions politiques de ces arrestations peuvent être importantes. Dans le cadre de l’accord de paix, le gouvernement inclusif comprend des dirigeants issus des groupes armés. Le leader de l’UPC, Ali Darassa, est ainsi officiellement toujours conseiller militaire auprès de la primature, avec rang de ministre, tout comme Sidiki Abass, le patron des 3R, dont les troupes sévissent dans le nord-ouest du pays. En mai 2019, les membres de son groupe armé avaient été tenus responsables de massacres dans la région de Paoua. Une enquête dont s’était également saisie la CPS.
La cour a longtemps été critiquée pour la lenteur de sa mise en place. De fait, jusqu’ici, son bilan était plutôt maigre. Fin 2018, deux importants chefs anti-balaka, Alfred Yekatom Rhombot et Patrice-Edouard Ngaïssona, avaient certes été arrêtés mais envoyés devant la Cour pénale internationale (CPI). Inversement, les tribunaux ordinaires ont traité des affaires concernant les crimes les plus graves, comme ceux des groupes d’autodéfense de Bangassou.
Autant de niveaux de juridictions, théoriquement complémentaires, qui montrent la complexité de traitement de ces dossiers en RCA. Cette fois, la CPS semble avoir décidé de passer à la vitesse supérieure. Les premières audiences – qui avaient été annoncées pour la fin de l’année 2020 – ne devraient cependant pas avoir lieu avant le premier trimestre 2021, en raison notamment des difficultés engendrées par la crise sanitaire due au coronavirus.
Article rédigé par la rédaction du Monde Afrique.