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RCA : À « Bangui la coquette », les hommes font les ongles

Bangui, République centrafricaine, lundi, 30 août 2021, 02:41:44 ( Corbeaunews-Centrafrique ). angui) D’un geste précis et délicat, Debonheur Koli vernit les ongles de sa jeune cliente dans son échoppe poussiéreuse. À Bangui, la capitale centrafricaine, le secteur de la manucure et pédicure, jugé féminin en Occident, est aussi un métier pour les hommes.

Centre-ville de Bangui, la capitale de la République centrafricaine avec une moto qui passe et des piétons
À Bangui, en République centrafricaine. Photo CNC / Gisèle MOLOMA

 

Debonheur, 27 ans, se penche sur la main tendue d’une jeune habituée du quartier de Ngaragba, au pied des collines de la ville. Il se concentre, applique le pinceau méticuleusement, puis relève la tête, tout sourire. Mission accomplie : le nœud dessiné sur la kératine est parfait.

À « Bangui la coquette », un surnom de longue date donné à la ville pour la douceur de vivre qui la caractérisait jadis, beaucoup de femmes connaissent le jeune homme. « Il met très bien les faux cils et les faux ongles. Chaque fois, tout le monde me demande qui m’a fait ça. J’aime venir chez Debonheur parce qu’après, je me sens belle ! », confie la pétillante Pénina, 23 ans.

Mais ce n’est pas vraiment par passion que Debonheur s’est lancé dans cette activité. « Il n’y a pas de boulot », soupire-t-il. « Si les hommes font les ongles, c’est avant tout pour des raisons financières ».

Dans le deuxième pays le moins développé au monde selon l’ONU, meurtri par une guerre civile depuis 2013, le chômage s’élève à 24,2 % et nombre de Centrafricains sont contraints d’entrer dans l’univers de la débrouille pour gagner leur vie, celui de l’économie informelle.

Une petite chaîne hi-fi crachote du rap américain. Un ventilateur rafraîchit quelque peu l’air chaud et humide de la boutique. Debonheur, en jean et t-shirt à l’effigie de Muhammad Ali, s’installe sur son tabouret, devant les murs tapissés d’affiches de vedettes américaines de la musique et de joueurs de football.

L’art de la débrouille

« J’ai abandonné l’école à l’âge de 15 ans parce que le programme de financement d’une ONG s’était arrêté », raconte-t-il à l’AFP.

Dans ce pays perpétuellement en crise, l’accès à l’éducation reste l’un des plus faibles au monde. En 2016, le Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA) notait que 240 000 enfants étaient exclus du système scolaire et que le taux de scolarisation au secondaire était inférieur à 22 %.

Dans ce contexte, beaucoup de Centrafricains tentent la débrouille. Alors que Debonheur se retrouve hors des bancs de l’école, il part de l’autre côté de la rivière à Zongo, en République Démocratique du Congo. « J’y ai appris à faire les ongles en quatre mois », déclare-t-il.

De retour à Bangui, il devient marchand ambulant et finit par monter son échoppe en 2019. « J’ai trouvé un emplacement que je paye 30 000 francs CFA par mois (45 euros) et j’ai construit ma cabane dessus », explique-t-il.

Pour s’équiper, il se rend chaque mois « au PK5 », le quartier musulman de Bangui considéré comme le poumon économique de la capitale. « C’est le seul endroit où je trouve les produits dont j’ai besoin comme les faux ongles, la colle ou le dissolvant à un bon prix ».

Économie informelle

Son salaire varie chaque jour : de 2000 francs pour les mauvaises journées à plus de 20 000 les jours de fête ou le week-end, soit entre 3 et 30 euros.

Selon la Banque mondiale, dans le secteur formel, le salaire mensuel minimum s’élève à 36 euros. « Ici, les gens choisissent volontairement le secteur informel, c’est un moyen de maximiser leurs revenus. Et il n’y a pas d’impôts à payer », souligne Médard Gouaye, chercheur à l’université de Bangui, spécialiste de l’économie informelle.

Chauffeur de taxi-moto, vendeur de cartes téléphoniques, de médicaments, fabricant de meubles, briquetier…  près de 80 % des jeunes âgés de 20 à 29 ans travaillent dans l’économie souterraine.

Dans les années 70 et 80, l’État était le premier employeur. Mais des décennies de mauvaise gouvernance et les périodes récurrentes d’instabilité et de violence ont rendu l’accès difficile aux emplois du secteur public.

Aujourd’hui, le petit commerce de Debonheur marche bien. Il a formé plusieurs personnes pour répondre à la demande croissante, dont Emmanuel, son frère cadet. Âgé de 25 ans, il rêve de devenir infirmier. « Pour payer mes études, je fais les ongles jusqu’à 11 h au salon de mon frère et je suis taxi-moto l’après-midi », confie-t-il.

 

Par Barbara DEBOUT

Agence France-Presse

 

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