Radio Ndéké-Luka : une institution sous tension à Bangui

Par la rédaction de Corbeau News Centrafrique, CNC.
À Bangui, capitale centrafricaine, la radio Ndéké-Luka, l’une des stations les plus écoutées du pays, traverse une période de turbulences internes. Derrière son statut de média influent, des frustrations couvent, tant au sein de la rédaction que parmi ses correspondants en province. Ces tensions, bien que peu visibles publiquement, révèlent des défis structurels et humains au cœur de cette organisation pas tout à fait comme les autres.
La radio Ndéké-Luka, Une radio née d’une mission internationale
Pour comprendre la situation, un retour en arrière s’impose. La Radio Ndéké-Luka voit le jour le 27 mars 2000, sous l’impulsion de la Fondation Hirondelle, une ONG suisse spécialisée dans le soutien aux médias en zones de crise. Elle prend alors le relais de Radio Minurca, la station des Nations unies en République centrafricaine, qui cesse ses activités cette année-là. L’objectif est clair : offrir une information fiable et indépendante dans un pays troublé par des crises récurrentes. En 2009, la gestion passe à la Fondation Ndèkè Luka, une entité de droit centrafricain, mais le soutien de la Fondation Hirondelle reste essentiel, tant sur le plan financier que technique.
Aujourd’hui, avec une équipe d’une centaine de collaborateurs, la radio diffuse 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, en français et en sango, via une douzaine d’émetteurs FM à travers le pays. Elle collabore aussi avec une vingtaine de radios communautaires et touche des millions d’auditeurs, ce qui en fait un pilier du paysage médiatique centrafricain. Pourtant, malgré cette portée, son fonctionnement pose des questions parmi ceux qui la font vivre au quotidien.
Les correspondants en province : une colère silencieuse
Dans les villes hors de Bangui, comme Bria, Obo, Berberati, Bambari, Bouar ou Bozoum, les correspondants de la radio Ndéké-Luka travaillent dans des conditions difficiles. Officiellement, ils ne sont pas salariés de la radio Ndéké-Luka, mais pigistes, c’est-à-dire ils sont rémunérés uniquement en fonction des reportages acceptés par la rédaction. Pas de salaire de base, pas de minimum garanti : un papier validé peut rapporter 2 500 ou 5 000 francs CFA, mais si rien n’est diffusé, ils ne touchent rien. Pour beaucoup, cette instabilité financière est devenue insupportable.
« On peut passer un mois sans rien gagner, ou alors juste 2 500 francs si un sujet passe. Comment vivre avec ça ? », confie un correspondant sous couvert d’anonymat. À cela s’ajoute un autre grief : le manque de moyens pour travailler. Les frais de transport ou de connexion internet, indispensables pour couvrir des événements ou envoyer des reportages, sont à leur charge. « Tu payes de ta poche pour aller sur le terrain, et parfois la rédaction refuse le sujet. Tu te retrouves avec zéro, après avoir dépensé », ajoute un autre.
Mais ce n’est pas tout. Plusieurs correspondants déplorent un manque de clarté dans les décisions éditoriales. Des informations qu’ils jugent importantes, parfois sur des faits graves en province, sont régulièrement écartées. « On nous dit que ça ne correspond pas à ce qu’ils veulent, ou que c’est trop sensible. Mais on ne sait pas toujours pourquoi », explique l’un d’eux. Cette opacité alimente un sentiment d’injustice : pourquoi tant de rigueur dans les exigences, sans un minimum de soutien financier en retour ? En plus, notre famille pense qu’on a beaucoup d’argent. Or, rien. On souffre comme tout le monde.
À Bangui, une rédaction sous pression
À la rédaction centrale, à Bangui, l’ambiance n’est pas plus apaisée. Certains journalistes évoquent une rigueur extrême dans la ligne éditoriale, dictée par la peur de froisser les autorités ou de perdre l’autorisation d’émettre. En tant qu’ONG internationale, la radio Ndéké-Luka est soumise à des règles strictes, et une erreur pourrait menacer sa licence. Cette prudence se traduit par des sujets tabous : critiquer ouvertement les forces russes présentes dans le pays ou les soldats des FACA (Forces armées centrafricaines) semble hors de question pour beaucoup.
Cette autocensure, bien que compréhensible dans un contexte politique tendu, frustre une partie du personnel. « On veut faire du journalisme, pas juste relayer ce qui est autorisé, ou ce que les autorités nous dictent », glisse un employé. À cela s’ajoute une gestion parfois abrupte des ressources humaines. Des contrats en cours sont parfois rompus, souvent pour de motif absurde « perte de confiance », un motif vague qui laisse peu de place au dialogue. « Tu peux être là un jour, et le lendemain, plus rien. Ça crée une peur permanente », témoigne un ancien collaborateur.
Une ONG aux ambitions élevées, mais à quel prix ?
La radio Ndéké-Luka n’est pas une radio centrafricaine au sens classique du terme, pour ceux qui ne savent pas encore. Elle appartient à un réseau international, à l’image de Radio Okapi en République démocratique du Congo, également gérée par la Fondation Hirondelle depuis 2002. Son modèle repose sur des financements extérieurs et une mission de service public : informer, éduquer, favoriser la paix. Mais ce statut d’ONG impose des contraintes qui pèsent sur ses équipes. La dépendance aux bailleurs étrangers limite son autonomie, et la crainte de voir son antenne fermée par le gouvernement plane constamment.
Comparée à d’autres stations nationale, comme la Radio Sewa à Bangui, qui offre un minimum de base équivalent à 15 000 à 20 000 francs CFA à ses correspondants, la radio Ndéké-Luka fait figure d’exception. « Une ONG internationale devrait montrer l’exemple, pas laisser ses pigistes dans une telle précarité », estime un observateur du secteur. Pourtant, la radio continue d’attirer des talents, portée par son prestige et son audience massive – plus de 2,4 millions d’auditeurs en 2022, selon ses propres chiffres.
Vers une nécessaire évolution ?
À l’heure où la radio Ndéké-Luka célèbre ses 25 ans d’existence, ces tensions internes interrogent son avenir. Les correspondants en province, souvent laissés pour compte, et les journalistes à Bangui, pris entre rigueur et peur, attendent des changements. Une meilleure reconnaissance de leur travail, un minimum garanti pour les pigistes ou encore plus de transparence dans les choix éditoriaux pourraient apaiser les frustrations.
Pour l’instant, la radio Ndéké-Luka reste un acteur incontournable en République centrafricaine, un « oiseau de bon augure », traduction littérale de son nom en sango – qui continue de voler malgré les vents contraires. Mais pour combien de temps encore, si les grognements persistent en coulisses ?
Par Alain Nzilo….
Directeur de publications….
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