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MODIFICATION DE LA CONSTITUTION : UNE HERESIE JURIDIQUE

Crépin Mboligoumba
Crépin Mboli-goumba

Bangui (Corbeaunews-Centrafrique) – J’ai lu avec un amusement mêlé de tristesse, les appels au sursaut national et au rassemblement suscités par la formalisation du projet de loi constitutionnelle modifiant certaines dispositions de la Constitution du 30 mars 2016. Ces réactions m’ont ramené vingt-sept ans en arrière. Manifestement, nous n’apprenons jamais de nos erreurs, en tant qu’acteurs politiques. Et depuis vingt-sept ans, les occasions ratées se succèdent, à intervalle régulier.

    • En 1993, le nationaliste intransigeant Prof. Abel GOUMBA, candidat d’une opposition presque touchée par la grâce était au second tour de l’élection présidentielle, face au très charismatique Patassé, lequel n’avait pas accepté de s’incliner devant le choix démocratique de Goumba comme candidat unique de l’opposition. Il suffisait que le Président Dacko, arrivé en troisième position, apporte son soutien au Prof. Goumba pour qu’enfin l’histoire bascule. Ce soutien ne viendra jamais.
  • Lors du Dialogue Politique Inclusif, arraché grâce à la détermination de l’UFVN, deux leaders de cette plateforme se contredisent publiquement à l’hémicycle de l’assemblée nationale, au moment le plus crucial. Alors que le Coordonnateur Maître Henri Pouzère exige la démission du Président François Bozizé, le Président Ziguélé monte aussitôt à la tribune pour dire que personne ne demande la démission de Bozizé. Et le DPI consacra le statu quo, alors que le régime du Président Bozizé sétait déjà préparé à une cohabitation.
  • Lorsque le mandat du Président Bozizé tirait à sa fin, sans possibilité d’organiser les élections à bonne date, une peur panique s’empara des tenants du pouvoir. Pourtant, sans concertation aucune, un leader de l’opposition déclara dans la salle de cinéma (cela ne s’invente pas) que personne ne demandait le départ de Bozizé.
  • Lorsque j’ai proposé, par anticipation, une solution politique et une concertation, face aux périls pouvant impacter le calendrier électoral, un marginal quasi septuagénaire avait écrit sans rire que je voulais sauver le régime de Touadéra, et accessoirement être Premier Ministre. Et qu’ayant piteusement échoué, j’avais inventé une imaginaire interdiction de réunion pour cacher cet échec. Oh, bien-sûr, il était le porte-voix de certains acteurs politiques tapis dans l’ombre, étouffés par leur égo alors qu’il était question de trouver une solution nationale. Comme nous pouvons le voir, c’est toujours nos querelles picrocholines qui nous font passer à côté de l’essentiel.

Maintenant que nous disons tous ou presque la même chose, le problème, c’était que l’initiative ne venait pas d’eux.

Cette remarque d’ordre général et historique faite, venons-en à ce projet de loi constitutionnelle.

I- La justification du projet de loi constitutionnelle selon ses initiateurs.

Selon les initiateurs du projet de loi constitutionnelle, il est impérieux d’introduire dans la loi fondamentale la notion de cas de force majeure parce que les constituants Centrafricains n’y auraient pas pensé. J’éprouve de la honte à rappeler cette motivation, car pareil argumentaire trahit une ignorance crasse des notions élémentaires du droit constitutionnel. Il prouve en outre que les profanes se sont imposés comme les spécialistes des questions qu’ils ignorent. Comment ne pas penser ici à mon défunt Confrère Nymi, Congolais de Kinshasa, répliquant à une journaliste Belge « Madame, il y a trois sortes de journalistes : ceux qui savent rien sur tout, ceux qui savent tout sur rien et enfin ceux qui savent un peu plus que presque rien sur un certain nombre de choses ». Car s’attendre à ce que la Constitution fasse référence aux cas de force majeure comme dans les contrats privés est tout de même assez incroyable. L’Etat s’urgence est un cas de force majeure, au sens constitutionnel du mot.

Or, l’article 43 de la Constitution du 30 mars 2016 stipule que « lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la Nation, l’intégrité du territoire, l’exécution des engagements internationaux ou le fonctionnement normal des pouvoirs publics sont menacés de manière grave et immédiate, le Président de la République, après avis du Conseil des Ministres, du Président de l’Assemblée Nationale, du Président du Sénat et du Président de la Cour Constitutionnelle, prend les mesures exigées par les circonstances en vue de rétablir l’Ordre public, l’intégrité du territoire et le fonctionnement régulier des pouvoirs publics.

L’article 44 précise même que le Président peut déclarer l’état d’urgence ou l’état de siège. Affirmer donc que notre Constitution est silencieuse sur les cas de force majeure est tout simplement une contrevérité.

Je rappelle que la motivation première des initiateurs du projet de loi constitutionnelle était la survenance de la pandémie à COVID-19. Or, il s’agit-là d’un événement malheureux devant être traité dans le cadre de l’urgence sanitaire, comme la loi du 23 mars 2020 en France qui permet de déclarer l’Etat d’urgence sanitaire.

II L’impossible cohabitation entre l’article 35 et l’article 36 nouveau proposé

L’article 35 dernier paragraphe stipule : « en aucun cas, le Président de la République ne peut exercer plus de deux (02) mandats consécutifs ou le proroger pour quelque motif que ce soit »

Quant à l’article 36 nouveau tel que proposé, il stipule essentiellement que « si pour cause de force majeure, le processus électoral déclenché dans les délais constitutionnels et légaux, ne va manifestement pas aboutir dans les délais prescrits, le Premier Ministre, sur rapport motivé de l’autorité nationale des élections, saisit la Cour Constitutionnelle. La Cour Constitutionnelle se prononce sur la force majeure invoquée. Si celle-ci est établie, la Cour Constitutionnelle se prononce sur le report et fixe la durée du glissement ».

La formulation de l’article 36 bute sur deux écueils insurmontables : d’une part, l’article 35 interdit la prorogation du mandat présidentiel pour quelque motif que ce soit, c’est-à-dire y compris les cas de force majeure, mais surtout cette disposition de notre constitution est exclue de la révision ; d’autre part s’il était adopté, l’article 36 nouveau serait en contradiction avec l’article 35. Or, nous savons ce qui adviendrait alors de cette loi, en cas de conflit. De plus, dans les prérogatives organiques de la Cour Constitutionnelle, il faudrait préalablement introduire l’aspect technique et électoral, avant toute observation, et modifier de même les prérogatives exclusives de l’autorité nationale des élections en tant qu’autorité technique des élections.

Il y a fort à parier que les initiateurs de ce projet de loi ainsi que ceux qui sont payés pour « le mettre en musique » ignorent l’état de la jurisprudence en matière de cas de force majeure. En effet, la Cour d’Appel de Versailles a jugé qu’une grève générale d’ampleur nationale, née d’une réaction à des mesures gouvernementales revêtait tous les caractères de la force majeure (BICC N°553 du 1er avril 2002). Alors imaginons les fâcheuses conséquences d’une pareille conception et remontons le temps jusqu’à l’époque du Président Kolingba. Il aurait donc pu profiter de cette grève des fonctionnaires qui avait duré plus d’un an pour déclarer la force majeure et rester au pouvoir !

II- Une modification inutile et anticonstitutionnelle à la lecture des articles 35 et 47

La fébrilité qui s’est emparée des tenants du pouvoir s’explique certainement par la volonté exprimée par certains acteurs politiques de réclamer la transition en cas de non-tenue des élections générales à bonne date. Je voudrais réaffirmer ici que je suis résolument opposé à une quelconque transition, de même que je suis opposé à tout passage en force du pouvoir. Il y a cependant des leviers et même des garde-fous dans notre Constitution qui ouvrnt la voie à une solution politique. Il est certes vrai que l’article 35 de la Constitution stipule « qu’en aucun cas, le Président de la République ne peut exercer plus de deux (02) mandats pour quelque motif que ce soit ». Cependant, l’article 47 stipule que « la vacance de la Présidence de la République n’est ouverte que par le décès, la démission, la destitution, la condamnation du Président ou par son empêchement définitif d’exercer ses fonctions conformément aux devoirs de sa charge ». Les cas de vacance étant limitativement énumérés, l’impossibilité d’organiser les élections ne peut être considérée comme une vacance du pouvoir. Ce qui veut dire que le Président reste en place. Elle ne peut non plus être considérée comme une prorogation du mandat au sens de l’article 35. Cependant, il perd toute légitimité et toute légalité sans l’onction d’un accord politique auprès des forces vives de la nation, à travers une concertation.

Maître Crépin MBOLI-GOUMBA Président du PATRIE

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