Le 11 juillet, le Comité des sanctions des Nations Unies a dévoilé un rapport détaillant l’implication présumée d’individus et de groupes armés dans des violations importantes des droits de l’homme en République centrafricaine (RCA). Le rapport, rédigé par le Groupe d’experts sur la RCA, contient également des informations au sujet des sources de financement et des armes dont disposent les groupes et cite les noms d’individus prétendument impliqués dans le trafic de ressources naturelles ainsi que dans le financement, l’organisation et la manipulation de groupes armés.
Ce compte-rendu examine les conclusions et les recommandations du Groupe d’experts et considère leurs implications. Il s’intéresse également aux suggestions d’autres chercheurs concernant les moyens de s’attaquer aux moteurs économiques du conflit en RCA.
Quelles sont les principales conclusions des experts ?
Ils ont découvert qu’au moins 2 424 civils, incluant 14 travailleurs humanitaires, avaient été illégalement tués par des parties au conflit entre le 5 décembre 2013 et le 30 avril 2014. Ils ont toutefois constaté qu’un grand nombre d’incidents n’étaient pas signalés. Leurs données suggèrent que 670 civils et 3 travailleurs humanitaires ont été tués par des milices anti-balaka et 453 civils et 7 travailleurs humanitaires ont été tués par la Séléka pendant la même période.
Ils ont également rapporté la survenue de 103 incidents sécuritaires impliquant des travailleurs humanitaires pendant cette période, généralement des vols ou des extorsions par des hommes armés (par des membres de la Séléka dans 26 cas ; par des anti-balaka dans 30 cas ; et par des hommes non identifiés ou d’autres assaillants dans les autres cas).
Le rapport cite les noms de deux commandants de la Séléka, le général de brigade Alkhatim Mahamat et le colonel Issa, en lien avec le meurtre de 3 travailleurs humanitaires et de 15 civils et les attaques contre les forces internationales menées en avril à Boguila. Il cite également les noms de deux commandants de la Séléka en lien avec des attaques contre les forces internationales et l’enlèvement de quatre prêtres (relâchés par la suite). En mai, le général de brigade Alkhatim a été nommé chef d’État-major adjoint de la « nouvelle » Séléka.
Le Groupe d’experts a découvert que le mouvement anti-balaka n’avait pas de structure de commandement et de contrôle centralisée et qu’il était plutôt constitué d’une myriade de groupes associés. Il a indiqué que les groupes anti-balaka associés à l’ancien politicien Patrice-Édouard Ngaïssona étaient responsables d’attaques contre les forces internationales et que M. Ngaïssona avait affirmé contrôler les groupes responsables d’attaques perpétrées contre les musulmans restés dans la capitale, Bangui.
Les auteurs du rapport ont également conclu que la majeure partie des zones habitées de la RCA étaient contrôlées par des milices, que les groupes armés exploitaient les diamants, l’or, l’ivoire, la viande de brousse, le bois et d’autres ressources, que l’embargo sur les armes en RCA ne semblait pas avoir été violé et que le pays était, de facto, divisé en deux. Ils ont indiqué qu’un manifeste publié en mai par les chefs militaires de la Séléka appelait à la partition du pays, mais que la branche civile de l’alliance rebelle avait persuadé ces derniers de retirer cette revendication du document.
Quelles sont les recommandations des experts ?
Les recommandations finales du rapport sont relativement brèves. Les experts appellent les pays voisins de la RCA à publier des statistiques concernant les importations de ressources naturelles depuis la RCA. Ils conseillent également un renforcement de la collaboration dans la lutte contre l’exploitation illégale des ressources naturelles, y compris de la faune et de la flore.
Ils exhortent par ailleurs les autorités centrafricaines à s’assurer que les membres des forces de défense et de sécurité identifiés comme faisant partie d’un groupe armé sont démis de leurs fonctions et à garantir une gestion sécuritaire des armes et des munitions.
Dans le corps du texte du rapport, le Groupe d’experts conseille au Comité des sanctions d’envisager l’application de sanctions ciblées à l’encontre des individus qui y sont nommés. Plusieurs analystes ont dit à IRIN que le rapport de fin d’année du Groupe d’experts, qui sera rédigé à la suite de recherches plus approfondies, contiendrait probablement des recommandations plus spécifiques concernant les sanctions à mettre en œuvre.
Ces recommandations peuvent-elles être facilement appliquées ?
Les analystes consultés par IRIN sont d’accord pour dire qu’il est peu probable que la recommandation adressée au gouvernement au sujet de l’exclusion des membres de groupes armés des forces de sécurité soit appliquée dans un futur proche. Selon Thierry Vircoulon, de l’International Crisis Group (ICG), « elle vient contredire l’idée de négociation avec les groupes armés, qui est à la mode actuellement en politique ».
Kasper Agger, chercheur sur la RCA pour Enough Project, se demande s’il est faisable ou même souhaitable, à ce stade-ci, de mener des enquêtes pour déterminer l’appartenance à une milice des membres de l’armée nationale. De nombreux chefs anti-balaka font en effet aussi partie de l’armée. Lewis Mudge, chercheur sur la RCA pour Human Rights Watch (HCR) est du même avis. Il insiste cependant sur le fait que les miliciens qui occupent des postes de haut niveau au sein de l’armée devraient être écartés et tenus responsables des atrocités commises, s’il y a lieu.
Le gouvernement de transition a résisté aux pressions en faveur de l’application de sanctions à l’encontre du leader anti-balaka à Bangui. M. Ngaïssona a en effet été rapidement relâché en mars après son arrestation par les soldats de maintien de la paix de l’Union africaine (UA) et la remise de son dossier au procureur de l’État. Le Groupe d’experts estime cependant que le gouvernement a réussi à affaiblir M. Ngaïssona, notamment en attribuant des postes à des leaders anti-balaka moins radicaux et en reconnaissant son rival, Sébastien Wenezoui, comme porte-parole du mouvement.
Selon M. Vircoulon, les gels d’avoirs et les interdictions de voyager imposés aux individus cités dans le rapport du Groupe d’experts devraient être accompagnés de mesures ciblant leurs partenaires d’affaires, dont la plupart n’ont pas encore été identifiés. Le rapport cite quelques rares noms d’hommes d’affaires possiblement impliqués dans l’exploitation illégale de ressources naturelles – un braconnier de premier ordre, un propriétaire de camion qui transporte de la viande de brousse et un collecteur de diamants – tous des Centrafricains.
Quant à la recommandation du Groupe d’experts concernant la divulgation des statistiques sur les échanges avec la RCA, la plupart des pays voisins n’ont pas encore répondu aux demandes de renseignements qui leur ont été adressées par le Groupe d’experts. On peut supposer qu’ils ne seront pas particulièrement enthousiastes à l’idée de partager ces données.
Quelles mesures spécifiques pourraient être adoptées pour lutter contre le trafic ?
La RCA fait actuellement l’objet d’une suspension temporaire du système de certification du Processus de Kimberley pour les diamants, ce qui a affecté le prix de ces pierres précieuses et probablement entraîné une augmentation de leur trafic. Il se pourrait que le Processus enquête sur les augmentations inhabituelles des exportations de diamants en provenance de la République du Congo (RC) et du Cameroun, car les deux pays sont membres du Processus, même s’ils ne produisent que très peu de diamants (le Cameroun en fait partie depuis l’an dernier seulement).
Il se pourrait toutefois qu’il soit difficile politiquement de suspendre l’un ou l’autre de ces pays du Processus de Kimberley. Les deux États contribuent en effet à l’envoi de soldats de maintien de la paix en RCA. Par ailleurs, les trafiquants de diamants centrafricains pourraient simplement décider de passer par la République démocratique du Congo (RDC), un producteur de diamants suffisamment gros pour qu’un nouvel afflux de pierres en provenance de la RCA passe presque inaperçu dans les statistiques.
Enough Project appelle le Processus de Kimberley à envoyer des missions d’experts à Anvers, à Dubaï et en Inde – les plaques tournantes mondiales du diamant – afin de contrôler les importations potentielles de diamants centrafricains illicites.
L’appel de l’ICG en faveur d’une surveillance des principales mines diamantifères (et aurifères) du pays par les forces internationales constitue une autre approche visant à aider la RCA à tirer un certain revenu de ses ressources. Les collecteurs et les agents de l’État pourraient ainsi y retourner et, d’après M. Vircoulon, le Processus de Kimberley serait alors disposé à émettre des certificats pour la production issue de ces mines.
L’ICG recommande également l’utilisation d’hélicoptères, et même de drones, par les forces américaines en RCA afin d’intercepter les braconniers d’éléphants et d’autres espèces protégées. (Des drones ont déjà été utilisés à cette fin en Afrique australe.)
Les Nations Unies autoriseront-elles leurs soldats de maintien de la paix (qui seront bientôt envoyés en RCA au sein de la MINUSCA) à surveiller des mines ou d’autres ressources naturelles ?
Le document décrivant le mandat de la MINUSCA ne mentionne pas explicitement ce rôle, mais la mission est autorisée à aider l’État à imposer son autorité. Selon l’ICG, le cas de la RCA offre l’occasion d’une réelle reconstruction de l’État (puisque celui-ci est très dépendant de l’argent des donateurs). Ces derniers doivent cependant placer leur propre personnel à la tête des ministères importants pour surveiller les fonctionnaires s’ils souhaitent que cette reconstruction soit efficace.
L’examen des liens entre les ressources et le conflit en RCA réalisé par le Groupe d’experts est-il exhaustif ?
Pas vraiment. Il n’est fait aucune mention du commerce de bétail comme moteur du conflit. L’an dernier, l’ICG a publié un rapport sur les liens entre la transhumance et les conflits en RCA, au Tchad et en RDC, et Human Rights Watch a également souligné cet aspect de la crise en RCA. Certains donateurs ont tenté une médiation entre le Tchad et la RCA sur la question de la transhumance de masse, un problème qui explique en partie la division « ethno-religieuse » qui règne en RCA.
Le rapport du Groupe d’experts traite à peine de la question du pétrole. Enough Project recommande la nomination, par les États-Unis, d’un envoyé spécial pour servir de médiateur entre le Tchad et la RCA sur les questions transfrontalières, et notamment sur la possibilité que le forage pétrolier en RCA affecte la production au Tchad. La zone située à la frontière du Tchad et de la RCA sert depuis un certain temps déjà de refuge aux rebelles et aux bandits, mais le boom pétrolier dans le sud du Tchad a renforcé la menace qu’ils font peser sur N’Djamena. La stabilité future des deux pays dépend probablement largement de l’atteinte d’un accord sur les questions frontalières.
Selon l’ICG, la crise en RCA est le résultat de plusieurs décennies de déclin économique et la stabilité risque d’être hors d’atteinte tant que la communauté internationale ne tentera pas de transformer le système de prédation qui prévaut actuellement en une économie productive. Le groupe de réflexion recommande l’établissement d’un plan de stabilisation accordant la priorité à la relance de l’agriculture et d’autres activités productives ainsi qu’à la sécurisation de revenus transparents pour l’État. Le plan de stabilisation ne devrait en outre pas se limiter au modèle habituel de protection des civils et d’organisation d’élections.
BANGUI, 25 juillet 2014 (IRIN)