BERTOUA, 23 juin 2014 (IRIN) – Frustrés par leurs conditions de vie, les réfugiés et les autres migrants affluent dans les villes de l’est du Cameroun en quête d’un emploi et d’un nouveau départ. On s’inquiète cependant des répercussions que pourrait avoir cet afflux de migrants dans les zones urbaines et des tensions qui émergent entre les nouveaux arrivants et les habitants locaux.
Quelque 226 000 personnes ont fui la RCA pour se réfugier au Cameroun, en République du Congo, en République démocratique du Congo (RDC) et au Tchad depuis décembre 2013. Parmi ces quatre pays, le Cameroun est celui qui accueille le plus grand nombre de réfugiés.
S’installer en ville
Depuis le début de 2014, plus de 80 000 Centrafricains ont fui la recrudescence des violences dans leur pays et traversé la frontière camerounaise. Nombre d’entre eux ont été installés dans des villages, mais pour certains, les villes de l’est du Cameroun présentent plus d’attrait.
« La migration des réfugiés vers les zones urbaines complique les efforts mis en œuvre pour les protéger et pour brosser un tableau précis de la population de réfugiés dans la région », a dit Faustin Tchimi, de la Croix-Rouge camerounaise, à Bertoua.
« On constate une migration vers la zone urbaine de Bertoua, mais il est difficile d’évaluer le nombre de réfugiés présents dans la ville », fait remarquer M. Tchimi. « Les réfugiés qui vivent dans les camps et les villages présentent déjà un défi important pour les travailleurs humanitaires. Ces derniers peinent en effet à fournir des services suffisants et à assurer la sécurité de tous. »
« De nombreux hommes réfugiés ont quitté le camp pour se rendre à Bertoua et ne sont jamais revenus. Nous n’avons pas eu de nouvelles d’eux depuis », a dit à IRIN Augustin Bolly, chef des réfugiés du camp de Guiwa II, dans l’est du Cameroun. Les informations qui leur reviennent ne sont pas encourageantes. « Certains sont simplement allés acheter des marchandises pour monter de petites entreprises à Guiwa. On nous a dit qu’ils avaient été arrêtés », a-t-il ajouté.
Les autorités de l’est du Cameroun ont dit qu’il était difficile de déterminer le nombre exact de réfugiés qui se sont installés dans les villes. Elles signalent cependant l’existence de problèmes sécuritaires devant être résolus.
Les problèmes sécuritaires entraînent de nouveaux contrôles
« Le déplacement des réfugiés vers Bertoua constitue une préoccupation majeure pour les autorités publiques. Nous sommes en train d’élaborer un plan pour gérer leur présence et assurer la sécurité », a dit Irénée Galim Ngong, le préfet du département du Lom-et-Djérem, dont le chef-lieu est Bertoua.
Des responsables de la sécurité de Bertoua considèrent que les étrangers sont responsables de certains incidents sécuritaires et disent avoir renforcé les patrouilles. Alim Aboubakar, un commissaire de police de Bertoua, a décrit les réfugiés causant des problèmes comme « des jeunes hommes qui tentent de survivre en faisant toutes sortes de petits boulots, en volant ou même en commettant des vols à main armée ».
Certains locaux se plaignent d’incidents de violence perpétrés par des migrants. « J’ai été victime de deux agressions commises par des migrants », a dit Umaru Sanda, un résident de Bertoua. « De nombreuses personnes se plaignent. »
M. Aboubakar, le commissaire de police, a dit qu’au moins cinq migrants étaient arrêtés chaque nuit pour des infractions mineures ou des agressions armées.
On raconte également qu’un ressortissant centrafricain aurait été impliqué dans une bataille avec des résidents locaux à Bertoua. Il aurait sorti une machette, a coupé la main d’un policier qui tentait d’intervenir et blessé quatre autres personnes.
Les tensions ne datent pas d’hier. En septembre dernier, des affrontements ont éclaté entre des réfugiés et des résidents lorsqu’un groupe de réfugiés ont quitté leur camp pour se rendre dans les villages voisins. L’armée est finalement intervenue pour arrêter les réfugiés avant qu’ils n’atteignent la ville de Bertoua.
Migrants en détention
Un gardien de la prison centrale de Bertoua qui a demandé à garder l’anonymat a dit à IRIN que 32 migrants de diverses nationalités avaient récemment été amenés à la prison. Il ne pouvait cependant pas dire combien d’entre eux avaient été détenus. Il a seulement dit : « Nous avons de nombreux réfugiés sous notre garde. »
Le gardien a ajouté que les personnes arrêtées étaient détenues. Il a précisé que le HCR avait examiné leurs dossiers, mais que l’agence des Nations Unies avait eu de la difficulté à identifier la majeure partie des détenus, laissant planer l’incertitude quant à leur statut et rendant difficile l’obtention de protection.
En quête d’une vie meilleure
La possibilité de trouver du travail pousse de nombreux réfugiés à s’installer dans les villes. Or, ils y sont souvent exposés à l’exploitation et à la détention – ce qui rend leur survie difficile – parce qu’ils n’ont pas les documents d’identité adéquats et qu’ils ont peu ou pas de compétences de travail. Les réfugiés centrafricains qui vivaient en ville dans leur pays trouvent malgré tout que la vie dans les camps et les villages est insupportable.
« Je ne peux pas rester dans un village où il n’y a ni électricité ni eau et où les conditions d’hébergement sont aussi mauvaises », a expliqué Jodel Tanga, un étudiant du secondaire qui a quitté, il y a huit mois, le camp de Mborguene, dans l’est du Cameroun, pour se rendre à Bertoua.
« Ici, je sais que je peux travailler et peut-être même épargner pour retourner à l’école un jour », a dit M. Tanga. « J’ai dû esquiver les contrôles policiers pour me rendre en ville. De nombreux autres réfugiés se sont fait prendre sur le trajet entre le camp et Bertoua et on n’a plus jamais entendu parler d’eux. » M. Tanga a souligné que les postes de contrôle ont été renforcés depuis et qu’il est désormais plus difficile d’atteindre Bertoua.
Survivre « envers et contre tout »
Baba Karim, 26 ans, travaille comme chauffeur de moto-taxi depuis trois semaines à Bertoua. Il admet qu’il ne connaît pas encore très bien la ville, mais il insiste sur sa détermination à réussir. « Je ne connais pas les noms des lieux : je dépends donc des clients et des autres chauffeurs pour les indications. Mais je dois survivre envers et contre tout », a-t-il dit.
M. Karim dit qu’il n’a jamais vécu dans un camp de réfugiés auparavant. « Il n’y a rien pour moi dans les camps de réfugiés. Les gens là-bas n’ont pas des vraies vies ; ils dépendent des travailleurs humanitaires et vivent dehors. »
M. Karim vit dans un bâtiment en construction avec quatre autres réfugiés qui sont aussi en quête de petits boulots. Ils se font parfois embaucher par les entrepreneurs qui travaillent sur le site.
M. Karim touche un salaire quotidien, mais son travail comporte des risques. « Je gagne au moins 5 000 francs (10 dollars) par jour et je donne 3 000 francs au propriétaire de la moto. Malheureusement, certains jours, je finis par perdre tout ce que j’ai gagné parce que je dois verser des pots-de-vin aux policiers pour qu’on me libère », a-t-il dit.
Certains migrants détenus ont été forcés de faire des témoignages incriminants.
« J’ai été placé en détention environ cinq fois parce que je n’avais pas de papiers d’identité. On finit toujours par me libérer parce que les policiers sont frustrés par ma situation et aussi parce que je suis encore jeune », a dit Hassan Abu, 16 ans, qui travaille comme porteur.
« Mais lorsque vous êtes sous leur garde, ils vous forcent à dire toutes sortes de choses. Je connais des réfugiés du Congo et de la RCA qui ont été obligés de faire des déclarations et qui sont aujourd’hui en prison. »
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