lundi, décembre 16, 2024
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Légalisation du bitcoin en Centrafrique : l’ombre de la Russie ?

Texte par: AFP/VOA
Publié par: Corbeaunews Centrafrique

C’est officiel depuis ce mercredi 27 avril, la Centrafrique est le deuxième pays au monde, après le Salvador, à adopter le bitcoin comme monnaie légale. Le résultat d’un projet de loi « régissant la cryptomonnaie en République centrafricaine » voté « à l’unanimité » des députés présents à l’Assemblée nationale de Bangui, la capitale, ce jour-là. Le président Faustin-Archange Touadéra l’a promulguée. Et désormais, si vous allez glaner quelques informations sur ce pays d’Afrique centrale, coincé entre le Cameroun, la République démocratique du Congo, le Soudan et le Tchad, Wikipédia vous dira que les devises officielles du pays sont le bitcoin et le franc CFA.

Dans une série de tweets, le président centrafricain Faustin-Archange Touadéra s’est ainsi réjoui de l’attention reçue par une telle décision, expliquant avoir « promulgué la loi dans l’espoir que ce serait une opportunité pour le développement économique et technologique de la RCA », la République centrafricaine. Paradoxalement, la Centrafrique est le deuxième pays le moins développé au monde selon l’ONU et est plongée dans une sanglante guerre civile depuis 2013.

La reconnaissance du bitcoin comme monnaie légale interroge ainsi de nombreux observateurs, jusqu’aux partis de l’opposition à Bangui. Martin Ziguélé, ancien Premier ministre aujourd’hui député de l’opposition, a ainsi fait savoir qu’il allait « attaquer cette loi devant le Conseil constitutionnel ». Il ajoute que « cette loi est une manière de sortir du franc CFA par un moyen qui vide de sa substance la monnaie commune (…), ce n’est pas une priorité pour le pays, cette démarche interroge : à qui profite le crime ? ».

Certains, comme Philippe Herlin, économiste spécialiste des questions monétaire et auteur du guide pratique des cryptomonnaies Bitcoin : comprendre et investir (Eyrolles), y voient l’occasion pour la Centrafrique d’un développement économique et d’une certaine émancipation vis-à-vis du franc CFA, toujours arrimé à l’euro. « Le bitcoin comme monnaie légale peut rendre des services à la population, notamment aux Centrafricains immigrés qui envoient des sommes d’argent au pays explique-t-il. Actuellement, ils passent par des banques ou des opérateurs spécialisés qui prennent des frais importants, avec le bitcoin les frais sont nettement inférieurs, voire inexistants. » Autre intérêt pour le pays, le développement du bitcoin pourrait permettre de bancariser une population qui ne fonctionne presque exclusivement qu’avec de l’argent liquide.

Escroquerie ?

Problème, la Centrafrique n’est que très peu électrifiée. Parmi 5 millions de Centrafricains, 15 % seulement ont accès à l’électricité, pour une capacité de 30 mégawatts heure. À titre de comparaison, le Sénégal a une capacité de 650 MW, la France de 500 térawatts heure. Par ailleurs, seul 4 % de la population a accès à internet. Deux paramètres pourtant essentiels pour pouvoir user du bitcoin. « Cela peut être une motivation pour développer les réseaux d’électricité et d’Internet », veut croire Philippe Herlin.

Grégory Vanel, professeur d’économie à Grenoble École de management, n’est pas dupe. Pour lui, « cette décision est purement symbolique, elle n’aura que très peu d’effets sur l’économie du pays ». Et pour cause : si l’usage du bitcoin peut permettre à la Centrafrique de s’émanciper vis-à-vis du dollar et des institutions monétaires internationales, encore faut-il que le pays dispose de bitcoins et donc arrive à en acquérir. « Or, il est aujourd’hui très compliqué de se procurer des bitcoins, et leur nombre est limité », assure l’économiste.

Il existe toutefois une autre solution : le minage. Il s’agit de fournir un service au réseau de ladite monnaie en échange d’une récompense pécuniaire, en bitcoins donc. Mais pour cela, il faut un très bon réseau Internet et beaucoup d’énergie. Ce que n’a pas vraiment la Centrafrique. « Pour que tout cela fonctionne, il faudrait que les gens puissent acheter des cryptomonnaies. Or, les conditions ne sont pas réunies, approuve Thierry Vircoulon, spécialiste de l’Afrique centrale à l’Institut français des relations internationales (IFRI). Tout cela n’a rien à voir avec l’intérêt pour la population.»

Pour quel intérêt alors ?

Beaucoup de regards se tournent depuis l’annonce vers la Russie, grand allié de la Centrafrique depuis 2018. Des contrats de livraisons d’armes et de blindés à la protection du président Faustin-Archange Touadéra, Moscou fait partie des partenaires privilégiés de Bangui, si ce n’est le seul. « L’une des pistes possibles de cette adoption soudaine du bitcoin comme monnaie légale pourrait être une volonté de contourner les sanctions internationales prises contre la Russie depuis le début de la guerre », expose Thierry Vircoulon, qui penche aussi pour une tentative d’escroquerie du pouvoir centrafricain.

« La Centrafrique est un pays exportateur de ressources naturelles, libellées et facturées en dollars, ce qui fait que lorsqu’elle veut payer un autre pays, elle le fait en dollars, souligne Grégory Vanel. Or, depuis les sanctions internationales adoptées contre la Russie et son exclusion du système interbancaire Swift, ce n’est plus possible si elle veut commercer avec la Russie ». La solution serait d’utiliser une monnaie « neutre », qui échappe au contrôle des institutions monétaires internationales, dont la Banque centrale. « Le bitcoin est une monnaie qui n’est pas censurable, neutre géopolitiquement », estime de son côté Philippe Herlin, convaincu que la cryptomonnaie peut prendre une place importante comme monnaie de réserve et de transaction, notamment pour les pays qui voudraient s’émanciper du dollar.

Fin mars, la Russie avait d’ailleurs émis l’idée que des pays puissent payer son gaz en bitcoins. Provocation ou clin d’œil, le président de la République centrafricaine Faustin-Archange Touadéra a déclaré sur son compte twitter quelques heures après la publication de la loi du 27 avril : « Bitcoin is universal money. »

 

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