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Les voix étouffées : Comment la société civile centrafricaine a été réduite au silence

Les voix étouffées : Comment la société civile centrafricaine a été réduite au silence

 

société civile centrafricaine
Les deux leaders de GTSC Gervais Lakosso et Paul Crescent Beninga

 

L’histoire d’une mise à mort programmée des contre-pouvoirs

 

Par la rédaction de Corbeaunews-Centrafrique.

 Dans les années 1960, une simple association de quartier à Bangui pouvait faire plier une décision ministérielle. Aujourd’hui, même les plus grandes organisations de la société civile peinent à se faire entendre au-delà de communiqués que personne ne lit. Ce constat amer, dressé par Élie OUEIFIO dans son ouvrage “La RCA doit-elle toujours dépendre des autres ?” (août 2024), illustre l’ampleur du désastre démocratique centrafricain. La mise au pas systématique de la société civile n’est pas un accident de l’histoire, mais le résultat d’une stratégie délibérée d’étouffement de toute voix indépendante.

 

Le processus d’asphyxie de la société civile centrafricaine s’est construit méthodiquement au fil des décennies. Au début de l’indépendance, les associations, syndicats et organisations citoyennes constituaient un véritable contre-pouvoir, capable non seulement de critiquer l’action gouvernementale mais aussi de proposer des alternatives crédibles. Les leaders associatifs étaient respectés, écoutés, et leur expertise était régulièrement sollicitée par les autorités. Cette époque semble aujourd’hui appartenir à un passé révolu.

Les voix étouffées : Comment la société civile centrafricaine a été réduite au silence Heritier-Doneng-un-des-chefs-de-la-milice-du-pouvoir-les-Requins-devenu-ministre-de-la-Jeunesse-et-des-Sports
Héritier Doneng, un des chefs de la milice du pouvoir, les ” Requins “, devenu ministre de la Jeunesse et des Sports

 

L’histoire d’une mise à mort de la société civile centrafricaine

 

La transformation de la société civile centrafricaine en coquille vide s’est opérée à travers plusieurs mécanismes pervers. Le premier fut l’infiltration systématique des organisations par le pouvoir. OUEIFIO révèle comment les régimes successifs ont méthodiquement placé leurs hommes de main à la tête des principales associations. “Un leader associatif trop critique se voyait soudainement confronté à une contestation interne instrumentalisée “, explique un ancien activiste. “Le scénario était toujours le même : division interne, création d’une faction dissidente, et finalement prise de contrôle par des éléments favorables au pouvoir“.

 

La mainmise financière constitue le deuxième instrument d’asservissement. En créant une dépendance totale aux subventions étatiques, le pouvoir s’est assuré une docilité absolue des organisations. Les rares structures qui tentent de maintenir leur indépendance se retrouvent étranglées économiquement, incapables de mener la moindre action concrète. “Nous en sommes réduits à mendier des photocopies pour nos communiqués”, confie amèrement le président d’une ONG de défense des droits humains.

Comment la société civile centrafricaine a été réduite au silence
Monsieur Blaise Didatien Kossimatchi, ex-enfant de rue, devenu depuis quelques années le grand griot et milicien du régime du Professeur Faustin Archange Touadera

 

L’intimidation physique et morale complète ce dispositif d’étouffement de la société civile centrafricaine.

 

Les exemples abondent dans l’ouvrage d’OUEIFIO : leaders associatifs brutalisés, locaux d’organisations vandalisés, militants harcelés judiciairement. La peur s’est installée comme mode de gouvernance. “Avant de publier le moindre communiqué, nous devons réfléchir aux conséquences pour nos familles”, témoigne un syndicaliste. Cette terreur silencieuse a progressivement transformé les organisations citoyennes en structures apathiques, plus préoccupées par leur survie que par leur mission.

 

La communauté internationale, loin de freiner ce processus, l’a paradoxalement accéléré. En privilégiant le dialogue avec des ONG “présentables” et dociles, les partenaires étrangers ont contribué à créer une société civile à deux vitesses : d’un côté, quelques organisations richement financées mais déconnectées du terrain, de l’autre, la masse des associations authentiques mais privées de moyens d’action.

 

Cette configuration perverse a engendré une professionnalisation artificielle de l’engagement citoyen. OUEIFIO décrit avec amertume l’émergence d’une nouvelle classe de “militants professionnels”, experts en rédaction de rapports formatés pour les bailleurs de fonds, mais incapables de mobiliser le moindre quartier pour une cause sociale. “Nos réunions se tiennent dans des hôtels climatisés pendant que la population souffre dans les quartiers”, dénonce un ancien militant. Cette déconnexion entre les organisations et leur base sociale a achevé de vider la société civile de sa substance.

 

L’éducation civique, autrefois pierre angulaire de l’action associative, a été la première victime de cette dérive. Les grandes campagnes de sensibilisation qui marquaient la vie des quartiers ont disparu. Les débats publics, les forums citoyens, les écoles populaires – tous ces espaces de construction d’une conscience civique ont été progressivement abandonnés. “Nous avons créé une génération d’ignorants civiques”, déplore un enseignant cité par OUEIFIO. “Des jeunes qui ne connaissent ni leurs droits ni leurs devoirs de citoyens.”

 

La manipulation médiatique a parachevé ce travail de sape.

 

Les rares voix critiques de la société civile centrafricaine  qui émergent encore sont systématiquement discréditées par une presse largement aux ordres. OUEIFIO documente minutieusement les campagnes de dénigrement instrumentées contre les leaders associatifs indépendants : accusations de corruption, rumeurs sur leur vie privée, insinuations sur leurs sources de financement. Cette guerre psychologique a créé un climat de suspicion généralisée qui paralyse toute velléité d’action collective.

 

Dans ce désert civique, quelques îlots de résistance de la société civile centrafricaine  subsistent néanmoins. L’auteur cite l’exemple de petites associations de quartier qui, loin des projecteurs et des financements internationaux, continuent d’œuvrer sur le terrain. Ces structures modestes, souvent animées par des femmes, maintiennent vivante la flamme de l’engagement citoyen. Leur action, bien que limitée, prouve qu’une autre forme de la société civile centrafricaine  reste possible.

 

Le secteur religieux, traditionnellement pilier de la société civile centrafricaine, n’a pas échappé à cette dynamique d’affaiblissement. OUEIFIO analyse comment les différentes confessions, jadis forces morales respectées et écoutées, se sont progressivement retrouvées piégées entre cooptation et marginalisation. “Quand les hommes de Dieu deviennent des hommes du pouvoir”, écrit-il, “c’est toute la société qui perd ses repères moraux”. Les rares leaders religieux qui maintiennent une position critique se retrouvent isolés, parfois même désavoués par leur propre hiérarchie.

 

La jeunesse, force vive naturelle de toute société civile, a été particulièrement ciblée par cette stratégie d’étouffement. Les mouvements de jeunesse authentiques ont été systématiquement remplacés par des organisations fantômes, créées de toutes pièces pour servir de caisse de résonance au pouvoir. “On nous offre des t-shirts et des per diem pour manifester notre soutien”, confie un jeune leader, “mais on nous menace si nous voulons manifester nos revendications”. Cette instrumentalisation de la jeunesse a créé une génération de cyniques, plus intéressée par les avantages matériels que par les enjeux citoyens.

 

Les syndicats, autrefois fers de lance des luttes sociales, ont connu un sort particulièrement tragique. OUEIFIO décrit leur transformation progressive en structures bureaucratiques, déconnectées de leur base et plus préoccupées par la gestion de leurs avantages que par la défense des travailleurs. “Nos dirigeants syndicaux roulent en 4×4 pendant que les travailleurs qu’ils sont censés défendre marchent à pied”, ironise un syndicaliste de base. Cette trahison des élites syndicales a laissé les travailleurs sans défense face aux abus.

 

Le monde universitaire, traditionnellement vivier de la pensée critique, n’a pas été épargné. Les associations d’étudiants, jadis redoutées pour leur capacité de mobilisation, ont été méthodiquement démantelées ou récupérées. Les enseignants-chercheurs engagés se sont vus progressivement marginalisés, remplacés par des universitaires plus dociles. “Nous formons désormais des diplômés qui savent réciter mais qui ne savent plus penser”, déplore un professeur cité dans l’ouvrage.

 

Face à ce tableau sombre, OUEIFIO identifie néanmoins quelques lueurs d’espoir. L’émergence des réseaux sociaux, malgré leur utilisation encore limitée dans le pays, a créé de nouveaux espaces d’expression citoyenne difficiles à contrôler. Des groupes de discussion en ligne, des forums virtuels, des initiatives digitales permettent à une nouvelle forme de société civile de se structurer, échappant partiellement aux mécanismes traditionnels de contrôle. “Le pouvoir peut fermer nos locaux, mais il ne peut pas fermer nos groupes WhatsApp”, observe un jeune activiste.

 

Le retour aux sources de l’engagement citoyen apparaît comme une autre piste de renaissance. Dans plusieurs quartiers de Bangui et certaines villes de province, des initiatives citoyennes spontanées émergent, loin des structures formelles et des financements officiels. Ces mouvements, souvent initiés pour résoudre des problèmes concrets du quotidien – assainissement, sécurité, entraide – recréent progressivement un tissu social et une conscience citoyenne que des décennies de manipulation n’ont pas totalement détruits.

 

L’international, paradoxalement, pourrait également jouer un rôle dans cette renaissance, à condition de changer radicalement d’approche. OUEIFIO plaide pour un soutien direct aux initiatives locales authentiques, plutôt qu’aux grandes structures bureaucratisées. “Nous n’avons pas besoin de consultants étrangers pour nous apprendre à être citoyens”, affirme-t-il. “Nous avons besoin de moyens pour mettre en œuvre nos propres solutions.”

 

La reconstruction d’une société civile authentique et puissante en RCA apparaît ainsi comme un défi majeur pour l’avenir du pays. Sans contre-pouvoirs véritables, sans voix citoyennes indépendantes, la démocratie restera une façade vide de sens. Comme le conclut OUEIFIO avec une lueur d’espoir : “Une société civile ne meurt jamais complètement. Elle peut être réduite au silence, mais tant qu’il reste des citoyens conscients et courageux, l’espoir d’une renaissance demeure.”

 

Cette renaissance, toutefois, ne pourra venir que d’une prise de conscience collective et d’un engagement renouvelé des Centrafricains eux-mêmes. La société civile ne retrouvera sa voix et sa force que lorsque les citoyens décideront de reprendre en main leur destin, au-delà des manipulations et des divisions artificielles. C’est à ce prix, et à ce prix seulement, que les voix étouffées pourront à nouveau se faire entendre.

 

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