Toujours en exil à Cotonou, l’ancien président centrafricain, Michel Djotodia, a été réélu le 11 juillet à la tête de l’ex-Séléka. Comment interpréter ce retour surprise ? “Jeune Afrique” répond en cinq points.
Une petite centaine de représentants de l’ex-Séléka venus de plusieurs régions de la Centrafrique se sont réunis les 9 et 10 juillet à Birao, dans l’extrême nord-est du pays. Le général Tumenta Chomu Martin, commandant de la force africaine, la Misca, était lui aussi présent. Les discussions ont débuté le 9 juillet en fin de journée, après la rupture du jeûne, dans la demeure du sultan de la Vakaga et se sont poursuivies le lendemain dans une salle de l’hôpital de la ville.
À l’issue de ce congrès, l’ex-rébellion, qui s’appelle désormais Front populaire pour la renaissance de Centrafrique (FPRC), s’est dotée d’un nouveau bureau politique composé de 26 personnes. Exilé à Cotonou depuis son départ du pouvoir en janvier, Michel Djotodia en est le nouveau président. En dessous de lui, on retrouve trois vice-présidents. Noureddine Adam (ancien numéro deux de la Séléka et responsable des services de renseignement du régime de Djotodia) est chargé des questions de défense et de sécurité, Mohamed Moussa Dhaffane de la logistique et de l’administration, Mahamat Taib Yacoub des questions économiques et financières. Ancien ministre du Tourisme, ce dernier est actuellement membre du cabinet du Premier ministre André Nzapayeké.
Djotodia, Adam et Dhaffane sont des historiques de la Séléka. Ce sont eux qui sont à l’origine de la création de cette alliance hétéroclite composée de plusieurs groupes rebelles qui a fondu sur Bangui en mars 2013. Ministre, avant d’être soupçonné de déstabilisation, puis arrêté, Moussa Dhaffane a semble-il été absous.
- Pourquoi Djotodia revient-il ?
“Nous serons de retour au pouvoir à Bangui avant la fin de l’année”, déclarait en juin l’ancien président Djotodia à un visiteur. Son élection ne fait que confirmer cette volonté affichée.
Djotodia est-il cet homme qu’il montrait, dépassé par les événements, incapable d’affronter les généraux de la Séléka ? Ou roulait-il tout le monde dans la farine ?
Ce retour laisse toutefois perplexe nombre d’observateurs. Lorsqu’il a quitté le pouvoir, ses proches avaient donné l’image d’un homme lassé et presque soulagé de se retirer. À Cotonou, ou il s’est exilé, Djotodia s’est reconverti en homme d’affaires, achetant plusieurs propriétés. Bref, pas de quoi se plaindre.
Alors pourquoi revenir ? “On ne comprend pas très bien, juge une source diplomatique française. En tout cas, ça ne va pas dans le sens du cessez-le-feu que nous attendons du forum de Brazzaville”, qui doit se tenir du 21 au 23 juillet (voir ci-dessous). “Il n’a jamais accepté de perdre le pouvoir”, répond un responsable de l’ex-Séléka.
Djotodia a toujours été un mystère pour les chancelleries. Est-il, comme il l’a souvent laissé entendre, cet homme dépassé par les événements, incapable d’assumer ses responsabilités et d’affronter les généraux de la Séléka ? Où roulait-il tout le monde dans la farine ? Sa réélection à la tête de la Séléka semble prouver que la deuxième option était la bonne.
Le silence dans lequel se mure Djotodia est en revanche source d’interrogations sans réponses. “Il est élu président et ne s’exprime pas. C’est tout de même très étrange”, confie un proche du dossier.
- Djotodia bientôt en RCA?
Pour le moment, cette option ne semble pas à l’ordre du jour. Un retour serait une énorme surprise. On imagine aisément la réaction de la population de Bangui…. Mais s’il revenait dans le Nord-Est ? Il faudrait pour cela qu’il soit prêt à quitter le confort de Cotonou. Et puis, Noureddine Adam occupe déjà le terrain.
Mais à terme, rien n’est exclu. Suivant les décisions qui seront prises à Brazzaville, il pourrait étudier un possible retour, affirme un de ses proches.
- L’ombre de Noureddine Adam
Son interlocuteur principal est donc Noureddine Adam. Les deux hommes ont planifié ensemble l’Assemblée générale de Birao, Djotodia donnant ses dernières consignes à Adam la veille lors d’un long appel téléphonique.
C’est Noureddine Adam qui a mené l’AG d’une main de fer, lui qui l’a convoquée et qui a obtenu qu’elle ait lieu à Birao et non à Bria comme prévu initialement. Devant les délégations du mouvement, son message fut clair : “Certains ont exprimé des vélléités de prendre la tête du mouvement. Ce n’est pas normal. La Séléka, c’est Michel et moi”, a-t-il déclaré.
Lorsque la liste des membres du nouveau bureau politique a été dévoilée, de nombreux cadres du mouvement ont exprimé leur désaccord.
Immédiatement après le congrès, l’ancien chef des services de renseignement a entamé une tournée dans la région de Birao pour expliquer la décision de rappeler Djotodia.
- Duo Adam-Djotodia : un accueil mitigé sur le terrain
Officiellement, tout le monde se réjouit du retour du duo Djotodia-Adam. Mais en coulisses, les choses sont bien différentes. Lorsque la liste des membres du nouveau bureau politique a été dévoilée, de nombreux cadres du mouvement ont exprimé leur désaccord. Zakaria Damane, cofondateur de l’UFDR (l’Union des forces démocratiques pour le rassemblement, le mouvement de Djotodia) disposant d’une forte aura sur le terrain, a même refusé d’en faire partie.
“Certains ne veulent pas du retour de Michel”, concède un membre de l’état-major. “Il n’y a pas eu d’élection, la décision nous a été imposée. La liste du bureau politique avait déjà été pré-établie, tout comme le communiqué final”, se plaint un participant de l’AG.
“Ils ne seront pas suivis, estime un membre de ce nouveau bureau. Djotodia et Adam ont déçu les hommes sur le terrain. Adam n’a même pas prévenu ses troupes quand il a quitté Bangui après le sommet de N’Djamena en janvier. La rancœur est encore présente”.
- Qui représentera l’ex-Séléka à Brazzaville ?
Michel Djotodia “personna non grata”, Noureddine Adam sous le coup des sanctions de l’ONU… Beaucoup s’interrogent sur la composition de la délégation de l’ex-Séléka qui sera à Brazzaville, où des négociations de paix doivent se dérouler du 21 au 23 juillet sous l’égide du médiateur congolais Denis Sassou Nguesso.
L’ancienne rébellion en dessine actuellement les contours. “Nous voulons qu’elle soit la plus représentative de nos courants politiques et militaires”, confie un ex-rebelle. Selon nos informations, elle devrait être dirigée par Moussa Dhaffane, accompagné de Abdoulaye Hissene, Mahamat Taib Yavoub et Moustapha Sabone, le frère d’Abakar Sabone.
Mais parlerons-ils tous d’une même voix ? “On a l’impression que la Séléka est encore plus divisée après Birao. Chacun roule pour lui-même”, conclut un diplomate français.
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Par Vincent DUHEM Pour Jeune Afrique