Centrafrique: PROBLÉMATIQUE DE LA RÈGLEMENTATION DES FINANCEMENTS DES PARTIS POLITIQUES EN RCA.
Bangui, le 28 novembre 2016. 11:55′.
Par: Doudou Bernard S.
La réglementation des partis politiques en Centrafrique est une vieille interrogation qui se pose avec acuité à la classe politique centrafricaine. Le nombre à trois chiffres des partis politiques et le pléthores des candidats à la dernière élection présidentielle posent la problématique de financement des partis politiques en Centrafrique. Les moyens et capacités de mobilisation disproportionnés lors des campagnes électorales nous interpellent quant à l’application du principe d’égalité des candidats devant les électeurs. A titre de rappel, un parti politique est une association de personnes qui partagent les mêmes opinions, les mêmes idées, les mêmes intérêts en vue de se faire élire, d’exercer le pouvoir et de mettre en œuvre un programme politique commun. Bref, c’est une organisation où les membres mènent une action commune à des fins politiques. C’est l’objectif de cogérer et de gouverner qui les différencie des autres organisations ou associations. A l’instar de toute association, les partis politiques s’organisent comme une entreprise privée qui doit avoir une personnalité morale, un compte bancaire, un siège social, tenir des congrès, se présenter aux différentes élections, avoir une structure administrative qui nécessite un patrimoine matériel et financier en vue de son fonctionnement. Les ressources des partis politiques sont traditionnellement composées de cotisations, des dons qui doivent être limités à un seuil, des legs des adhérents ou sympathisants et parfois des bénéfices réalisés sur des manifestations. Ces différentes recettes ne permettent pas de viabiliser les partis politiques. La balance budgétaire des partis politiques montre que les recettes sont souvent déficitaires par rapport aux dépenses. En conséquence, les besoins financiers des partis empiètent sur le patrimoine privé de son leader. Ainsi, la visibilité du parti est fonction de la valeur financière de son leader. Devant le déséquilibre du jeu démocratique, le citoyen lambda se posera légitimement la question du financement des partis politiques en Centrafrique. Ainsi, est-il légitime de réguler le financement des partis politiques ? Nous estimons que les partis politiques participent à l’équilibre du jeu démocratique, une mission d’intérêt général indispensable au processus démocratique. Donc, il apparaît normal que l’Etat leur donne des moyens sous forme de subvention pour financer leurs activités. D’ailleurs, la convention africaine sur la prévention et la lutte contre la corruption invite les États membres de l’Union africaine à adopté des mesures pour intégrer le principe de transparence dans le financement des partis politiques. Cependant, peu d’Etats ont une législation sur le financement des partis politiques. Dans ces États, les statistiques montrent toujours que les partis au pouvoir ont beaucoup d’adhérents par rapport aux autres parce qu’ils ont les moyens de leur politique. Ils écrasent toujours la concurrence, le jeu démocratique est faussé, les électeurs ne votent plus les meilleurs candidats, ils ne votent pas le programme mais le candidat qui a beaucoup d’argent. Lors des élections, l’argent prend le dessus sur le débat d’idées. L’électeur devient ainsi une marchandise à vendre. Cette pratique est immoral, porte atteinte à l’éthique et au principe d’égalité des candidats. En conséquence, cette pratique fragilise la démocratie. Pour les mêmes raisons d’éthique et de morale, la réglementation de financement des partis politiques en Centrafrique est opportune et indispensable car elle répondra à beaucoup d’interrogations et résoudra le fléau de la transhumance politique. Dans les faits, certaines personnalités politiques centrafricaine se retrouvent entre deux ou trois partis au cours d’une même élection c’est à dire entre les deux tours. Ces personnalités politiques changent d’orientation politique selon leurs humeurs, les saisons et cela en défiant les mots d’ordre ou consignes de vote de leurs partis respectifs. En contre-partie des financements par l’Etat, les partis politiques sont tenus de publier les comptes de chaque exercice. Alors devant ce pléthore de partis politiques en Centrafrique, on se demande ce qui les différencie réellement ? Beaucoup se retrouvent dans les mêmes courants de pensées et d’idéologies. Ainsi, comment peuvent-ils se contredire ? D’ailleurs peu de partis politiques participent à la course présidentielle, les autres qui n’existent que de nom et qui ne sont composés que de sa propre famille attendent de se faire phagocyter ou de rallier le parti au pouvoir et/ou en pôle position entre les deux tours afin de profiter de traitements de faveur. D’autres malins, n’ayant aucune idée à vendre, se déclare indépendants. Dans la sphère politique et dans toute démocratie, tout le monde ne peut pas gouverner, il y’a une majorité qui gouverne et une opposition qui s’oppose. C’est une exigence de la bonne gouvernance. Mais dans la pratique, on assiste généralement à la marginalisation et à l’exclusion des partis politiques d’opposition. C’est pour éviter l’écrasement qu’ils font recours aux financements occultes des lobbies, des grands groupes industriels, parfois des financements étrangers. Dans ce cas de figure, les partis politiques deviennent otages des groupes financiers qui vont exiger des traitements de faveur dans l’octroi des marchés publics. Cette situation met en danger la crédibilité et la souveraineté du pays. Dès lors que le prince de financement des partis politiques est acquis, le gouvernement ou les parlementaires peuvent initier un projet ou une proposition de loi définissant les critères et les modalités de financement. Ce qui mettra un terme à ce que nous appelons “corruption politique et électorale”. Cette loi obligera les parlementaires de façon formelle à verser une partie de leur salaire au parti. Ceci dit, tous les partis politiques ne seront pas financés. Nous estimons que c’est idoine de limiter le financement qui sera plafonné aux partis régulièrement inscrits au ministère de l’intérieur, qui ont des parlementaires représentés à l’assemblée nationale et/ou qui ont atteint un seuil en terme de pourcentage aux dernières élections. Cela empêchera les fraudeurs d’exploiter les failles de la loi c’est à dire créer un parti juste pour avoir des subventions. Ce n’est pas une discrimination mais il faut des critères pour limiter le nombre de partis politiques sans pour autant porter atteinte à la liberté de création et d’exercice des partis politiques. Avec cette injonction de présenter des comptes, qu’adviendrait-il en cas d’irrégularités dans les comptes ? Nous estimons important que le gouvernement mette en place un organe indépendant de contrôle à l’instar de la commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques ( CNCCFP ) en France qui contrôle les dépenses des partis et surtout l’origine des financements. Cette institution va au nom du principe d’égalité des candidats devant les électeurs, appliquer des sanctions dissuasives, administratives, pécuniaires voire saisir les tribunaux. Mais attention, ne le dites à personne. Si on vous demande, ne dites pas que c’est moi.
Paris le 26 novembre 2016.
Bernard SELEMBY DOUDOU
Juriste, Administrateur des Elections. Tel : 0666830062