CENTRAFRIQUE : LES SCÉNARIOS JURIDIQUES POST DESTITUTION DU PRÉSIDENT DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE ET SES EFFETS.

Publié le 26 octobre 2018 , 6:36
Mis à jour le: 26 octobre 2018 6:36 pm
Monsieur Bernard Selembi Doudou, CNC.

 

 

 

CENTRAFRIQUE : LES SCÉNARIOS JURIDIQUES POST DESTITUTION DU PRÉSIDENT DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE ET SES EFFETS. 

 

 

 

La procédure de destitution du président de l’assemblée nationale a été initiée par une frange de députés sur la base de la violation de l’article 70 de la constitution et l’article 12 de la loi N*17.011 du 14 mars 2014. Le nombre de signataires a largement dépassé le minimum requis par les textes en vigueur ouvrant royalement la voie de la recevabilité de la pétition nonobstant d’énormes irrégularités liées à la forme du document, les doutes et réserves sur l’authenticité des signatures. La pétition relative à la destitution du président de l’assemblée nationale a fait l’objet d’un minutieux examen devant la conférence des présidents de l’assemblée nationale avant d’être débattue en plénière. Il est important de rappeler que le désormais ex-président de l’assemblée nationale qui n’a nullement bénéficié de la présomption d’innocence qui est un principe fondamental de droit a méthodiquement et surtout de façon pyramidale démonté les griefs fantaisistes qui lui sont maladroitement reprochés. Il est par ailleurs important de souligner la présence dans l’hémicycle de la presse locale, internationale et au final les parlementaires centrafricains ont fait preuve d’une organisation démocratique d’un débat contradictoire quand bien même pré-orienté, louable et qui peut servir d’exemple, de cas d’école au niveau de la sous région. Comme les algèbres ne peuvent se confondre avec les arithmétiques, le sort du président de l’assemblée nationale était malheureusement connu avant le simulacre de plénière marathonienne caractérisé par la corruption et le déni de vérité. En bon démocrate, le président de l’assemblée nationale s’est prêté au jeu et sans surprise la sentence du vote a été fatidique.  140 suffrages exprimés y compris les procurations ou mandats, 98 parlementaires ont voté pour la destitution du président de l’assemblée nationale contre 41, on enregistre également zéro abstention et un bulletin nul. Conformément à la constitution et au règlement intérieur qui régissent le fonctionnement de l’assemblée nationale, le président de l’assemblée nationale est déchu de son poste et l’intérim de la présidence est assuré provisoirement par le premier vice-président en attendant l’élection du nouveau président de l’assemblée nationale dans trois jours francs pour assurer la suite de la sixième législature. Fatigué et lassé par ce long débat qui ne sert ni la démocratie ni le peuple meurtri, le citoyen lambda s’interroge :

Qu’est-ce que la destitution du président de l’assemblée nationale a changé dans la crise centrafricaine ? Face aux risques de débordements et de récupérations politiques qui peuvent ébranler les fondements de notre démocratie, l’option de la destitution du président de l’assemblée nationale est-elle l’idéale dans la résolution de la crise ? N’a t-on pas l’impression que les choses vont de mal en pire ? Par ce vote, l’assemblée nationale a t-elle légalisé la corruption qui malgré tout est un délit pénal ? Après la destitution, va t-on poursuivre judiciairement le président de l’assemblée nationale pour les griefs pénaux qui ont motivé les choix des parlementaires ? L’ancien président de l’assemblée nationale va t-il se muer en farouche opposant ou va t-il abandonner son mandat et s’exiler ? A travers ce mascarade de vote, quelles leçons les rescapés du KNK initiateurs de la procédure veulent enseigner au peuple ? Par ce coup d’état parlementaire, les acquis démocratiques et la cohésion sociale sont-ils remis en cause ? Où sont les éminents « constitutionnalistes » pour éclairer la lanterne des centrafricains ? Quelle est la réaction du parlement de la Communauté Économique et Monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC) sur l’interprétation abusive des dispositions constitutionnelles ? Et si le président de l’assemblée nationale déchu refuse de céder son fauteuil au motif que les textes n’ont pas été respectés ? Quels sont les différents scénarios possibles ?

De prime à bord, l’ex président de l’assemblée nationale peut s’inscrire dans la logique d’une longue bataille juridique en demandant à la haute cour constitutionnelle de valider souverainement le vote aux regards des textes qui régissent le fonctionnement de l’assemblée nationale. A titre d’illustration, la cour constitutionnelle malgache avait invalidé la motion de destitution du président de l’assemblée nationale au motif que les griefs évoqués ne sont pas juridiques. S’il refuse la sentence, les parlementaires qui se réclament du « chemin de l’espérance » vont boycotter les activités de l’assemblée nationale qui ne fonctionnera que sur la base de méfiance et d’accusations. Le président de l’assemblée nationale sera ainsi qualifier d’illégitime, d’illégal et d’anti-démocratique. On assistera ainsi à une dualité de directoire ( deux présidents : un de droit et un de fait) synonyme de blocus c’est à dire une crise institutionnelle. Le parlement centrafricain s’inscrira ainsi dans la logique du parlement algérien. Pour éviter la crise institutionnelle, le Président de la République peut envisager la dissolution de l’assemblée nationale. Il faut rappeler qu’en cas de dissolution, le Président de la République est obligé de légiférer par ordonnance et cela est souvent limité dans le temps alors que certains dossiers exigent l’accord formel du parlement. Par ailleurs, le trésor public ni les bailleurs de fonds ne sont pas disponibles pour financer une éventuelle élection législative. En tout état de cause, cette destitution est l’aboutissement d’une lutte politique entre clans, d’un difficile partenariat entre l’exécutif et le législatif depuis le début de la sixième législature. Le pouvoir exécutif s’emparera du législatif, portant ainsi atteinte au principe de séparation de pouvoir, à l’état de droit. De toute évidence, c’était le seul scénario possible pour contourner les dispositions de l’article 60 de la constitution qui exigeait l’accord du bureau de l’assemblée nationale avant la signature de tous contrats miniers par le gouvernement. Mais attention, ne le dites à personne. Si on vous demande, ne dites pas que c’est moi.

 

Fait à Paris le 26 octobre 2018

Par : Bernard Selemby Doudou, CNC.

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