Ils plongent en apnée dans l’Oubangui pour remonter de lourd seaux de sable et de gravier à bord de pirogues en bois. Un travail harassant et risqué pour gagner à peine de quoi survivre dans la capitale centrafricaine
«Maintenant, c’est l’état de guerre, le temps de la destruction. Mais nous, on vit de la construction. Alors, le business, ça va un peu, un peu… »
Sinclair, tout en muscles, remplit avec trois autres jeunes « pêcheurs de sable » à coups de vives pelletées l’arrière d’un camion benne au bord du fleuve Oubangui dans la capitale centrafricaine.
Ils ont 20, 25, parfois 30 ans. Maximum. Plonger en apnée au fond de l’Oubangui pour remplir un seau de sable fin ou de gravier, à cinq mètres en saison sèche, jusqu’à 12 mètres en saison des pluies, dix, vingt, trente, quarante fois par jour, n’assure pas une longévité de vie exceptionnelle.
Mais ils sont les enfants de la Centrafrique, pays classé dans les derniers à l’Indice de développement humain des Nations unies, c’est-à-dire l’un des plus miséreux. Une pauvreté aggravée par l’état de guerre qui a saisi le pays depuis 2013.
Alors, ces jeunes Lagbachi, une ethnie riveraine du fleuve comme les Yakoma, qui eux pêchent des poissons, n’ont pas le choix pour survivre. Ils pêchent le sable, le gravier, à bord de pirogues en bois.
« Mon père faisait déjà ça, et même son père ». Mais Sinclair ne possède pas de pirogue. Il se loue à la journée, comme les autres jeunes. Il peut gagner jusqu’à 2 500 francs CFA, soit 3 euros, les jours fastes, quand il charge avec un compagnon 6 à 7 pirogues.
Sinclair travaille pour Faustin Madungou, la trentaine, qui possède deux pirogues. Les pirogues sont construites dans la forêt par des villageois.
Barthélémy Mikiliya, plus âgé, possède aussi une pirogue. « Mon père m’a enseigné, m’a cédé sa place. » Tout en parlant, il surveille le débarquement de sa pirogue par les jeunes qui, paniers de 30 kg sur la tête, gravissent silencieusement sous l’effort la berge pour jeter le sable sur le tas de l’acheteur. Lequel le revend aux rares clients en cette période difficile pour toute la société centrafricaine. « L’activité a un peu repris en février », quand les violences dans Bangui ont commencé à s’apaiser, explique Barthélémy.
Des tympans sautent
Un mètre cube de bon gravier (plus cher que le sable) se vend 14 000 francs CFA, soit 20 euros.
Sinclair a la joue gauche déformée par un ganglion enflammé, pas soigné efficacement, faute d’argent. Chaque fois qu’il plonge, l’eau avive la plaie.
Les maladies sont nombreuses, explique Barthélémy : hernies, paludisme, oreilles et yeux fragilisés. « On plonge sans casque sur les oreilles, des tympans sautent ». « Il y a aussi des problèmes de noyade, les plongeurs ne savent pas tous nager », dit Barthélémy.
Certaines pirogues vont loin, jusqu’à la rive de la République démocratique du Congo, en face.
Celles qui rentrent sont lourdement chargées, leur bord affleure l’eau. Un faux mouvement, une vague, elles peuvent chavirer. « Si une pirogue rentre trop légère, le patron renvoie les pêcheurs chercher d’autres seaux avant qu’ils n’accostent », explique Barthélémy.
Combien de temps dure une plongée en apnée ? Sinclair dit « deux secondes », Barthélémy et Faustin le reprennent, « non, au moins 10 secondes ! ».
Le plus dur moment : lorsque, une fois le seau rempli de sable au fond du fleuve, le plongeur doit se propulser vers le haut. « Notre travail nécessite beaucoup d’énergie, et, en ce moment, les gens ne construisent pas, alors y a pas d’argent pour bien manger, pas d’énergie », explique Sinclair.
Que faire d’autre ? Sinclair ne sait pas.