À Bangui, ils sont moins de trois mille, retranchés dans ce quartier dont ils ne peuvent sortir sans risquer leur vie. Dans un pays ravagé par la violence, il ne fait plus bon s’afficher musulman.
Ce sont les derniers musulmans de Bangui. Deux mille, peut-être trois mille personnes – hommes, femmes, enfants -, qui n’ont pas pu ou pas voulu fuir la capitale centrafricaine. Aujourd’hui, c’est trop tard. Quitter ce quartier où ne s’aventurent plus ni la police ni la gendarmerie serait signer leur arrêt de mort. Pour eux, le PK5 est une prison à ciel ouvert.
Ils y vivent reclus depuis le 5 décembre 2013. Ce jour-là, les milices chrétiennes anti-balaka lancent une offensive coordonnée contre les combattants musulmans de la Séléka qui ont renversé François Bozizé et porté Michel Djotodia au pouvoir. De combats en représailles, les violences durent près de trois jours et font au moins 500 morts (le double, si l’on en croit Amnesty International). Six mois plus tard, les murs du PK5 sont barrés de tags rageurs pour la plupart hostiles à la France, dont les Nations unies ont, ce même 5 décembre, autorisé l’intervention militaire.
“François Hollande, arrêtez de tuer les musulmans !” “Sangaris, voleurs de diamants !”… La protection des Français, les habitants du quartier n’y croient plus. Pas plus qu’ils ne croient en celle des Casques bleus rwandais et burundais de la Misca, affectés à la surveillance du PK5, ou qu’ils ne comptent sur le soutien de la présidente Catherine Samba-Panza, qu’ils accusent de complicité. Depuis le mois de février, le quartier a été attaqué 52 fois par les anti-balaka.
Souleymane est un ancien membre de la Séléka. Il revendique le grade de capitaine et se dit déterminé à assurer la sécurité dans son quartier. “Au début, on soutenait les Français, mais ils n’ont rien fait pour nous protéger”, soupire-t-il. La Séléka est officiellement dissoute, mais Souleymane dit lui rester fidèle. Pas question de déposer les armes.
Comme lui, les habitants du quartier tiennent tout à la fois l’Église centrafricaine, François Bozizé et le gouvernement pour responsables des violences et de l’ostracisme dont ils sont victimes. Leurs commerces sont fermés, les étudiants sont privés de cours, les travailleurs ne peuvent pas sortir du PK5 récupérer leurs salaires… Sans la solidarité de quelques chrétiens qui peuvent aller et venir sans craindre les représailles des anti-balaka, les musulmans n’auraient depuis longtemps plus rien à manger.
À Bangui, on se méfie du PK5, considéré comme le fief des anciens rebelles et de leurs anciens alliés, les mercenaires tchadiens. Dans le quartier de Notre-Dame-de-Fatima, Emmanuel s’emporte contre ces “extrémistes qui veulent chasser les vrais Centrafricains. S’ils ne peuvent pas sortir du PK5, c’est de leur faute ! La Séléka a fait des choses terribles !”
La rhétorique xénophobe est à son comble : un habitant du PK5 est forcément jihadiste, tchadien, soudanais ou terroriste, mais jamais centrafricain. Le quartier attise tous les fantasmes. La rumeur veut que même les lycéennes enlevées par la secte Boko Haram dans le nord du Nigeria soient passées par là.
L’attaque de l’église de Notre-Dame-de-Fatima, le 28 mai, a crispé davantage encore les deux communautés. Trois jours de deuil national et des funérailles en grande pompe ont été organisés en hommage à l’abbé Paul-Émile Nzalé, qui figurait parmi les quinze personnes tuées ce jour-là. Pour les musulmans du PK5, cela ne fait aucun doute, c’est bien la preuve que le gouvernement favorise la majorité chrétienne : chez eux, cela fait des mois que les morts sont enterrés derrière les habitations ; le cimetière musulman, situé de l’autre côté du pont Jackson, est dans une zone contrôlée par les anti-balaka.
“On raconte des mensonges sur nous alors que nous sommes nés en Centrafrique”
Une vieille Toyota stationne devant la mosquée Ali Babolo, l’une des quatre mosquées encore debout sur la trentaine que comptait la ville. À son bord, quatre jeunes armés de kalachnikovs montent la garde. Le vieil imam de la mosquée, Yaya Wazziri, dit y avoir préparé les corps de 595 musulmans. Certains ont été décapités, égorgés, d’autres ont été brûlés vifs…
Tous, affirme-t-il, ont été victimes de cet amalgame qui fait qu’en Centrafrique aujourd’hui un musulman est forcément un combattant de la Séléka, de Boko Haram ou même d’Al-Qaïda. “On raconte des mensonges sur nous, alors que nous sommes nés en Centrafrique, s’indigne Harouna, un jeune étudiant de 20 ans. On nous tue, on nous déchiquette, mais nous avons le droit d’être ici. Nous n’avons rien à voir avec la politique !” Lazare, un chrétien du PK5, renchérit : “Pourquoi mon frère ne peut-il pas aller au bureau ou à l’hôpital ? Pourquoi ne peut-il pas emmener ses enfants à l’école ? Si Boko Haram habitait le quartier, j’appellerais moi-même le ministre de la Sécurité !”
Par: Jeune Afrique