le pays a perdu son âme. Reportage glaçant à l’hôpital pédiatrique de Bangui

Rédigé le 05 novembre 2025 .
Par : la rédaction de Corbeaunews-Centrafrique (CNC).
Il y a des scènes qu’on ne peut pas oublier dans notre vie. Ce dimanche 2 octobre 2025 à l’hôpital pédiatrique de Bangui, nous avons vu un pays à genoux. Des bébés qui pleurent et tremblent entre les mains de leur maman. Aucun médecin présent. Des parents désespérés. Des agents qui s’en fichent. Trois heures de reportage qui résument tout ce qui ne va pas en Centrafrique. L’humanité a disparu.
Dimanche 2 novembre 2025, 14h30. Notre équipe de reportage pousse les portes de l’hôpital pédiatrique de Bangui. Nous avons déjà visité plusieurs centres hospitaliers ces dernières semaines. Nous avons déjà vu des choses difficiles. Mais rien ne nous avait préparés à ce que nous allons découvrir ici pendant les trois prochaines heures uniquement.
Dès l’entrée, l’odeur nous saisit. Un mélange de désinfectant, d’urine et de désespoir. Des femmes assises sur des bancs avec leurs bébés malades que certains pleurent.
Nous nous dirigeons vers le service des urgences. C’est là que les cas les plus graves arrivent. C’est là que la vie et la mort se jouent en quelques minutes. C’est là que nous allons comprendre à quel point ce pays a sombré dans le chaos.
Dans la salle d’attente des urgences, une maman est assise sur un banc en bois. Elle tient son enfant contre elle. L’enfant a peut-être 13 ans. Peut-être moins. Difficile à dire. L’enfant respire difficilement. On entend le bruit. Ce bruit caractéristique quand l’air ne passe plus bien. Quand les poumons luttent. Quand chaque respiration est un combat.
La maman berce doucement son bébé. Elle murmure des mots que nous n’entendons pas. Des prières peut-être. Ou juste des paroles réconfortantes pour son enfant. C’est une fillette. Ses yeux sont rouges.
Nous nous approchons de la maman. Nous lui demandons l’enfant souffre de quoi ? Elle nous répond que l’enfant a un problème de respiration profonde. Et depuis combien de temps elle attend ici? Elle lève les yeux vers nous et répond : deux heures, dit-elle. Deux heures qu’elle est là avec son bébé qui suffoque. Deux heures qu’elle attend qu’un médecin vienne examiner son enfant.
Mais sur place, pas de docteur. Dans un service d’urgences pédiatriques. Un dimanche après-midi. Avec des enfants qui arrivent en détresse respiratoire.
Quelques minutes plus tard, une autre maman arrive en détresse. Elle porte son enfant dans les bras. L’enfant tremble. Des tremblements violents. Incontrôlables. C’est une crise de paludisme grave. Nous le reconnaissons immédiatement. Nous avons vu ça trop souvent dans ce pays.
La maman revient vers le guichet. Elle fait rapidement la procédure pour voir le docteur. “Mon enfant est très malade. Il tremble. Il a de la fièvre. S’il vous plaît, aidez-moi.”
La maman retourne s’asseoir après avoir fini à l’accueil. Elle est toujours en détresse. Son enfant, un petit garçon de 10 ans continue de trembler dans ses bras. Et personne ne fait rien.
Nous restons là. Nous observons. Nous prenons des notes. Nous filmons discrètement. Trente minutes passent. Les deux bébés sont toujours là. La première maman avec son enfant en détresse respiratoire. La deuxième avec son enfant qui tremble de paludisme. Et toujours pas de médecin.
Une heure passe. Rien. Les agents de santé vont et viennent. Ils discutent entre eux. Ils rient même parfois. Comme si de rien n’était. Comme si ces deux enfants qui souffrent à quelques mètres d’eux n’existaient pas.
Deux heures. Nous n’en pouvons plus. Nous décidons d’intervenir. Nous allons voir la secrétaire.
“Madame, excusez-nous. Il y a deux enfants là-bas qui attendent depuis deux heures. L’un a des difficultés respiratoires. L’autre fait une crise de paludisme. Ils sont dans un état grave. Pourquoi ne sont-ils pas pris en charge ?”
La dame lève à peine les yeux de son téléphone. “Le docteur n’est pas là”.
“Comment ça, le docteur n’est pas là ? Nous sommes aux urgences. Il doit toujours y avoir un médecin de garde.”
“Le docteur qui était là est parti. Son remplaçant n’est pas encore arrivé”.
“Parti où ? Et pourquoi est-il parti avant l’arrivée de son remplaçant ?”
“Mais ces enfants sont en danger. Vous ne pouvez pas appeler un autre médecin ? Il n’y a vraiment personne d’autre dans tout l’hôpital ?”
“Il n’y a qu’un seul pédiatre de garde le dimanche. Il faut attendre.”
Un seul pédiatre. Pour tout l’hôpital pédiatrique de Bangui. Un dimanche. Le jour où les familles n’ont pas accès aux centres de santé privés. Le jour où tout le monde vient à l’hôpital public. Un seul pédiatre. Et il n’est même pas là.
Nous retournons voir les deux mamans. Nous leur expliquons la situation. Elles ne disent rien. Elles savent déjà. Elles connaissent ce système. Elles savent qu’il n’y a rien à faire. Qu’il faut attendre. Attendre et espérer que leurs enfants tiennent le coup.
Nous décidons de continuer notre visite. Nous voulons voir les autres services. Comprendre si c’est partout pareil. Si tout l’hôpital est dans cet état.
Nous nous dirigeons vers le service de traumatologie pédiatrique. C’est là qu’on soigne les plaies. Qu’on nettoie les blessures. Qu’on fait les pansements.
Dans le couloir, un père attend avec son fils avec des nombreux autres patients. L’enfant a une plaie au bras. Un bandage sale recouvre la blessure. Le père tient à la main un papier. Un rendez-vous médical.
Nous engageons la conversation. Le père nous explique. Il y a deux jours, il est venu avec son fils. Un médecin a examiné la plaie. Il l’a nettoyée. Il a fait un bon travail. Et à la fin, il a donné un rendez-vous. “Revenez dimanche à 15 heures pour changer le pansement.”
Le père a respecté le rendez-vous. Il est là. Dimanche. 15 heures. Comme demandé.
Mais le médecin qui avait donné le rendez-vous n’est pas là. À sa place, une nouvelle doctoresse.
La porte du service est fermée. Le père attend. D’autres parents attendent aussi avec leurs enfants. Quinze minutes passent. Vingt minutes. La porte reste fermée.
Finalement, la porte s’ouvre. La doctoresse apparaît. “Entrez”, dit-elle sèchement.
Mais la porte ne s’ouvre pas complètement. Elle est bloquée de l’intérieur par des table-bancs que la doctoresse a empilés derrière. Pourquoi ? Nous ne savons pas. Peut-être pour se protéger des patients. Peut-être par flemme de tout ranger.
“Entrez, j’ai dit. Qu’est-ce que vous attendez ?”
Les parents se regardent. Comment entrer quand la porte est bloquée ? Ils font des efforts. Ils se faufilent. Ils poussent. Le père prend son fils dans les bras et se glisse dans l’ouverture.
Nous nous glissons aussi. Discrètement. Nous voulons voir ce qui va se passer.
“Asseyez-vous”, ordonne la doctoresse au père.
Le père regarde autour de lui. “M’asseoir où, madame ? Il n’y a pas de chaise.”
“Asseyez-vous, j’ai dit !”
Le père reste debout. Avec son fils dans les bras. Il ne sait pas quoi faire.
La doctoresse s’énerve soudainement. “Tu viens faire quoi ici ?”
Le père, surpris par l’agressivité, répond calmement : “C’est pour la plaie de mon fils. Le docteur m’a donné rendez-vous aujourd’hui à 15 heures.”
“On ne fait pas ça l’après-midi! Pourquoi tu viens à l’après-midi? On fait les pansements le matin. Le matin ! Pas le soir.”
Le père montre le papier. “Mais madame, c’est le docteur qui a écrit ici. Dimanche 15 heures. Ce n’est pas moi qui ai décidé. C’est le docteur.”
La doctoresse attrape le papier. Elle le regarde à peine. “C’est faux. On ne donne jamais de rendez-vous le soir. Vous devez venir le matin.”
“Mais madame, c’est écrit là. Sur le papier officiel de l’hôpital. Avec le tampon du docteur.”
“Je m’en fiche de ce qui est écrit. Ici, on travaille le matin. Vous revenez demain matin.”
Nous sortons avec lui. Nous sommes aussi choqués que lui. Comment peut-on traiter les gens comme ça ? Comment peut-on être aussi insensible ? Comment peut-on manquer à ce point de professionnalisme et d’humanité ?
Les trois heures que nous avons passées à l’hôpital pédiatrique nous ont ouvert les yeux. Ce n’est pas juste un problème de manque de moyens. Ce n’est pas juste un problème de manque de médecins. C’est un problème beaucoup plus profond. C’est un problème de perte totale de conscience professionnelle. De perte d’humanité. De perte d’âme.
Les médecins partent avant l’arrivée de leurs remplaçants. Ils laissent des bébés en détresse pendant des heures sans soins. Les agents de santé sont indifférents à la souffrance des enfants. Ils passent devant des bébés qui tremblent, qui suffoquent, et ils ne font rien. Les doctoresses crient sur les parents qui respectent les rendez-vous. Elles les chassent. Elles les humilient.
Ce que nous avons vu à l’hôpital pédiatrique de Bangui n’est pas un cas rare dans le pays. C’est le reflet de tout ce qui va mal dans ce pays. La Centrafrique a perdu son âme. Les gens n’ont plus de conscience. Ils n’ont plus de sentiment humain. Ils n’ont plus la volonté d’aider leurs compatriotes.
La crise qui a frappé le pays a rendu tout le monde insensible à la souffrance. Y compris les professionnels de santé qui sont censés sauver des vies. Y compris les médecins qui ont prêté le serment d’Hippocrate. Y compris les infirmiers qui ont choisi ce métier pour aider les autres.
Le système de santé s’est effondré. Non pas seulement à cause du manque de moyens. Mais surtout à cause de la disparition totale de l’éthique professionnelle. À cause de l’indifférence généralisée. À cause de l’absence totale de sanctions.
Nous avons compris ce jour-là pourquoi le général Ouandé, à l’époque du Président Bozizé, était venu à l’hôpital pédiatrique, avait été obligé de frapper les agents de santé pour que son enfant soit traité. Il avait raison. Totalement raison.
Ce reportage n’est que le début. Nous avons vu tellement d’autres choses pendant ces trois heures. Des choses encore plus graves. Des choses encore plus choquantes. Nous en parlerons dans nos prochains articles. Parce qu’il faut que les Centrafricains sachent. Il faut que le monde sache. Il faut que tout le monde voie à quel point ce pays est tombé bas.




