Au lendemain des indépendances, les États africains étaient gérés sous le règne des partis uniques c’est à dire des partis État où le Président de la république en majorité des militaires étaient à la fois les législateurs, les protecteurs ou garants des droits fondamentaux et les principaux ordonnateurs des dépenses publiques.
Depuis la conférence de la Baule dans les années 1990, le vent de la démocratie et du multipartisme a soufflé sur toute l’Afrique et n’a pas épargné notre chère nation qui a libéralisé le multipartisme un an plus tard sous le régime présidentiel du général d’armée André Kolingba. Une longue période d’apprentissage a permis un encadrement juridique des activités des partis politiques avec l’avènement de l’ordonnance N* 05.007 du 02 juin 2005 relative aux partis politiques et aux statuts de l’opposition en Centrafrique.
Ainsi, aux termes des dispositions de l’article 3 et 15, les partis ou mouvements politiques peuvent se constituer librement dans le respect de la présente ordonnance. Cette ordonnance considérée comme la loi cadre détermine en son article 1 les conditions de création, de déclaration, de regroupement, de suspension, de dissolution et de financement des partis ou groupements politiques ainsi que le statut de l’opposition en Centrafrique.
A titre de rappel, le président de la république fut et demeure à ce jour le deuxième vice-président de l’ancien parti au pouvoir. Ce dernier a accédé à la magistrature suprême de l’Etat avec le statut de candidat indépendant et depuis lors, il a créé son mouvement politique en violation flagrante des dispositions de l’alinéa 6 de l’article 7 de l’ordonnance qui dispose que : « nul ne peut adhérer à plus d’un parti politique à la fois ».
S’agissant de la déclaration administrative de constitution d’un parti ou mouvement politique, l’article 19 de l’ordonnance énumère les démarches et documents à fournir à la Direction des affaires politiques et administratives du ministère de l’intérieur et de l’administration du territoire
parmi lesquels les certificats médicaux de tous les membres fondateurs, les casiers judiciaires, les attestations de résidence, les statuts et règlements, le procès verbal de l’assemblée constitutive, une liste de deux cent (200) signatures d’adhésion par préfecture dans au moins neuf (9) préfectures et surtout la lettre de démission en cas d’appartenance antérieure à un autre parti politique.
Animé par le souci de se représenter et l’utopie de gagner aux prochaines échéances électorales, un mouvement politique a été agencé en toutes pièces et surtout à la « va vite ». Face à la fulgurante promotion sur les médias d’Etat réquisitionnés et face à l’envie de s’installer même dans les zones non contrôlées par le pouvoir depuis leur avènement, le citoyen lambda s’interroge :
Le mouvement politique « cœurs unis » qui soutient les actions politiques du président de la république a t-il une existence légalement constituée ? Ce mouvement a t-il reçu l’agrément ou la reconnaissance du ministère avant de commencer ces activités ?Les procédures de création et d’enregistrement des partis ou mouvements politiques ont-elles été respectées ? Peut-on adhérer simultanément à deux partis ou mouvements politiques ? Les certificats médicaux et les casiers judiciaires de tous les membres fondateurs sont-ils de nos jours consultables à la direction des affaires politiques et administratives du ministère de l’intérieur ? Cette direction n’a t-il pas subi des pressions quelconques de la part du pouvoir ? Comment le mouvement cœurs unis a procédé pour récolter deux cent (200) signatures dans au moins neuf (9) alors que le pouvoir ne contrôle que 20% du territoire national ?
Au delà de ces précieuses interrogations, les stigmates de la magouille et de pressions tous azimuts sont palpables. Logiquement, après le dépôt de la déclaration de création, un récépissé valable quarante cinq (45) jours est délivré gratuitement en attendant l’étude du dossier.
Pendant cette période d’examen de dossier, le parti politique ne peut exercer ses activités traditionnelles mais est-ce que le mouvement politique du chef de l’état avait observé cette période de carence ? Rien n’étonne personne et nous recommandons in fine aux parlementaires nonobstant leur mutisme complice devenu viral même devant les tueries de masse de faire usage de leur pouvoir constitutionnel afin de clarifier et de respecter l’esprit de l’ordonnance portant statuts des partis et mouvements politiques.
Mais attention, ne le dites à personne. Si on vous demande, ne dites pas que c’est moi.
Paris le 24 mai 2019.
Bernard SELEMBY DOUDOU.
Juriste, Administrateur des élections.
Tel : 0666830062.