Centrafrique : la commercialisation du bétail alimente le conflit
Bangui 22 mars 2017, CNC.
Par Eric NGABA
S’il faut se pencher sur la dimension de la commercialisation des bœufs pour arriver à résoudre le conflit en République Centrafricaine, le gouvernement a intérêt à normaliser le secteur bovin. D’après les données recueillies, la commercialisation du bétail alimente le conflit dans le pays car cela constitue un circuit de ravitaillement des groupes rebelles en moyens de guerre pour continuer les hostilités. D’après Lamido Issa Bi Amadou, Chargé de mission en gestion des conflits communautaires, les 1500 têtes de bétail convoyées depuis les provinces à Bangui, sont des bœufs appartenant aux chefs de guerre qui s’en servent pour se ravitailler en armes de guerre. 3 milliards de FCFA sont la somme mensuelle que recouvrent les groupes armés d’où la nécessité de les anéantir en réglementant la commercialisation de bétail.
La commercialisation de bétail fortement affecté par la crise politico-militaire à la suite de la prise du pouvoir par la coalition rebelle de la Seleka en mars 2013. Les éleveurs, notamment peuls centrafricains, ont de la peine à exercer les activités. Cette situation a contraint une bonne partie d’éleveurs à l’exil vers les pays frontaliers de la République Centrafricaine. Ceux qui ont décidé de rester dans le pays tentent tant bien que mal à poursuivre l’élevage de bétail. Certains d’entre eux font souvent l’objet d’attaque des groupes armés dont l’objectif est de les déposséder de leurs troupeaux. Deux facteurs permettent de décrire cette situation notamment la production et la commercialisation de bétail.
Le bétail comme pain de guerre des groupes armés
Dans cette situation, la production et la commercialisation des bœufs échappent au contrôle du gouvernement au profit des groupes armés qui continuent à s’enrichir. Cette commercialisation illégale rapporte énormément des sous aux rebelles qui s’en servent pour se ravitailler en arme à travers les pays voisins notamment le Tchad et le Soudan. Du coup, le bétail est devenu le pain de guerre des groupes armés qui écument tout le territoire national.
« Après le coup d’Etat de la Seleka contre le régime du Général François Bozizé, les rebelles ont occupé tout le pays notamment les zones d’élevages. Et dans ces zones d’élevage, ils se sont mis à voler les bétails des éleveurs. Donc beaucoup de nos bœufs sont convoyés vers le Tchad et le Soudan par les mercenaires. A partir de 2014 avec l’apparition des Antibalaka, les deux groupes armés ont volé les bétails des éleveurs et tué les éleveurs. C’est ce qui a contraint la moitié des éleveurs à l’exil », a expliqué Lamido Issa Bi Amadou dans un entretien exclusif à notre rédaction.
D’où viennent ces bétails avec un taux élevé d’abattage?
La préoccupation dans cette situation est le fait qu’aujourd’hui, malgré l’absence d’une bonne partie des éleveurs dans le pays, on assiste à un taux élevé d’abattage des bœufs dans la ville de Bangui qu’en temps normal avant la crise dans le pays. Environ 1500 têtes de bœufs abattues hebdomadairement avec un taux d’abattage 300 bœufs au quotidien à la Société d’Etat de gestion des obitoires (SEGA). L’on se pose la question de savoir de qui et d’où viennent ces bœufs malgré la crise ayant mis en difficulté l’élevage des bovins.
« Ces bœufs ne viennent pas des éleveurs centrafricains. Il y a certes une petite partie qui provient de nos éleveurs qui vendent une petite partie de leur bétail pour leur subsistance. Mais un éleveur vend en moyenne un bovin tous les 4 mois pour survivre s’il a une grande famille d’une dizaine de personne. Mais les bœufs que nous voyons à la SEGA, ce sont des bétails qui sont arrachés de force ou qui sont issus des éleveurs tués, et qui sont convoyés par les chefs de guerre, revendus à des commerçants qui sont complices de ces chefs de guerre qui les amènent dans la ville de Bangui afin de les vendre. Si vous regardez bien, les bétails viennent d’où? De Kaga-Bandoro, de Bambari qui sont occupés par les rebelles de Seleka. Donc, ces bœufs proviennent des vols de bétails organisés par des groupes rebelles, soit on a volé soit on a tué les propriétaires des bétails soit on a arraché de force. C’est ce qui explique le fort taux d’abattage de bétail à Bangui», a fait savoir le Chargé de mission en gestion des conflits communautaires.
A qui profite la commercialisation de bétail ?
Ces derniers temps, la région nord-est de la République Centrafricaine est devenue le théâtre de violents affrontements dus au vol de bétail. Les éleveurs font face aux défis sécuritaires défavorisant l’élevage et le commerce légal des bovins. Leurs bétails sont volés par les groupes armés dont certains perdent leur vie. De plus en plus, les groupes armés s’intéressent à la commercialisation des bétails jugée rentable et facile. Or, entre temps, ces hors-la-loi se sont livrés à l’exploitation de diamants bruts pour se ravitailler en armes. Car, il suffit aux groupes armés de mettre une balle dans la tête d’un éleveur pour se procurer son troupeau de bovin composé d’environ 100 bêtes, que de soulever 10 tonnes de terre pour espérer tirer péniblement un carat de diamant du sol.
« Si vous constatez, les groupes armés ne s’intéressent plus aujourd’hui aux activités minières. Car elles ne sont pas rentables que les activités bovines qui sont plus rentables. Parce qu’une bête qui est vendue à 400 ou 500 milles au niveau locale, est revendue au niveau de Bangui à 700 ou 800 milles, alors qu’un carat de diamant est vendu difficilement à 400 milles, parfois 200 ou 250 milles. Aujourd’hui, c’est la source fiable de ravitaillement des groupes armés. Mettez seulement un bœuf à 500.000 sur 1500 bœufs par semaine, vous obtenez 750 millions de FCFA par semaine qui repartent dans les mains des groupes armés. Et si vous multipliez 750 millions par 4 pour un mois, vous avez 3 milliards de FCFA. Et par année, cela fait 36 milliards qui repartent dans les mains des groupes armés » a renchérit Lamido Issa Bi Amadou, par ailleurs Chef traditionnel peul.
Avec cette somme, il est facile aux groupes armés de recruter des hommes et acheter des armes pour déstabiliser davantage le pays. Face à cette situation criarde, le gouvernement doit se pencher sur ce circuit commercial illégal qui échappe à son contrôle et fait perdre des sous à l’Etat. C’est ce que préconise Lamido Issa Bi Amadou. Pour lui, il faut moraliser ce circuit commercial.
« J’en appelle à la sagesse de tous, notamment le département de l’élevage, et le département de commerce ainsi qu’à la filière de commercialisation de bétail pour que cette filière soit moralisée. Il faudrait qu’on mette en place un système qui puisse permettre d’identifier le bétail depuis son lieu d’achat jusqu’à son lieu de vente. C’est-à-dire, que si on achète une bête à Kaga-Bandoro, il faudrait qu’on sache que cet animal provient de tel éleveur, il est acheté par tel commerçant et va sur tel marché. Il ne faut pas continuer à tromper le peuple centrafricain en disant qu’il y a suffisamment de bétail. Il faudrait plutôt dire aux Centrafricains qu’il y a suffisamment de bétail volé et il y a suffisamment d’argent qui repart vers les groupes armés pour continuer à pérenniser la souffrance du peuple centrafricain », préconise le Chargé de mission en gestion des conflits communautaires.
Les autorités centrafricaines cherchent par tous moyens de résoudre la question d’insécurité chronique qui s’installe dans le pays sans se pencher sur les causes endogènes qui favorisent le conflit. Or, pour combattre l’ennemi, il faut justement couper sa source de ravitaillaient. En normalisant la commercialisation de bétail tout comme de diamant, le gouvernement aura affaibli les groupes armés qui continuent de défier l’autorité de l’Etat et qui s’enrichit au grand dam de la population.