Bangui, République centrafricaine, samedi 15 août 2020 ( Corbeaunews-Centrafrique ). A l’occasion des cérémonies festives commémorant le soixantième anniversaire de l’indépendance synonyme de l’accession de notre pays à la souveraineté internationale, une impressionnante parade militaire a eu lieu sur l’avenue des martyrs de la capitale centrafricaine. Des anciens chefs d’état étaient conviés, symbole d’un début de réconciliation nationale que nous saluons et que nous appelons de nos vœux à perdurer.
À la lecture des autorités établies, cette exhibition des troupes et de matériels de guerre démontre de la montée en puissance graduelle des forces armées mais le paradoxe criant avec les réalités du terrain nous laisse perplexe. À titre de rappel, depuis avant 2016, le territoire national est occupé de façon ostentatoire à hauteur de 80% par des groupes armés non conventionnels qui ne cessent de se multiplier pour partager l’économie de guerre et qui depuis lors, sont devenus des partenaires du pouvoir légitime puisque contre la volonté populaire, ils ont conclu un accord politique de paix sensé mettre fin à la souffrance des centrafricains et par voie de conséquence ramener la paix…denrée rare des centrafricains.
À ce stade, il apparaît important de souligner que cette analyse n’a nullement vocation à faire ombrage aux efforts consentis par le pouvoir à réformer l’armée mais l’accord de Khartoum avec ses conséquences politiques et juridiques a rendu ces efforts invisibles. Animé par le fanatisme et le griotisme débordant, le speaker de la parade militaire s’est prêté au jeu de propagande électorale à la frontière de la provocation, certainement à l’endroit du général déserteur l’accusant tacitement de dénaturer l’armée nationale, comportement incivique qui pourrait nuire à la réconciliation tant recherchée.
Inquiet et apeuré par la fragilité du tissu socio-politique, le citoyen lambda s’interroge :
Quel est le lien que le citoyen lambda peut établir entre cette démonstration de force militaire et l’occupation du territoire national par les groupes armés non conventionnels à hauteur de 80% ? Cette occupation anarchique du territoire national par les groupes armés non conventionnels est-elle encore justifiée ? Cette exhibition des arsenaux de guerre ne s’inscrit-il pas à la frontière de la honte ou de moquerie devant les représentations diplomatiques invitées à l’occasion ? Quelle est le message que cette démonstration de puissance militaire envoie aux groupes armés ? Cela peut-elle être interprété comme la fin de la recréation ? Dorénavant, nos forces armées vont-elles entreprendre des actions de reconquête du territoire ? Si tel n’est pas le cas, cette exhibition de muscles n’a de sens que dans la propagande électorale pour flatter nos valeureux soldats. Pourquoi réquisitionner tous ces bataillons dans la capitale alors que les centrafricains se font engorger tous les jours dans les arrières pays à l’instar de l’agent recenseur assassiné à Ippy ? Cette parade militaire était-elle nécessaire devant la violation de notre intégrité territoriale ? Pourquoi ne pas observer un moratoire au défilé et affecter l’économie réalisée à d’autres secteurs vitaux comme la gratuité de masques à la population en période de pandémie ? Avec ces éloges démesurés de la démonstration de la puissance militaire, pourquoi la sécurité du président de la république est-elle toujours assurée par des forces étrangères plus particulièrement le contingent rwandais de la minusca appuyé par les russes de Wagner ? Enfin, quelle est la place de l’embargo dans ce processus de pacification du pays ?
Au delà de ces multiples questionnements, cette nouvelle armée gagnerait en confiance si le pouvoir arrête les recrutements parallèles des forces spéciales à l’insu de l’état-major des armées sans oublier l’entretien de la milice politique disséminée dans la capitale qui terrorise l’ensemble de la classe politique centrafricaine au vu et au su des diplomates accrédités en Centrafrique.
Mais attention, ne le dites à personne. Si on vous demande, ne dites pas que c’est moi.
Paris le 14 août 2020.
Par Bernard Selembi Doudou