Bangui : la prostitution, un quotidien qui dévore la jeunesse centrafricaine

Par la rédaction de Corbeau News Centrafrique, CNC.
Bangui, la capitale de la République centrafricaine, bat au rythme d’une réalité qui ne laisse personne indifférent. Dans cette ville fondée sur les idéaux de Barthélemy Boganda, le père de la nation, une course effrénée à la survie a pris le dessus, et elle passe trop souvent par le corps des jeunes filles. Ici, la prostitution n’est pas un secret murmuré dans l’ombre, mais une vérité criante, visible à chaque coin de rue, surtout quand le soleil se couche. Ce 17 février 2025, nous avons plongé dans ce monde pour comprendre ce qui se joue vraiment.
Une nuit suffit pour voir
Il ne faut pas longtemps à un nouvel arrivant pour saisir l’ampleur du phénomène. “Faites un tour ici sur l’avenue des Martyrs, ou aller vers la prison de Ngaragba, dans le septième arrondissement, et vous verrez”, nous lance un étudiant de l’université de Bangui, attablé dans une petite buvette au quartier Sango. Il a l’air fatigué, presque résigné. “Les filles n’ont pas honte, c’est comme ça ici”. Intrigués, on décide de suivre son conseil. Ce premier jour, on se dirige vers le sud-est de la capitale, loin du centre, jusqu’au septième arrondissement, près de la prison de Ngaragba. C’est un coin reculé, haut perché dans la ville, non loin de la cité de Belle colline, les routes truffées des nids de poules et les bâtiments délabrés annoncent un autre visage de Bangui.

Vers 17 heures, juste à côté de la prison, plus précisement au croisement Kassaï – Ouango, le spectacle commence déjà. Des jeunes filles, certaines à peine sorties de l’enfance, déambulent le long de la route. Leurs jupes sont courtes, leurs hauts laissent entrevoir leurs seins, encore petits pour certaines, comme des oranges à peine mûres. Elles marchent avec assurance, presque mécaniquement. Leur stratégie est claire : attirer l’attention des hommes qui passent, qu’ils soient à pied, en moto ou en voiture. “Salut, tu viens parler avec moi ? Je suis libre”, nous lance une fille qui ne doit pas avoir plus de 16 ans. Son ton est direct, presque commercial, mais ses yeux trahissent une fatigue qu’elle essaie de cacher.
On avance un peu, et elles sont partout. Une dizaine au moins rien que sur ce bout de trottoir, dans ce quartier excentré. Elles rient entre elles, s’interpellent, mais dès qu’un homme approche, elles changent de posture, tentent un sourire ou un regard accrocheur. Ce n’est pas qu’à Ngaragba, nous dira-t-on plus tard. Mais ce jour-là, c’est là, près de la prison, qu’on prend la mesure de ce qui se passe.
Le lendemain, 18 février, on explore un autre coin de la ville : l’avenue des Martyrs. Cette fois, c’est une artère bien plus centrale, qui s’étend sur au moins deux kilomètres, partant du croisement de Marabéna, passant devant l’hôpital communautaire, le ministère des Affaires étrangères, l’ambassade de Chine et l’université de Bangui pour chuter devant le stade 20 000 places. C’est haut, comme on dit ici, une longue montée qui traverse des zones animées. En fin de la soirée, près de l’École Normale supérieure (ENS), on croise encore plus de filles. Elles viennent vers nous, s’arrêtent pile devant, bloquant presque le passage. “Hé, grand frère, viens, je suis là pour toi”, dit l’une d’elles, un peu plus audacieuse que les autres.
Soudain, une agitation. “Les policiers arrivent”, murmure une fille aux cheveux tressés. Sans hésiter, elles se rapprochent de nous, faisant semblant de marcher à nos côtés, comme si on était ensemble. On tourne la tête : un véhicule de police roule au ralenti, phares allumés, les agents scrutant la rue. Les filles baissent la tête, continuent de marcher tout doucement avec nous. Les policiers passent, nous jettent un coup d’œil, puis s’éloignent. “Ils nous cherchent, mais là, ils pensent qu’on est avec vous, alors ils nous laissent”, explique une des filles avec un petit rire nerveux. On comprend vite leur ruse : s’accrocher à des passants pour éviter les ennuis avec les forces de l’ordre, qui, d’ailleurs, ne semblent pas vraiment pressées d’intervenir.
Une ville où tout est cher
Pourquoi autant de filles en sont-elles là ? La réponse revient sans cesse : la vie à Bangui est devenue un combat quotidien. “Tout coûte cher ici”, nous confie Landry, un commerçant du marché Sango. “Le piment, le manioc, la viande, le riz… même une banane, tu payes le prix fort”. Il secoue la tête, désabusé. “Les gens ne vivent pas, ils survivent”. Mariette, une femme qui tient un petit commerce près du campus universitaire, derrière le stade Omnisport, renchérit : “Bangui, c’est une des villes les plus chères d’Afrique centrale. Si tu n’as pas d’argent, tu fais quoi ?”
Et ce n’est pas seulement dans les rues qu’on voit cette misère pousser les filles à se débrouiller ainsi. Dans les gargottes et les buvettes, c’est pareil, voire pire. Au marché Combattant, au PK Douze, au marché central ou même en plein centre-ville, elles sont là, assises près des tables ou discutant avec les clients. Partout où il y a du monde, elles cherchent une opportunité. “C’est comme ça maintenant”, nous glisse un vendeur de bière dans une buvette près du marché Miskine. “Tu bois un verre, et une fille vient te parler. Si tu veux, tu payes, et c’est réglé”.
Pour beaucoup de ces jeunes filles, la prostitution est devenue la réponse. “On ne se prostitue pas vraiment, on se débrouille pour avoir un peu d’argent”, nous dit une adolescente de 15 ans, rencontrée devant le commissariat du cinquième arrondissement de Bangui, où se trouve un très grand marché de prostitution à ciel ouvert. Elle porte un débardeur moulant et une jupe qui couvre à peine ses cuisses. “Si on ne fait pas ça, comment on mange ? Comment on aide la famille ?” Ses mots sonnent comme une justification, mais ils disent surtout à quel point l’avenir est bouché pour elle et tant d’autres.
La nuit change tout
Quand la nuit tombe, vers 22 heures, Bangui se transforme. Les grandes artères, comme l’avenue des Martyrs ou les rues autour du centre-ville, même sur l’avenue de Sica – Benz-Vi, ou encore sur l’avenue Koudoukou, s’animent d’une tout autre manière. Les silhouettes des filles se dessinent sous les rares lampadaires. Elles sont des dizaines, parfois plus, alignées le long des trottoirs, attendant les clients. Les hommes, eux, rodent en voiture ou à pied, négociant discrètement. On voit de tout : des chauffeurs de taxi-moto, des fonctionnaires en costume défraîchi, et même, parfois, des uniformes qui rappellent les forces de l’ordre. Personne ne semble choqué ni surpris. C’est presque devenu normal.
“On gagne notre pain comme ça”, avoue une autre jeune fille, un peu plus âgée, peut-être 20 ans. Elle s’appelle Yvonne – ou du moins, c’est le nom qu’elle nous donne. “Regarde autour de toi, il n’y a rien d’autre ici. Pas de travail, pas d’espoir. Alors oui, on va dans la rue”. Elle parle calmement, sans émotion apparente, comme si elle avait déjà fait la paix avec cette vie.
Une morale qui s’effrite
Pourtant, tout le monde ne ferme pas les yeux. “C’est une honte”, lâche un vieux assis sur une chaise en plastique devant sa maison, près du quartier Galabadja en allant vers le croisement du lycée de Gobongo. “Dans le pays de Boganda, on devrait avoir mieux que ça. Ces petites qui se vendent, c’est un échec pour nous tous”. Il soupire, regarde au loin. “Mais qui va les arrêter ? La police est là, elle voit tout, et elle ne fait rien. Parfois, elle prend sa part”.
C’est un secret de polichinelle à Bangui : les forces de l’ordre, censées maintenir un semblant d’ordre, sont souvent complices. Les filles le savent, les habitants aussi. “Les policiers viennent la nuit, ils prennent des filles, et après, ils repartent”, raconte un étudiant qu’on recroise près du campus. “Personne ne dit rien, parce que tout le monde a peur ou tout le monde s’en fiche.”
Un avenir incertain
Face à cette réalité, les justifications des filles oscillent entre résignation et défi. “L’essentiel, c’est de survivre”, nous dit Yvonne avant de s’éloigner pour rejoindre une amie. “On fait ce qu’on peut pour nos familles”. Mais à quel prix ? Dans une ville où le sexe est devenu une monnaie d’échange, la morale, cette valeur que beaucoup voudraient voir respectée, semble avoir déserté les rues de Bangui. Les jeunes filles, parfois à peine adolescentes, bravent les dangers : maladies, violences, regards accusateurs, pour mettre un peu de nourriture sur la table.
Le lendemain, devant le campus universitaire, c’est encore la même chanson. “Grand frère, viens, je suis de bonne qualité”, nous lancent des voix rieuses mais insistantes. Elles sont nombreuses, pleines d’énergie, mais derrière leurs sourires, il y a une lutte qu’on ne peut ignorer. À Bangui, la prostitution prend de l’ampleur, et avec elle, un sentiment que quelque chose s’est brisé dans le cœur de cette capitale. Une ville qui, malgré ses rêves d’autrefois, se débat aujourd’hui dans une pauvreté qui pousse ses enfants à vendre ce qu’ils ont de plus précieux : eux-mêmes.
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