Amnesty International dénonce l’échec des autorités face aux conflits meurtriers entre éleveurs et agriculteurs

Rédigé le 24 novembre 2025 .
Par : la rédaction de Corbeaunews-Centrafrique (CNC).
Dans un nouveau rapport publié ce mercredi 20 novembre, Amnesty International accuse les autorités tchadiennes de ne pas protéger les victimes des affrontements armés qui opposent éleveurs et agriculteurs dans le sud du pays. Entre 2022 et 2024, ces violences exacerbées par le changement climatique ont fait 98 morts et plus de 100 blessés, dans un climat d’impunité généralisée.
Le rapport intitulé « Vivre de la terre et mourir pour elle : violations des droits humains liées aux conflits entre éleveurs et agriculteurs au Tchad » documente sept épisodes sanglants survenus dans quatre provinces du sud tchadien. Selon les données de l’ONU, ces affrontements ont fait des milliers de victimes ces dernières années.
« Face aux violences récurrentes entre éleveurs et agriculteurs, les autorités échouent à protéger la population de manière adéquate », a déclaré Agnès Callamard, secrétaire générale d’Amnesty International. L’organisation dénonce des forces de sécurité qui réagissent souvent tardivement et une justice qui traduit rarement en justice les auteurs de meurtres, pillages et destructions de biens.
Les exemples documentés par Amnesty International montrent la gravité de ces affrontements. Le 26 août 2019, dans le village de Sandana, dans le Moyen-Chari, un conflit déclenché par l’intrusion de bétail dans un champ a dégénéré : sept personnes ont été tuées, huit blessées et plus de 140 têtes de bétail volées. Le 9 février 2022, une nouvelle attaque dans le même village a coûté la vie à 13 personnes.
Plus récemment, le 30 août 2024 à Pala Koudja, dans le Logone Occidental, l’intrusion répétée d’un troupeau dans un champ a provoqué une violente altercation faisant trois morts et sept blessés. Dans la nuit qui a suivi, des individus non identifiés ont incendié 53 maisons, laissant des dizaines de familles sans abri.
Ces tensions trouvent leurs racines dans la conjugaison de plusieurs facteurs : pression démographique croissante, effets du changement climatique sur les déplacements des troupeaux, et concurrence acharnée pour l’accès aux ressources naturelles. La hausse des températures au centre du Tchad pousse de nombreux éleveurs à migrer vers le sud pour faire paître leurs troupeaux, tandis que les agriculteurs tentent d’étendre et de diversifier leur production. Les incidents déclencheurs sont souvent le piétinement de champs par le bétail ou des cultures qui bloquent les couloirs de transhumance traditionnels.
Le témoignage d’un leader communautaire du Logone Oriental montre le désespoir des populations face à l’inaction des autorités. « Depuis 2014, nous avons un problème avec les éleveurs, et je l’ai signalé au chef de canton et au sous-préfet, mais aucune réponse n’a été apportée », raconte-t-il. « En 2023, nous avons été attaqués par un groupe d’hommes armés. Le bilan a été de 18 morts et 11 blessés. Nous étions en colère et nous avons déposé les corps sur la route pour protester. »
Cette inefficacité persiste malgré l’augmentation du budget du ministère de la Sécurité publique depuis 2022. Le ministre en fonction en mai 2023 a d’ailleurs reconnu qu’il y avait « des retards d’intervention lorsque des villages sont attaqués ».
Amnesty International pointe également du doigt le dysfonctionnement des mécanismes de prévention et de gestion des conflits mis en place par les autorités. Leur manque de coordination et leur inefficacité structurelle limitent leur capacité à prévenir et résoudre les différends. Plus grave encore, des témoignages indiquent que certains administrateurs locaux possèdent eux-mêmes du bétail qu’ils confient à des éleveurs armés, compromettant ainsi la neutralité administrative et facilitant les abus.
Sur les sept vagues d’affrontements documentées dans le rapport, seules trois ont abouti à des procès. Trente-sept personnes ont été condamnées au total, un chiffre dérisoire au regard de l’ampleur des violences. L’impunité reste donc la norme plutôt que l’exception.
« En vertu des lois et normes régionales et internationales relatives aux droits humains, l’État tchadien a l’obligation de garantir la sécurité de tous dans le pays, d’enquêter sur les crimes, d’en traduire les responsables en justice et de veiller à ce que les victimes aient effectivement accès aux tribunaux », a rappelé Agnès Callamard.
La secrétaire générale d’Amnesty International insiste sur l’urgence de trouver des solutions structurelles : « Les effets du changement climatique ne feront qu’accroître les affrontements entre éleveurs et agriculteurs. Il est donc d’autant plus urgent de trouver des solutions structurelles et durables fondées sur les droits humains. »
Parmi les recommandations formulées figurent le renforcement de la présence des forces de l’ordre, la mise en œuvre d’une politique proactive de désarmement, l’établissement d’un cadre juridique cohérent pour la transhumance, la redynamisation des comités conjoints de prévention des conflits et l’adoption d’un plan national d’adaptation au changement climatique.
Ce rapport, fruit de recherches menées entre mars 2023 et septembre 2025 dans 14 villages de quatre provinces du sud du Tchad, s’appuie sur les témoignages de 110 personnes, dont 70 victimes et témoins directs de ces violences. Les conclusions ont été transmises aux autorités tchadiennes le 25 juin 2025, mais Amnesty International n’a reçu aucune réponse à ce jour.
La problématique des conflits entre éleveurs et agriculteurs amplifiée par le changement climatique ne se limite pas au Tchad. En République centrafricaine, des tensions similaires continuent de déstabiliser plusieurs régions, notamment dans les préfectures de l’Ouham et de l’Ouham-Pendé. Avec l’arrivée de la saison sèche en décembre, les experts craignent une aggravation de ces affrontements. La raréfaction des points d’eau et des pâturages risque d’intensifier la compétition pour les ressources naturelles, exposant les populations centrafricaines aux mêmes violences que celles documentées au Tchad. Sans réponse coordonnée des autorités de Bangui et sans mécanismes efficaces de prévention des conflits, la RCA pourrait connaître une flambée de violences intercommunautaires dans les mois à venir.
Par Brahim….
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