Interview exclusive de Prosper N’douba, Représentant de Sant’Egidio en Centrafrique : il revient sur la médiation menée par son institution dans le pays
La Communauté Sant’Egidio est au cœur des efforts de paix en République centrafricaine depuis plus d’une décennie. Face aux critiques et aux doutes, Prosper N’douba, Représentant de l’organisation en Centrafrique, s’exprime en exclusivité pour CNC sur les actions de Sant’Egidio et sa vision pour l’avenir du pays.
Ci-dessous, l’interview intégrale :
CNC : Monsieur Prosper N’douba, bonjour et merci d’avoir accepté cet entretien. Après la publication d’un article de Corbeaunews-Centrafrique sur le rôle ambigu de l’organisation italienne Sant’Egidio dans le processus de paix en Centrafrique, Sant’Egidio a demandé un droit de réponse. Pourriez-vous d’abord nous présenter la Communauté Sant’Egidio, en nous parlant de son histoire et de sa mission principale ?
Prosper N’DOUBA : La Communauté de Sant’Egidio est un mouvement laïc d’inspiration chrétienne catholique. Elle est une association de fidèles catholiques, dédiée à la prière, engagée dans la lutte contre la pauvreté et le travail pour la paix dans le monde. Sant’Egidio est une communauté chrétienne née en 1968, au lendemain du concile Vatican II, à l’initiative d’Andrea Riccardi, dans un lycée du centre de Rome. Aux côtés des pauvres du monde, la Communauté fait l’expérience de la tragédie des guerres. De là naît son engagement en faveur de la paix qui a fait de Sant’Egidio l’artisan de l’accord de paix pour le Mozambique en 1992, accord conclu à Rome après plus de deux ans de négociations. Depuis les années 1990, cet engagement a touché de nombreux foyers de conflits dans le monde dont celui de la République centrafricaine.
Aujourd’hui Sant’Egidio est présent dans 70 pays, avec plus de 80 000 personnes sur les cinq continents.
Sant’Egidio est également responsable de la mise en œuvre de deux programmes humanitaires entièrement gratuits en Afrique : DREAM, pour le diagnostic et le traitement du VIH et d’autres maladies chroniques (dans 11 pays. Y compris la Centrafrique) et BRAVO, pour l’enregistrement de l’état civil.
CNC : Comment répondez-vous aux accusations selon lesquelles le rôle de Sant’Egidio dans le processus de paix en Centrafrique serait ambigu et contesté ?
Prosper N’douba : Je n’ai jamais écouté des accusations similaires. Le rôle et les actes que pose Sant’Egidio en République centrafricaine sont d’une extrême clarté. Dans la crise centrafricaine, elle œuvre uniquement pour restaurer la paix dans le pays grâce à la confiance que lui font tous les acteurs concernés. Elle ne tire aucun profit ni intérêt quelconque par sa présence et ses actes en Centrafrique. Elle n’a aucun agenda caché.
CNC : Quel est le rôle habituel de Sant’Egidio dans les processus de paix à travers le monde ? Depuis quand Sant’Egidio est-elle active en République Centrafricaine et quelles sont ses principales activités et réussites dans le pays ?
Prosper N’douba : Dans le monde et surtout en Afrique, l’expertise et la crédibilité de la Communauté Sant’Egidio dans la médiation des situations difficiles sont reconnues et appréciées. Les faits existent qui peuvent en attester. Elle a réussi à faire signer un accord de paix entre le gouvernement de Maputo et la rébellion au Mozambique. Elle est intervenue en Algérie, au Niger, dans le conflit au Sénégal, et dernièrement au Soudan du Sud où elle est co-médiatrice avec le Président du Kenya.
Une liste complète des médiations menées par Sant’Egidio est disponible sur www.santegidio.org.
Pour ce qui concerne la RCA, La Communauté Sant’Egidio a commencé à agir pour la restauration de la paix depuis 2013, lorsque le niveau de violence était très élevé à l’époque dans le pays et surtout à Bangui. Grâce a son engagement, elle a pu faire signer un Pacte Républicain par le Chef d’Etat de Transition Michel Djotodia, le Président du Conseil National de Transition, Ferdinand Alexandre Nguendet et le Premier Ministre Me Nicolas Tiangaye, afin de réduire quelque peu les exactions de la Séléka et des Anti-Balakas.
CNC : Malgré les efforts de Sant’Egidio, la paix semble toujours échapper aux Centrafricains. Quels sont les principaux défis auxquels Sant’Egidio est confrontée pour promouvoir la paix en RCA ?
Prosper N’douba : Il faut quand même admettre que la situation s’est beaucoup améliorée en RCA depuis 2013 ! Faire la guerre est facile mais construire la paix est difficile dit-on. La guerre, on sait comment et quand elle peut démarrer mais point quand elle va s’arrêter. Comment convaincre en Centrafrique, tous ceux qui ont choisi de prendre les armes pour se faire entendre que dans toute situation, la guerre n’a jamais été la solution d’un conflit. Ce sont le dialogue et la concertation qui doivent être privilégiés au détriment des egos. Le refus du dialogue par les uns et les autres ainsi que la politique de la chaise vide n’ont jamais été productifs.
CNC : Le dialogue républicain de 2022 a conduit à une modification constitutionnelle en 2023, confirmant les craintes initiales de l’opposition qui s’était retirée du processus. Comment expliquez-vous cette situation, sachant que Sant’Egidio avait encouragé l’opposition à participer ?
Prosper N’douba : S’agissant du Dialogue Républicain c’est plutôt aux responsables de l’opposition qu’il faut poser cette question et non à Sant’Egidio. Alors qu’ils ont pris activement part aux préparatifs de cette instance, comment peut-on expliquer ou justifier leur refus à la dernière minute le jour de l’ouverture officielle de participer à ce dialogue. Faut-il rappeler que Sant’Egidio avait pris l’initiative de réunir à Rome pendant presqu’une semaine, les représentants des forces vives centrafricaines dont les leaders des partis politiques de l’opposition, des représentants du parti au pouvoir, des confessions religieuses et autres ambassadeurs de la paix, afin de créer une atmosphère de nature à permettre au Dialogue Républicain de se dérouler dans de bonnes conditions.
CNC : Sant’Egidio tente de négocier avec Mahamat al-Khatim, chef du MPC emprisonné au Tchad. Quel est le rôle exact de votre organisation dans ces négociations entre Bangui et al-Khatim et pourquoi se concentrez-vous uniquement sur Mahamat Al-Khatim ?
Prosper N’douba : Après l’annonce de la déclaration de retrait de la Coalition dite des Patriotes pour le Changement (CPC) par le leader du Mouvement Patriotique du Centrafrique (MPC) Mahamat Alkhatim, le Président Touadéra a dépêché à N’djaména auprès des autorités tchadiennes une délégation de quatre Ministres dont le Ministre d’Etat Jean Willybiro-Sako. Cette délégation a pu également rencontrer
Mahamat Alkhatim. Un Communiqué conjoint a été signé et le Ministre tchadien de la sécurité a été
désigné par le Président Mahamat Déby Itno comme Coordonnateur. C’est après les affrontements qui ont opposé des combattants du MPC aux FACA et leurs alliés russes autour d’un chantier minier d’or que début décembre 2023, un combattant du MPC, qui se trouve être par ailleurs beau-père d’Alkhatim entre autres, a trouvé la mort. C’est après cet incident que le chef du MPC a sollicité par écrit la médiation de Sant’Egidio.
CNC : Al-Khatim a exprimé des réticences après le massacre de ses hommes non-combattants par des mercenaires russes. Comment Sant’Egidio prévoit-elle de surmonter cet obstacle dans les négociations, surtout en considérant sa détention ?
Prosper N’douba : La médiation est en cours, aussi je ne peux pas vous donner trop de détails mais les choses avancent. Récemment, les protagonistes se sont rencontrés à Rome pour établir les prochaines étapes.
CNC : Sant’Egidio collabore avec le régime de Bangui, qui travaille avec le groupe Wagner, accusé de massacres contre la population civile. Comment justifiez-vous cette collaboration dans ce contexte ? Quel conseil Sant’Egidio donne-t-elle au gouvernement ?
Prosper N’douba : Le terme de « collaboration » employé ici ne convient pas aux relations minimales que la nécessité du difficile travail de médiation que Sant’Egidio est obligée d’entretenir avec les dirigeants du pays, les leaders des partis politiques de l’opposition démocratique ainsi qu’avec les chefs des groupes militaro-politiques regroupés sur le territoire tchadien. Au risque de me répéter, Sant’Egidio fait ce que les anglophones appellent faire du « go between » ou encore l’intermédiation. Faut – il rappeler que dans son travail de médiation, Sant’Egidio a été la première organisation à avoir réuni la première fois à Rome à son siège en 2017, aussi bien des représentants du gouvernement centrafricain et ceux des quatorze groupes armés.
CNC : Y a-t-il une collaboration entre Sant’Egidio et l’opposition démocratique, surtout dans un contexte où le dialogue entre le pouvoir et l’opposition est interrompu ? Comment Sant’Egidio prévoit-elle de rassembler les deux camps malgré leurs préalables ?
Prosper N’douba : Sant’Egidio parle avec et à tout le monde sans discrimination. Elle n’a de cesse parler avec les leaders de l’opposition démocratique, que ce soit à Bangui, Brazzaville, N’djaména, Khartoum ou à Rome. Elle a toujours dit que la politique de la chaise vide ne paye pas.
CNC : La présence d’une clinique Sant’Egidio à Bangui influence-t-elle les activités diplomatiques de l’organisation ?
Prosper N’douba : La solidarité envers les plus démunis et la paix vont toujours ensemble selon l’expérience de Sant’Eghidio. La clinique DREAM soigne et prend en charge gratuitement le traitement des maladies chroniques telles que l’hypertension artérielle, les différentes formes du diabète, l’épilepsie. Elle dispose aussi d’un laboratoire de biologie médicale et assure le suivi des femmes enceintes ainsi qu’elle assure la couverture vaccinale mère-enfants dans le cadre du second volet des activités de Sant’Egidio en Centrafrique. Les autorités du pays viennent d’octroyer une aile de l’immeuble du Centre Hospitalo- Universitaire de Bangui qui servira à DREAM pour la Neurologie. DREAM bénéficie jusqu’ici essentiellement de financements de la Coopération Italienne, de l’Union Européenne et peut-être bientôt des USA.
CNC : Comment Sant’Egidio envisage-t-elle de regagner la confiance des Centrafricains qui doutent de son impartialité ?
Prosper N’douba : Vous parlez en termes de « regagner la confiance » ce qui insinue que Sant’Edigio aurait perdu la confiance des divers protagonistes du conflit en RCA mais cela ne correspond nullement à la réalité. Elle n’a nullement perdu quelque confiance que ce soit, de qui que ce soit. Comme je l’ai affirmé plus haut, bien au contraire, tous les protagonistes de la crise militaro-politique en Centrafrique reconnaissent sa crédibilité et continuent de recourir à elle pour solliciter sa médiation. Elle en est honorée et s’en félicite. Elle n’a qu’un seul souhait : le retour d’une paix durable sur la totalité du territoire de la République centrafricaine.
CNC : Quels sont les objectifs concrets de Sant’Egidio pour la paix en RCA dans les mois à venir ?
Prosper N’douba : La réussite du désarmement et la démobilisation de tous les groupes armés afin que la paix revienne durablement en RCA. Pour cela, Sant’Egidio entend développer les actions concrètes aux côtés des structures dédiées pour assurer l’effectivité du désarmement et la démobilisation des combattants de tous les groupes armés et leur réinsertion dans la société.
CNC : Monsieur Prosper N’douba, je vous remercie pour vos réponses.
Prosper N’douba : C’est moi.
Propos recueillis par Alain Nzilo, Directeur de publications