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RCA: l’enjeu de décentralisation, l’un des pistes probables de solution à la grave crise centrafricaine.
Bangui le 16 septembre 2016.11:35′.
Par: Wilfried Willy Hetman-Roosalem.
L’on se souvient encore, dans un passé relativement récent et peu glorieux, que le pouvoir seleka justifiait urbi et orbi sa prise du pouvoir à Bangui par le délaissement par l’Etat central de régions entières laissées, selon lui et à juste titre, en déshérence. Le président autoproclamé de cette coalition était allé jusqu’à déclarer, au débotté et sans ambages, sur les ondes de Rfi que cette nébuleuse a dû franchir le Rubicon en s’emparant, par la force, des affaires de l’Etat parce- qu’ils -les représentants de cette organisation- avaient, je le cite, « faim, que l’Etat central ne s’occupait pas d’eux ». En d’autres termes, les institutions de la République les avaient abandonnés purement et simplement. Ce qui n’était pas complètement faux.
Si Certains ont cru bon exprimer leur sentiment d’abandon et leur mécontentement vis-à-vis de l’Etat par la violence politique avec tout son cortège de violations des droits humains, de restriction des libertés publiques, d’emprisonnements, de tortures et de menaces sur les Opposants ainsi que les acteurs de la société civile ; D’autres- certainement la majorité silencieuse- l’expriment, sans broncher, dans la frustration légitime, se contentant de ronger leur frein. Cela ne veut pas dire que ceux-ci n’auraient pas un quelconque droit à une reddition de comptes de la part des gouvernants sous le fallacieux prétexte qu’ils observeraient stoïques leur situation.
Qu’à cela ne tienne, qu’en est-il plus de 3ans après la plus grave crise de l’histoire politique de la RCA ? Qu’en est-il plus de 3 ans après cette déclaration on ne peut plus claire du chef du régime de la Seleka? Apparemment, rien de concret et de positif- allant dans le sens d’un accroissement des libertés accordé aux populations- ne s’est produit en dehors des consultations électorales démocratiques du début de l’année 2016.
Car la crise a perduré et de plus belle. La transition politique- qui a duré un peu plus de 3ans- ouverte avec le départ de la Seleka du pouvoir a connu des fortunes diverses sans pour autant régler le fonds du problème en dépit de certaines bonnes volontés et bonnes dispositions d’esprit.
N’empêche, au moment où, la RCA tente cahin-caha, nonobstant l’aide substantielle de la Communauté internationale, de se sortir de son bourbier, toutes les pistes de solutions doivent être explorées et exploitées. L’on ne saurait se permettre de prendre le risque de faire l’économie de solutions ayant fait leurs preuves ailleurs et potentiellement transposables au cas centrafricain.
Nous pensons, pour notre part, à la technique éprouvée de la décentralisation-municipalisation accélérée et la décentralisation-régionalisation accélérée comme modes de gestion des Collectivités locales.
Faut-il également le rappeler, la RCA n’a jamais été capable d’organiser, à son avantage, des élections locales pluralistes depuis son accession à la souveraineté nationale. C’est-à-dire plus de 50 ans après son indépendance.
Aussi, au moment où, le pays s’apprête à honorer un rendez-vous crucial de son histoire- je pense à la table ronde de Bruxelles du mois de novembre prochain réunissant gouvernement centrafricain et Bailleurs de fonds bilatéraux et multilatéraux-, cette technique de gestion des collectivités locales- Communes, Départements ou Régions selon les cas- doit être UTILEMENT présentée à nos partenaires internationaux pour ensuite être testée sur le terrain au plan national.
Si des élections municipales doivent être organisées à plus ou moins moyen terme (I), des élections régionales doivent, tout autant, être prévues à brève échéance (II) dans le cadre, je le répète, d’une vaste politique de décentralisation. A ne pas confondre décentralisation et déconcentration, deux concepts politico-administratifs susceptibles de prêter à confusion.
La décentralisation opère, de façon horizontale, un transfert de compétences de l’Etat vers les collectivités territoriales et la déconcentration réalise, de façon verticale, un transfert de compétences de l’Etat central vers les niveaux locaux de l’Etat.
Le décor étant planté, nous pouvons maintenant aborder le fond de notre sujet.
I. Des élections municipales à impérativement organiser.
Le premier volet de la politique de décentralisation concerne l’organisation des élections municipales dans les 179 villes- si je ne m’abuse- que compte le pays.
Des élections municipales doivent être d’autant plus organisées que la nouvelle Constitution en vigueur prévoit le bicamérisme avec la mise en place d’un Sénat élu au suffrage universel indirect. C’est-à-dire par les grands électeurs que sont les Conseillers municipaux et les Conseillers régionaux.
Et, aux termes de cette loi fondamentale, la chambre haute assure, au niveau national, la représentativité des collectivités locales ou territoriales (Communes et Régions ou Départements).
Je rappelle, à toutes fins utiles, que les Communes administrent un domaine municipal, gèrent des services comme les crèches, bibliothèques, créent et entretiennent écoles maternelles et primaires, mènent une action sociale et peuvent se doter d’une police municipale. De nombreuses compétences peuvent être exercées au sein de l’intercommunalité.
Point n’est besoin ici de jeter la pierre à Paul, à Jacques, à Abdoulaye ou à Hussein en ce qui concerne sa responsabilité politique et pénale dans la carence institutionnelle que connaît le pays et ayant entraîné, de facto, son naufrage continu et, pour ainsi dire, sa faillite.
Le temps nous exige désormais d’aller à l’essentiel afin de trouver une solution satisfaisante aux nombreuses souffrances du peuple centrafricain. Ces souffrances portent des noms : l’insécurité physique et la fragilité psychologique, la famine, la malnutrition infantile, la pauvreté pour ne pas dire la misère, les maladies et notamment la pandémie du sida, le sous-développement ou l’absence de progrès social etc.
L’occasion est, aujourd’hui, donnée aux nouvelles autorités politiques issues des dernières élections présidentielles et législatives pluralistes de l’histoire du pays d’organiser des élections municipales sur l’ensemble du territoire nationale. Cela suppose, vous me le souligneriez à juste titre, la mise en œuvre réussie du processus DDRR (Désarmement, Démobilisation, Réinsertion et Rapatriement), autre défi de taille des pouvoirs publics à relever. Mais c’est cela aussi l’une des responsabilités régaliennes de l’Etat : être capable de mener, de front, plusieurs actions connexes et/ou multiformes. Coordonner différentes activités concomitamment.
Vous en conviendriez avec moi que l’organisation de ces élections- que nous appelons de nos vœux-, exige, en amont, la pacification totale du pays. Processus qui a d’ailleurs déjà commencé avec le soutien actif et décisif de la communauté internationale et reçoit, par ricochet, notre total assentiment.
Cette phase du processus de parachèvement de notre jeune démocratie doit être transparente, ouverte et inclusive afin que les populations puissent s’y approprier et s’y identifier réellement et que cela ne prête plus le flanc à la mise en mouvement de manœuvres de déstabilisation. D’où qu’elles viennent.
Il faut, de grâce, dorénavant épargner au pays la pratique généralisée et contestable- et qui n’a que trop durer- des Délégations Spéciales- chargées notamment de conduire les destinées de nos villes-, qui ont toujours fait florès en RCA, nées du simple fait du prince et qui peuvent, au passage, servir de prétextes fallacieux à des personnes mal intentionnées, en mal de voir le pays toujours voguer à reculons ou à contre-courant, voire de sombrer dans le chaos permanent. Pour ainsi faire de la RCA, le pays de l’entropie et la risée du monde.
En tout cas, je refuse de m’inscrire dans ce schéma apocalyptique.
Le pouvoir de Bangui doit se recentrer sur ses activités régaliennes dans un système libéral- libéralisme entendu au sens politique du terme- et dans un Etat de droit et donner, un peu plus, de marge de manœuvre à nos territoires.
C’est dans ce contexte que l’organisation d’élections régionales s’impose.
II. L’organisation d’élections régionales, gage de la politique de bonne gouvernance démocratique
L’autre volet de la politique de décentralisation vise l’organisation d’élections régionales dans les 16 préfectures que compte le pays.
A titre d’information, les principales compétences des régions sont la création et l’entretien des lycées et Collèges (s’agissant du cas centrafricain), l’enseignement supérieur, la formation professionnelle, les transports publics interrégionaux et éventuellement les aéroports régionaux. Elles sont chefs de file pour le développement économique et des acteurs essentiels de la politique sous-régionale de cohésion.
Les régions pourraient, le cas échéant, se voir attribuer d’autres compétences comme le ramassage scolaire, les services régionaux d’incendie et de secours (SRIS), l’aide sociale et la santé, la gestion des routes et des voies navigables.
L’organisation d’élections régionales pourrait être une des pistes de sortie de crise à la grave crise centrafricaine. Les autorités issues des dernières élections libres doivent saisir l’opportunité de cette table ronde de Bruxelles avec les principaux Bailleurs de fonds pour examiner cette piste. Mieux vaut tenter une expérience qui présente des garanties pour les Citoyens à tous points de vue que de ne rien faire du tout.
Le statu quo ante n’a, jusque-là, produit aucun résultat bénéfique à la RCA. N’en déplaise aux partisans de la politique du sur place, aux adeptes de la politique de l’autruche ou aux Cassandre.
Les régionales ont pour effet de permettre aux habitants ou ressortissants des collectivités territoriales concernées de prendre définitivement en mains les affaires de leurs territoires. Cela n’exclut en rien les différents mécanismes institutionnels de contrôle de l’Etat dans un Etat fortement décentralisé.
Cela ôterait à quiconque l’argument du délaissement, par l’Etat, de son territoire (sa région d’origine ou la région d’origine de ses parents).
L’Etat central doit, bien entendu, continuer à jouer son rôle de garant de la cohésion sociale et du pacte républicain en apportant les subventions et dotations nécessaires aux territoires concernés dans le cadre de « sa politique des grands travaux et de l’aménagement du territoire » afin doter le pays d’équipements et d’infrastructures modernes et ainsi le situer sur la voie de l’émergence répertoriée à l’agenda politique de la République et dorénavant considérée comme l’alpha et l’oméga de notre politique. L’horizon politique de la RCA sans lequel aucune perspective crédible, aucun développement ni progrès social n’est possible compte tenu du retard accumulé dû aux multiples errements et turpitudes du passé.
Point n’est besoin de marteler, ici, que chaque Centrafricaine et chaque Centrafricain en sont solidairement coresponsables d’autant plus qu’est en cause la Maison Centrafrique.
En vue de réduire progressivement l’inégalité entre les régions, l’Etat devra tester la méthode dite de péréquation. La péréquation est un mécanisme de redistribution qui vise à réduire les écarts de richesse, et donc les inégalités, entre les différentes collectivités territoriales. C’est-à-dire que, transposé au cas centrafricain, les régions les plus riches- Dieu seul sait qu’il y en ait- aideront au financement de celles qui sont plus démunies en termes de ressources naturelles et d’infrastructures.
C’est aussi contribuer à une forme de solidarité entre les régions que nous qualifierons de principe de solidarité interrégionale.
L’objectif, in fine, c’est de faire de nos régions de véritables pôles régionaux de développement.
Notons que, dans nos précédentes études thématiques, nous avions déjà fait une large place à la question de la décentralisation en RCA ; problématique considérée comme une des clés du problème centrafricain.
Fait à Paris, le14/09/2016
Wilfried Willy Hetman-Roosalem
Observateur attentif de la scène politique centrafricaine