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RCA : Le dialogue républicain : dialogue en trompe-l’œil ?

Un mercenaire russe à l'arrivée du chef de l'État Touadera au stade 20 000 place le 27 mars 2021 par CNC
Escorte russe à l’arrivée du chef de l’État Faustin Archange Touadera le 27 mars 2021 au stade 20 000 places. Photo CNC / Gisèle MOLOMA

 

Bangui, République centrafricaine, jeudi, 20 mai 2021, 08:51:20 ( Corbeaunews-Centrafrique ). Face aux demandes de l’opposition, aux pressions de partenaires sous-régionaux et occidentaux et dans le souci d’apaiser la scène politique, le président a annoncé mi-mars la tenue d’un dialogue républicain. La date et les contours de ce dialogue sont encore imprécis, mais il est probable qu’il ait lieu fin mai, à Bangui.

 

En effet, début avril, le président Touadéra a mis en place une équipe technique d’appui au dialogue et, depuis mi- avril, des consultations préliminaires sont en cours. Le président souhaite associer au dialogue l’ensemble de l’opposition politique, la société civile et les huit groupes armés, signataires de l’accord de 2019, mais non membres de la coalition rebelle. S’agissant du contenu de ce dialogue, le président serait prêt à discuter des sujets de fond comme la relance de l’accord de paix de février 2019 avec les groupes armés qui n’ont pas rejoint la CPC, mais ne sont pour autant pas satisfaits de la mise en œuvre de l’accord. Il resterait toutefois réticent à aborder d’autres sujets importants comme la réforme de la gouvernance, notamment en matière de lutte contre la corruption et de transparence et des institutions comme la Haute autorité de la bonne gouvernance, ou encore le système électoral. Enfin, le gouvernement a invité deux organisations sous-régionales – la Communauté économique des États de l’Afrique centrale et la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs – à tenir un rôle d’observateurs19.

Les chances de succès du dialogue républicain sont pour l’instant limitées. Il va s’ouvrir sans faire l’objet d’un consensus parmi la classe politique centrafricaine. Selon des sources politiques et diplomatiques à Bangui, certains proches du président Touadéra lui ont fait part de leur opposition au principe même de dialogue. Pour eux, le président ne devrait négocier ni avec l’opposition politique ni avec la rébellion qu’ils considèrent comme les deux faces d’une même pièce.

De son côté, l’opposition politique émet des doutes et est divisée sur sa participation. Beaucoup redoutent en effet que ce dialogue se résume à des audiences séparées entre le président et chaque opposant ou organisation de la société civile, sans qu’un débat collectif sur les sujets de fond n’ait lieu. Fin avril, la COD 2020 a souligné dans un communiqué qu’elle ne participerait pas au dialogue, mais qu’elle pourrait envoyer ses propositions par écrit. Pour elle, ce dialogue ne sert que les intérêts du président. Dénonçant la « démarche unilatérale » du pouvoir dans la mise en place de l’équipe d’appui technique au dialogue, dont les membres sont majoritairement issus du parti au pouvoir, la coalition soutient que le dialogue devrait viser, entre autres, à régler de façon durable la crise postélectorale, à opérer une réforme du système électoral et des réformes institutionnelles et à mettre un terme aux violations des droits humains commises par la CPC et les forces gouvernementales et alliées. Les autres chefs de l’opposition non membres de la COD 2020 comme Martin Ziguélé ont annoncé leur participation au dialogue, mais en nourrissant beaucoup de doutes sur sa sincérité. Dans l’ensemble, les opposants perçoivent le dialogue comme un stratagème du président Touadéra pour faire baisser la pression que font peser sur lui des partenaires internationaux et régionaux.

Les possibles voies d’apaisement de la scène politique

Le gouvernement gagnerait à considérer l’opposition comme un partenaire plutôt qu’un ennemi. Cela lui permettrait d’avoir une solide assise politique pour mieux faire face à la rébellion. Il pourrait ainsi plus facilement isoler la rébellion et la combattre. L’opposition, quant à elle, devrait accepter la main tendue du gouvernement en vue d’un dialogue républicain, ce qui lui permettrait d’obtenir probablement des concessions de la part du pouvoir.

Le pouvoir en place devrait préalablement instaurer un climat propice au dialogue en prenant des mesures pour décrisper l’atmosphère, comme la levée de l’état d’urgence, au moins dans la capitale, la libération des opposants politiques et acteurs sociaux arbitrairement arrêtés depuis la mi-décembre et contre lesquels ne pèse aucune charge probante et en cessant les menaces et les intimidations contre les opposants politiques. En échange, ces derniers devraient tous reconnaitre la réélection du président Toua- déra et s’engager à participer au dialogue. Ensuite, Touadéra devrait respecter sa promesse d’inclure toute l’opposition politique à ce dialogue, y compris le Kwa Na Kwa. Ce parti, anciennement présidé par François Bozizé, qui s’est largement discrédité et exclu lui-même du jeu politique en prenant la tête de la CPC, dispose pourtant d’une solide assise populaire, en particulier au sein de la communauté gbaya. Un dialogue inclusif permettrait notamment de canaliser les éventuelles frustrations de cette communauté, liées à l’exclusion de François Bozizé, faute de quoi certains de ses membres pourraient alimenter la rébellion actuelle ou de futures contestations violentes.

Sur le fond, le dialogue devrait aborder des sujets clés comme la réforme du système électoral et de la gouvernance afin d’aller vers une gouvernance plus consensuelle. S’agissant de la réforme du système électoral, il est primordial qu’opposition et gouvernement trouvent un consensus pour éviter des crises politiques futures. L’opposition met en cause l’indépendance de l’Autorité nationale des élections et réclame sa réforme. Le gouvernement devrait trouver un compromis autour de la réforme du système électoral avant les élections des maires et gouverneurs, prévues en fin d’année, s’il veut éviter une crise similaire à celle des élections de décembre 2020.

 

président pourrait également opter pour une gouvernance plus consensuelle du pays. Cela pourrait passer par la mise en place effective du statut de chef de l’opposition politique adopté depuis février 2020. Le gouvernement devrait envisager des consultations régulières avec l’opposition politique et la société civile, et s’efforcer de tenir compte de leurs points de vue. Sans nécessairement former un gouvernement d’union nationale, qui impliquerait d’avoir un premier ministre issu de l’opposition, le président pourrait néanmoins inclure des représentants de l’opposition et de la société civile dans la formation d’un nouveau gouvernement après le dialogue de mai. Il n’a pas l’obligation de le faire puisqu’il a une majorité relative à l’Assemblée nationale et pourrait obtenir facilement une majorité absolue grâce à la cooptation des députés indépendants. Mais en associant des opposants et des acteurs de la société civile au gouvernement, il enverrait un signal fort susceptible d’apaiser le climat politique.

L’opposition craint également que le président Touadéra ne modifie la Constitution pour briguer un troisième mandat. Pour lever ces inquiétudes, celui-ci pourrait s’engager publiquement, dans le cadre des pourparlers avec l’opposition politique, à respecter les lois constitutionnelles. Cet engagement aurait une forte portée symbolique et permettrait au pouvoir de rappeler son attachement à la Constitution et au principe d’alternance démocratique.

En tout état de cause, un dialogue national est nécessaire entre l’opposition politique et le gouvernement pour permettre que les mécontentements continuent de s’exprimer dans un cadre légal et non par la violence armée. C’est la solution la plus idoine pour éviter que des tensions politiques ne finissent par faire le lit d’une instabilité qui rendrait le pays difficilement gouvernable. 60 ans après les indépendances, il est temps pour les Centrafricains de forger un nouveau consensus, d’aller au-delà des demi-solutions et solutions à court terme afin de poser les jalons d’une refondation apaisée de la gouvernance et de l’État20

 

Université de Montréal

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