Le combat pour la justice : Entretien exclusif avec Aubin KOTTO-KPENZE, Président de l’association des victimes centrafricaines de la LRA
Bangui, 27 décembre 2023 (CNC) –Dans cette interview exclusive, nous avons eu l’opportunité de parler avec Aubin KOTTO-KPENZE, le Président national de l’association centrafricaine AVLRAC (Association des Victimes de la LRA en Centrafrique). Il partage avec nous les derniers développements de l’affaire Joseph KONY à la Cour pénale internationale (CPI) et explique la demande du Procureur de la CPI de tenir le procès de KONY par contumace. De plus, il souligne les défis auxquels sont confrontées les victimes centrafricaines de la LRA, les efforts pour leur faire entendre leur voix et les besoins pressants de cette communauté en détresse. Cette interview offre un aperçu crucial de l’affaire KONY et de la situation des victimes centrafricaines, tout en appelant à l’action et au soutien de la communauté internationale pour la justice et la réparation.
Corbeaunews-Centrafrique (CNC) : Bonjour Monsieur KOTTO-KPENZE, merci d’avoir accepté cette interview. Pouvez-vous commencer par nous donner un aperçu des dernières évolutions de l’affaire KONY à la CPI et expliquer la demande du procureur de la CPI Karim KHAN de tenir le procès par contumace ?
AKK : Bonjour je suis Monsieur Aubin KOTTO-KPENZE, Président national de l’association centrafricaine AVLRAC, association des victimes de la LRA en Centrafrique. Notre association a été créée en 2010 et a pour objectif la défense des intérêts des victimes centrafricaines de la LRA et de Joseph KONY au niveau de la justice internationale. Je suis moi-même victime de Joseph KONY et de la LRA. En effet, je fus enlevé le 6 mars 2008 à Obo par la LRA et j’ai été utilisé comme médecin personnel de Joseph KONY. Concernant les derniers développements de l’affaire KONY, je peux vous déclarer que le Procureur de la CPI a adressé une requête à la Chambre préliminaire de la CPI en novembre 2022 pour demander à ce que le procès de Joseph KONY se tienne par contumace donc en son absence. Nous attendons la décision de la Chambre préliminaire à l’heure actuelle. L’avocat de notre association AVLRAC, Maître Isabelle KESSEL a également saisi d’une plainte, le Bureau du Procureur de la CPI pour que les victimes centrafricaines puissent être incluses dans le procès KONY aux côtés des victimes ougandaises.
En effet, l’enquête relative à la situation en Ouganda s’est ouverte en 2004. En juillet 2005, est délivré un mandat d’arrêt contre Joseph Kony, fondateur et chef de l’Armée de résistance du Seigneur, suspecté de 33 chefs de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, parmi lesquels le meurtre, les traitements cruels, la réduction en esclavage, le viol et les attaques dirigées contre une population civile.
CNC Pourquoi le procès de Joseph KONY est-il prévu de se tenir par contumace ? Quelles sont les implications de cette décision pour les victimes ?
AKK : Le Procureur de la CPI, Monsieur Karim KHAN a, dans un communiqué daté du 24 novembre 2022, déclaré « J’estime qu’il est à présent opportun et nécessaire de faire avancer la procédure intentée à son encontre (KONY) dans la mesure où le permettent les dispositions du Statut de Rome. Ainsi, après avoir minutieusement examiné les circonstances de l’espèce, j’ai demandé à la Chambre préliminaire de tenir une audience de confirmation des charges contre M. Kony en l’absence de celui-ci, ainsi qu’il est prévu à l’article 61-2-b du Statut de Rome et aux règles 123 et 125 du Règlement de procédure et de preuve. En parallèle, mon Bureau intensifiera ses efforts pour obtenir l’arrestation de M. Kony, qui demeure par ailleurs le suspect en fuite le plus longuement recherché par la CPI. »
Cela fait donc déjà 18 ans que le mandat d’arrêt a été délivré par la CPI contre Joseph KONY. Si la Chambre préliminaire fait droit à la demande du Procureur de la CPI, nous avons bon espoir que la décision rendue marquera un grand tournant pour les victimes centrafricaines des crimes de M. Kony, lesquelles attendent patiemment depuis plus de vingt ans que justice leur soit rendue.
CNC : Vous avez souhaité que les victimes centrafricaines participent à ce procès, même si l’État centrafricain n’a pas saisi la CPI. Pourriez-vous nous expliquer comment cela pourrait être possible ?
AKK : En effet, notre avocat Maître KESSEL a d’ores et déjà saisi le Procureur de la CPI au nom des victimes centrafricaines de la LRA. Il y a trois moyens pour qu’une affaire soit évoquée devant la CPI. Tout d’abord, l’État sur le territoire duquel ont été commis les crimes de guerre et les crimes contre l’Humanité, a le droit de saisir la CPI d’une affaire. En deuxième lieu, le Conseil de sécurité des Nations unies, sous chapitre 7 de la Charte des Nations unies, a le droit de saisir la CPI pour des crimes graves et de masse commis sur un territoire. Et enfin le Procureur de la CPI peut s’autosaisir d’une situation. En effet, l’article 15 du Statut de Rome stipule que « Le Procureur peut ouvrir une enquête de sa propre initiative au vu de renseignements concernant des crimes relevant de la compétence de la Cour ».
CNC : Pouvez-vous nous parler de la visite du procureur adjoint de la CPI, Monsieur Mame NIANG à Bangui fin novembre 2023, et de la discussion que vous avez eue avec lui concernant cette affaire ?
AKK : Depuis l’affaire KONY et l’affaire ONGWEN, il n’y a jamais eu de volonté de la part de l’État centrafricain de saisir la CPI au nom des victimes centrafricaines de la LRA. Aujourd’hui, le procureur adjoint de la CPI nous a fait l’honneur de venir rencontrer les victimes en République centrafricaine. Ce déplacement est à saluer et à encourager pour l’avenir afin que le bureau du Procureur de la CPI vienne toucher du doigt les réalités des victimes centrafricaines. L’Association AVLRAC demande solennellement au Procureur de la CPI de se saisir des crimes commis par Joseph KONY en République centrafricaine et de joindre le dossier à la situation de l’Ouganda pour que les victimes centrafricaines de Joseph KONY puissent participer au procès KONY aux côtés des victimes ougandaises. Ce qu’elles n’ont pas pu faire lors du procès ONGWEN, hélas !
Comme je vous l’ai dit notre avocat a déjà envoyé une plainte documentée au Bureau du Procureur de la CPI. Nous suivons avec attention cette procédure et nous sommes déterminés à réclamer justice.
CNC : vous avez souligné dans une interview accordée à un média local que les victimes centrafricaines de la LRA, sont actuellement oubliées par le gouvernement centrafricain et qu’elles vivent dans des conditions très difficiles. Pourriez-vous nous donner un aperçu de la situation actuelle de ces victimes dans les régions telles que Obo, Bangassou, Zemio, Rafai et Mboki ?
AKK : Oui, je vous confirme que les victimes centrafricaines de la LRA sont abandonnées à leur triste sort. Nous avons beaucoup de filles mères parmi nos membres qui sont sorties des rangs de la LRA. Beaucoup d’entre elles ont été violées par les éléments de la LRA, ont eu des grossesses forcées et des enfants sont issus de ces grossesses. Nous avons même les enfants de KONY qui sont membres de notre association, issus de grossesses forcées. Il n’y a aucune prise en charge médicale, psychologique de ces filles-mères et de ces enfants issus de viols. Ces enfants souffrent d’insécurité alimentaire, malnutrition et ne vont pas à l’école. Nous sommes très préoccupés.
Il y a ensuite le cas des enfants soldats qui ont réussi à fuir les camps de la LRA et que notre association prend en charge à la sortie de captivité. Certains enfants soldats deviennent des enfants de la rue, tombent parfois dans la délinquance, ils ne vont plus à l’école. Il n’y a pas d’activités économiques qui puissent donner du travail à toutes ces victimes. Ce désœuvrement est une plaie sociale car cela freine leur réinsertion socio-économique. Et notre organisation manque cruellement de moyens pour assumer ces missions essentielles auprès des victimes.
CNC : quels sont les besoins les plus pressants des victimes centrafricaines de la LRA et quelles mesures pouvez-vous proposer pour améliorer leur situation ?
AKK : Nous avons besoin d’aides alimentaires d’urgence, de vivres, de couvertures, de kits d’urgence, d’assistance médicale et psychologique car les traumatismes sont toujours présents et lourds. Je lance un appel aux ONG internationales pour qu’elles puissent descendre avec mon équipe à Obo, Zémio, Mboki, Rafai, Bangassou et constater les besoins immenses de ces groupes de victimes en détresse et nous prêter main forte.
CNC : Y a -t-il des efforts en cours pour sensibiliser davantage à la situation de ces victimes, que ce soit au niveau national ou international ?
AKK : Je remercie les médias car c’est grâce à eux que l’association AVLRAC peut faire des interviews et lancer des appels à l’aide et donner un peu d’espoir aux victimes centrafricaines de la LRA. Jusqu’à présent c’est Dieu qui nous a protégés dans la brousse lors de notre captivité. Aujourd’hui, grâce aux médias nous faisons de la sensibilisation et nous informons l’opinion tant nationale qu’internationale. Vous me permettez de porter haut et fort la voix des victimes.
Par ailleurs, l’association AVLRAC cherche toujours des partenaires techniques et financiers pour faire de la sensibilisation auprès des victimes de KONY et initier des activités de formation et des activités génératrices de revenus (AGR). J’encourage les médias internationaux à entrer en contact avec notre association afin de relater au monde entier les atrocités commises par Joseph KONY et les éléments de la LRA sur les victimes centrafricaines.
CNC : Vous avez mentionné que le procureur de la CPI peut s’autosaisir en faveur des victimes centrafricaines. Pouvez-vous nous expliquer en quoi cela consiste et quelles étapes doivent être franchies pour que cela se produise ?
AKK : comme je vous l’ai expliqué le Procureur de la CPI peut s’autosaisir dans une situation concernant un pays où auraient été commis des crimes de masse en vertu de l’article 15 du Statut de Rome.
L’article 15 alinéa 2 de ce Statut , stipule ensuite que « Le Procureur vérifie le sérieux des renseignements reçus. À cette fin, il peut rechercher des renseignements supplémentaires auprès d’États, d’organes de l’Organisation des Nations Unies, d’organisations intergouvernementales et non gouvernementales, ou d’autres sources dignes de foi qu’il juge appropriées, et recueillir des dépositions écrites ou orales au siège de la Cour. » Nous invoquons ces dispositions pour que la CPI se saisisse du cas des victimes de Joseph KONY en République centrafricaine.
CNC : Comment les membres de votre association, AVLRAC, travaillent-ils pour promouvoir cette autosaisine en faveur des victimes centrafricaines ?
AKK : C’est notre Conseil Maître Isabelle KESSEL qui s’occupe du volet judiciaire au niveau de la Cour pénale internationale et qui œuvre pour que nous obtenions justice et réparation.
CNC : Quelles sont vos attentes et vos espoirs pour l’avenir de cette affaire KONY et pour le soutien aux victimes centrafricaines de la LRA ?
AKK : Nos membres ont été victimes de viols, assassinats, grossesses forcées, esclavage sexuel, enrôlement forcé d’enfants, travail forcé, incendies, pillages, déportation. Il y a des survivants. Je suis un survivant. Témoigner est pour moi un devoir une nécessité. L’écrivain italien Primo Levi avait ainsi déclaré « Si nous nous taisons, qui parlera ? ». Alors moi je parle et continuerai de parler pour que ne soient pas oubliées les victimes centrafricaines de Joseph KONY et de la LRA. C’est un besoin impérieux pour moi de raconter l’indicible que nous avons vécu dans les camps de la LRA. Il n’est pas permis d’oublier. Il n’est pas permis de se taire. J’insiste !
Le Procureur de la CPI doit s’autosaisir de notre situation pour montrer à l’opinion nationale et internationale que KONY a commis des crimes atroces en République centrafricaine. Les survivants sont encore là et nous n’avons rien oublié. Des vies ont été fauchées, brisées. Nous nourrissons l’espoir que la justice internationale fasse son travail et que les victimes centrafricaines de KONY soient indemnisées pour pouvoir reconstruire leurs vies et aller de l’avant. Il est important que nous reprenions une vie sociale normale même si nous n’oublierons pas ce qui s’est passé dans les camps de la LRA. Les souvenirs sont toujours bien présents.
CNC : Comment les lecteurs et la communauté internationale peuvent-ils contribuer à soutenir votre cause et à sensibiliser davantage à cette question ?
AKK : Notre organisation AVLRAC lance un appel à la MINUSCA, au PNUD, aux partenaires techniques et financiers, les ONG internationales, les représentations diplomatiques accréditées en République centrafricaine pour qu’ils puissent nous assister et nous soutenir financièrement via des projets de formation et activités génératrices de revenus (AGR) afin de nous permettre de mener des activités résilientes en attendant que la justice passe avec le procès KONY, qui est toujours recherché.
CNC : Merci beaucoup, Monsieur Kotto-Kpenze, pour avoir partagé ces informations importantes avec nous. Nous espérons que votre plaidoyer en faveur des victimes centrafricaines de la LRA portera ses fruits. Nous restons attentifs à l’évolution de cette affaire et à votre travail.