Jean-Pierre Mara : Les Ombres de la Disparition du Président Barthelemy Boganda

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Jean-Pierre Mara : Les Ombres de la Disparition du Président Barthelemy Boganda

 

Barthelemy Boganda : quand une Commémoration Hypocrite et Opportuniste tourne à la propagande du régime
Le Président fondateur de la République centrafricaine, monsieur Barthelemy Boganda , ici en FAMILLE, EN 1958, À BANGUI. Photo fournie par M.B.BOSSIN.

 

Par la rédaction de Corbeau News Centrafrique, CNC.

 Le 29 mars 1959, Barthélemy Boganda, leader clé de l’indépendance centrafricaine, disparaît dans un crash aérien énigmatique. Sabotage, silences complices et jeux coloniaux entourent cet événement. Qui étaient ses alliés ? Pourquoi ce vol fatal fut-il si peu encadré ? Jean-Pierre Mara retrace cette histoire, explorant les tensions d’une décolonisation marquée par le doute en Centrafrique.

Ci-dessous, l’extrait de son texte sur la mort du Président Barthelemy Boganda.

 

Des questions que je me pose autour de la disparition de Barthélemy Boganda : la collaboration au sein des partis politiques et des plateformes politiques. Quel est le degré de confiance ? Voici un passage de mon prochain livre intitulé Oser les changements en RCA, tome 2 de Oser les changements en Afrique, cas du Centrafrique, paru en 2008.

 

Le passage :

« À partir du 1er janvier 1958, Paul Bordier, qui a remplacé Louis Sanmarco comme administrateur en chef, ne compte pas partager le pouvoir avec ces “nègres” qui, jusqu’alors, n’étaient que des sujets avant de devenir membres d’un gouvernement local sans importance à ses yeux. Après la victoire du “oui” au référendum, Boganda, revenu de Brazzaville, reprend tous les pouvoirs délégués à Abel Goumba.

 

Le premier conseil de gouvernement, présidé par Barthélemy Boganda, comptait sept membres :

– Abel Goumba, ministre des Finances et du Plan ;

– David Dacko, ministre de l’Intérieur, de l’Économie et du Plan ;

– Robert Gbaguidi, ministre de l’Instruction publique et du Travail ;

– Marcel Douzima, ministre de l’Agriculture, de l’Élevage, des Eaux, Forêts, Chasse et Pêche ;

– Pierre Faustin Maleyombo, ministre des Travaux publics, des Transports et des Mines ;

– Albert Sato, ministre de la Santé publique et des Affaires sociales.

 

Tous les portefeuilles de souveraineté, comme la Défense, les Finances, la Communication, les Affaires étrangères, le Plan, le Budget ou encore l’Éducation nationale, restent entre les mains de Bordier.

 

Nous sommes en mars 1959. Conformément aux articles 63 à 66 de la loi-cadre et au principe de l’autonomie partielle des colonies, le conseil de gouvernement local a la responsabilité d’organiser les élections législatives pour établir une assemblée constituante. Utilisant un Nord-Atlas, un avion conçu pour le transport militaire dans des géographies difficiles, Barthélemy Boganda entreprend d’implanter le drapeau de la nouvelle république en préparation de l’indépendance.

 

Après Bangassou, Boganda arrive à Bambari, des villes qu’il connaît bien pour y avoir été prêtre. Selon les témoignages de Fravo, Adamo et Denkan, adeptes de Bambari, une conversation entre Européens évoquant un sabotage de l’avion prévu pour son déplacement est interceptée par un membre du MESAN. Cette information est transmise à Dacko pour qu’il avertisse Boganda de reporter ou d’annuler son prochain voyage. Personne ne peut confirmer si Dacko a relayé le message. Quoi qu’il en soit, de retour à Bangui et prêt à poursuivre vers Berbérati pour y planter le drapeau, Boganda choisit de s’accompagner d’Albert Fayama, son cousin germain. Le jour du départ, Fayama est absent. Boganda se rend chez lui en personne. Celui-ci prétexte une maladie, mais face à l’insistance de Boganda, il finit par céder.

 

Le 29 mars 1959, l’avion doit ramener Boganda à Bangui. Prosper Kangala, adjoint au maire de Berbérati et instituteur, s’approche de Boganda. Il demande à profiter du vol, arguant des raisons familiales : sa femme est restée à Bangui et sa mère aurait des soucis de santé. Boganda refuse d’abord, puis accepte sous la pression de Kangala.

 

Trois passagers et quatre membres d’équipage embarquent à bord du Nord-Atlas reliant Berbérati à Bangui ce 29 mars 1959 :

– Albert Fayama, député de l’AEF, cousin et seul accompagnateur politique de Boganda dans cette mission ;

– Prosper Kangala ;

– Michel Duplessis, directeur d’une banque à Berbérati ;

– Henri Villemin, pilote ;

– Jean Espenon, mécanicien ;

– Jacques-Henri Stora, chargé de la radio ;

– Gabriel Minyemeck, steward d’origine camerounaise.

 

Des témoins ayant assisté à l’embarquement affirment avoir vu un individu avec un paquet près de l’avion peu avant le décollage. Selon Abel Goumba, revenu de mission le 29 mars vers 11 heures, on lui annonce que Boganda est parti le matin pour Berbérati et que son avion reviendra dans l’après-midi. Les ministres du conseil de gouvernement se rendent alors à l’aéroport pour accueillir le président, aucun d’eux n’ayant participé à la mission. Georges Kazangba, adjoint au maire de Bangui et proche de Boganda, confirmera cette version dans une émission sur la disparition de l’avion.

 

Mais l’attente se prolonge. Vers 17 heures, Bordier informe les membres du conseil qu’un problème est survenu avec l’avion. Ce n’est que vers minuit qu’il précise que l’appareil s’est écrasé. Goumba, Maleyombo et Gbaguidi sont alors conduits par une jeep militaire sur les lieux, qu’ils atteignent le 30 mars 1959.

 

L’avion s’est écrasé entre 12 heures et 14 heures près du village de Boukpayanga, dans l’actuelle préfecture de la Lobaye, un endroit marécageux inaccessible par route à l’époque. Léopold Yamomemano, infirmier militaire dans l’armée coloniale à ce moment-là, raconte que des jeeps militaires, conduites par des officiers coloniaux, ont circulé toute la nuit du 29 mars. Les soldats étaient consignés au camp du Kassaï. Au petit matin, un clairon appelle au rassemblement. Sous les ordres d’officiers blancs, la troupe atteint Boda, puis continue en pirogue vers le site du crash. En chemin, ils croisent le curé de Carnot, qui revenait des lieux. Surpris, ils découvrent Dacko déjà sur place avec un autre peloton. Cela suggère que Bordier, qui coordonnait les communications, avait informé David Dacko bien avant les autres membres du conseil de gouvernement. »

 

Ce passage sur la disparition de Boganda est extrait de mon prochain livre, Oser les changements en RCA, à paraître prochainement. Il pose trois questions :

– Qui étaient les collaborateurs de Barthélemy Boganda ?

– Pourquoi Boganda était-il parti avec son cousin et non un membre du conseil de gouvernement ?

– Qui, parmi les Centrafricains, a participé à la mise en bière, vu que les Blancs de l’époque ne pouvaient pas accomplir cette tâche ?

 

Ces interrogations renvoient à la nécessité d’une recherche approfondie sur les circonstances de la décolonisation de l’Oubangui-Chari.

 

Je suis né en Oubangui-Chari, et je ne l’ai pas choisi. C’est pourquoi ceux qui écartent les binationaux des hautes fonctions en République centrafricaine se trompent.

 

Jean-Pierre Mara

Ancien député, auteur de *Racines croisées : je suis venu, j’ai vu, j’ai vécu*, éditions Baydelaires, 2023