Le Grand Débat National a débuté en décembre et depuis le 15 janvier les citoyens peuvent s’exprimer sur des sujets de politiques publiques concernant tous les Français. Une grande partie de ce débat se déroule sur internet : quelle place peut-on donner à ce média dans le débat public ?
Quand le pouvoir demande l’avis du peuple
Depuis le 17 novembre, date de création du mouvement des Gilets Jaunes, la France connaît une crise inédite. Cela fait déjà plus de deux mois que le groupe fait part de son mécontentement au sujet des différentes taxes que le peuple doit payer et de la baisse du pouvoir d’achat notamment. Mais l’une des principales revendications des Gilets Jaunes, c’est une participation plus importante dans la vie de la nation : les citoyens veulent être entendus, écoutés et avoir un rôle décisif dans les actions du pays.
En réponse à cela, Emmanuel Macron a décidé d’ouvrir un débat à l’échelle nationale ; celui-ci a débuté en décembre dernier, mois pendant lequel les citoyens qui le souhaitaient ont eu la possibilité de déposer leurs requêtes au Président dans leurs mairies. Mais le coup d’envoi du Grand Débat national a véritablement été donné le 15 janvier dernier et prendra fin le 15 mars, avec une synthèse des résultats récoltés prévue pour le mois d’avril. Les acteurs principaux de ce débat sont les citoyens français. Il devrait aboutir à l’adoption de projets dans plusieurs thématiques importantes.
Quatre thématiques à débattre
Ce débat public s’organise autour de quatre thématiques principales qui préoccupent les Français et nécessitent des réponses concrètes dans l’immédiat :
- La transition écologique : son financement, les solutions à mettre en place, sa progression à l’échelle internationale.
- La démocratie et la citoyenneté : redéfinition du rôle des citoyens et des assemblées, intégration des immigrants dans la communauté.
- La fiscalité et les dépenses publiques : comment faire des économies sur le budget du pays ?
- L’organisation de l’Etat et des dépenses publiques : répartition des pouvoirs entre l’Etat, les collectivités et les citoyens.
Afin de prendre en compte l’avis du plus grand nombre, le Grand débat national s’articule sous plusieurs formats : au niveau local sous forme de réunions publiques ou de conférences citoyennes, au coin de la rue grâce à des stands implantés un peu partout, et enfin sur internet !
Des réunions publiques organisées dans toute la France
Des débats sont organisés de manière locale, principalement par les maires, dans le but de trouver des propositions pertinentes en lien avec ces thèmes. Pendant ces débats les citoyens vont essayer d’apporter des réponses constructives et des solutions aux 35 questions qu’Emmanuel Macron leur adresse dans sa lettre officielle. Cependant, il n’y a pas que les maires qui peuvent organiser ces débats. Tous ceux désirant tenir ce type de réunions peuvent se rendre sur la plateforme et s’enregistrer pour recevoir un kit d’organisation accompagné de la présentation de chaque thématique.
Des stands au coin des rues et des conférences citoyennes
Dans les semaines à venir, des stands seront installés dans les rues pour que ceux qui le veulent donnent leur avis dans un autre contexte que le débat. Et à partir du 1er mars, des conférences citoyennes se tiendront dans toutes les régions du pays. Des citoyens choisis au hasard y participeront afin de mettre en commun leurs idées.
Internet, le média clé du Grand Débat National
Les citoyens ont aussi la possibilité de participer au débat en ligne via une plateforme dédiée sur laquelle chacun peut s’exprimer sur les thématiques du Grand Débat. Les avis sont publics, aussi chacun peut consulter les propositions des autres participants. Pour poster sur le site du Grand Débat National il n’est pas nécessaire de renseigner votre nom, il est également possible de choisir un pseudo comme sur un forum afin de rester anonyme.
Bon à savoir
Pour ceux ne souhaitant pas faire de propositions, des questionnaires rapides ont été mis en ligne sur la plateforme.
Le site du débat ne sert pas seulement à poster son opinion, il permet également de consulter la date et les lieux des réunions organisées dans le cadre du Grand débat. Il est également possible de passer par la plateforme pour organiser ces débats et demander les kits nécessaires à leur déroulement. Il existe sur le site des documents expliquant comment s’occuper de l’organisation, de l’animation, mais aussi de la manière dont il faut rédiger un compte-rendu après une réunion.
Passer par internet pour recueillir des avis et s’exprimer semble ici être un moyen d’expression simple et impactant auprès du plus grand nombre. C’est un média grâce auquel chacun peut se faire entendre et participer au changement. L’objectif de ce débat étant de faire entendre l’avis des citoyens pour mettre en place des solutions qui conviendront à la majorité et reflèteront au mieux les désirs des Français de façon à rendre le peuple actif dans l’établissement d’”un nouveau contrat pour la Nation”. Il s’agit notamment pour le Président de la République de donner aux citoyens l’occasion d’être responsabilisés à travers des décisions impactant toute la communauté.
Jusqu’à présent, les citoyens semblent se prêter au jeu. Ainsi pour le thème de la fiscalité et des dépenses publiques, on compte déjà plus de 41 000 avis ; il suffit d’en consulter quelques-uns pour se rendre compte qu’ils prennent cet exercice au sérieux. Comme l’expliquent le journaliste Laurent Sablic et l’économiste Frédéric Gilli, le peuple ne veut pas être un simple spectateur de la vie du pays, il veut y participer activement : les citoyens de tous âges, sexes et milieux confondus désirent être « acteurs de leur vie, de leur réussite ».
De plus, mettre à la disposition des citoyens plusieurs modes de participation au Grand Débat National est un moyen de n’exclure personne : ceux qui préfèrent s’exprimer en ligne peuvent le faire tandis que ceux n’ayant pas accès à internet ou se sentant plus à l’aise dans les débats organisés lors de réunion peuvent assister à une assemblée se tenant à proximité de leur lieu d’habitation.
Les limites d’un tel débat
Malgré toute cette bonne volonté de la part du gouvernement et des citoyens, ce débat conserve d’importantes failles. En se rendant sur le site de grands journaux comme Le Monde ou Le Figaro, on remarque que le débat n’est pas – ou très peu – relaté par la presse généraliste. On peut donc se poser la question de savoir si tous les citoyens sont au courant de son existence et en mesurent les enjeux. Or, si la participation au débat est restreinte, les avis récoltés ne seront pas représentatifs de l’opinion de tous les Français.
Il est également possible de profiter du format de ce débat qui se déroule partiellement en ligne pour instrumentaliser ses résultats. Par exemple, rien n’empêche ceux qui le souhaitent de publier dix avis sous différents pseudonymes sur le site internet pour donner plus de poids à leur opinion. D’autre part, étant donné le grand nombre de réponses attendues, il est difficile d’imaginer comment chacune d’entre elles pourra être lue et étudiée. En d’autres termes, il n’y a aucune garantie que l’avis de tous sera pris en compte.
Les Gilets jeunes organisent leur propre débat
Le « Vrai Débat » ou le débat des Gilets jaunes
Le Vrai Débat, dont le site ouvre le 30 janvier à 9h, est une riposte au Grand Débat National que les Gilets Jaunes voient comme un processus de manipulation. Leur méfiance s’explique en partie parce que le débat n’est pas encadré par la CNDP (Commission Nationale du Débat Public) mais par les ministres Emmanuelle Wargon et Sébastien Lecornu chargés respectivement de la transition écologique et des collectivités territoriales. Cela présage d’après eux un non-respect des principes de transparence, d’indépendance, d’égalité et de neutralité revendiqués par le gouvernement.
On sait pourtant que si la CNDP ne prend pas part à l’encadrement du Grand Débat, c’est principalement en raison de la polémique sur le salaire de la directrice de la commission, Chantal Jouanno. Ce fait m’empêche pas les Gilets Jaunes de considérer que ne pas faire appel à cette organisme d’Etat pour la suite du débat est une preuve du refus d’un dialogue totalement honnête et objectif.
Comment s’organise le débat des Gilets Jaunes ?
Sur le site internet créé pour l’occasion, le collectif dresse un calendrier détaillé de son Vrai Débat :
- Du 30 janvier au 3 mars : collecte des revendications en ligne.
- Du 4 au 17 mars : synthèse des propositions récoltées par des professionnels de lexicométrie.
- Du 18 au 24 mars : conférences citoyennes pour décider de solutions à mettre en place. Elles seront organisées par des participants inscrits à la liste des volontaires et tirés au sort.
Les domaines discutés à travers ce débat diffèrent de ceux du Grand Débat National. Neuf thématiques seront abordées par les participants : la démocratie et les institutions ; la transition écologique et solidaire, le transport, l’agriculture et l’alimentation ; la justice, la police et l’armée ; les affaires étrangères, l’Europe et l’outre-mer ; la santé, la solidarité et le handicap ; l’économie, les finances, le travail et les comptes publics ; l’éducation, la jeunesse, l’enseignement supérieur, la recherche et l’innovation ; la culture et le sport ; expression libre sur un sujet de société.
Une fois les propositions établies, le mouvement veut les partager au gouvernement en se rendant dans tous les ministères, en les faisant passer aux maires et autres élus mais aussi et surtout en faisant une demande de référendum d’initiative citoyenne, ce qui est l’une de leurs revendications d’origine. Si on compare cette organisation à celle du Grand Débat national, on obtient le résultat suivant :
Contrairement au gouvernement, les Gilets Jaunes n’ont pas le budget nécessaire au bon déroulement de leur Vrai Débat. C’est pourquoi Cap Collectif a mis gratuitement à leur disposition le même outil que celui dont dispose le gouvernement, ce que l’entreprise explique par sa neutralité dans les différends entre l’Etat et les Gilets Jaunes. Le mouvement appelle également aux dons des citoyens pour faire vivre sa plateforme, ainsi qu’aux compétences de ceux qui le souhaitent dans les domaines de la communication et de l’analyse de données entre autres.
De la démocratie sur internet
Internet permet d’exprimer des idées et de faire entendre sa voix, en tant qu’individu et en tant que collectivité. Ici, les Gilets Jaunes forment un mouvement d’opposition au gouvernement et se servent des moyens que leur donne internet pour faire circuler leurs idées via les réseaux sociaux comme Twitter et Facebook, et maintenant grâce au site du Vrai Débat. On peut donc se servir d’internet comme un moyen pour exprimer sa protestation mais aussi pour proposer de nouvelles solutions.
Mais comment garantir la transparence et la fiabilité des avis obtenus par les Gilets Jaunes face à ceux du Grand Débat National ? Comme pour tout processus de communication en ligne, les avis peuvent être interprétés de façon à satisfaire une certaine partie de la population ou un certain courant politique. Pour le moment, il s’agit de donner la parole à des personnes qui ne la prennent pas souvent ou qui ne se sentent habituellement pas concernées ni incluses dans le débat public. Il s’agit pour d’autres de s’octroyer la parole pour la première fois. Pour le Grand Débat National comme pour le Vrai Débat, seul le temps pourra nous dire si le débat en ligne peut porter ses fruits et aboutir à la mise en place de solutions efficaces et satisfaisantes pour la majorité de la communauté.
Sources
- https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/01/22/nous-avons-rencontre-les-francais-du-grand-debat-national_5412589_3232.html
- https://www.liberation.fr/amphtml/debats/2018/09/30/la-democratie-ou-l-intelligence-collective_1682255
- https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2018/12/07/qu-est-ce-que-le-referendum-d-initiative-citoyenne-demande-par-des-gilets-jaunes_5394287_4355770.html
- https://www.bfmtv.com/tech/le-vrai-debat-la-plateforme-des-gilets-jaunes-ouvrira-le-28-janvier-1619561.html
Source : https://www.boutique-box-internet.fr