Bangui (République centrafricaine) – 15 déc. 2019 13:56
Actuellement en exil en Ouganda, François Bozizé ronge son frein et multiplie les appels pour revenir dans son pays. Ses partisans au sein du KNK annoncent périodiquement le retour de leur président-fondateur.
Or le 11 décembre, le Tribunal administratif de Bangui a annulé une circulaire qui interdisait à toute compagnie aérienne desservant Bangui, de permettre le retour de François Bozizé dans son pays. Cette décision est-elle la porte ouverte au retour de l’ancien chef de l’État ?
Une annulation sans grand effet
La circulaire du ministre des Transports et de l’Aviation civile, Theodore Jousso, avait été prise le 17 novembre 2016, alors que Faustin-Archange Touadera était déjà Président de la République et que Simplice Sarandji était son Premier ministre. Ce texte, qui vient d’être annulé, n’envisageait qu’un retour par voie aérienne. Voyageant de temps en temps au Soudan du sud, où il obtenu un passeport, François Bozizé pouvait très bien revenir dans son pays par voie terrestre, à partir de ce pays frontalier.
Rien n’indique, pour autant, une mansuétude nouvelle des autorités de Bangui. Les membres du clan actuellement au pouvoir, qui ont accompagné Francois Bozizé dans sa chute de 2008 à 2013, craignent le retour de leur ancien mentor.
L’épée de Damoclès
En mai 2014, durant la Transition de Catherine Samba-Panza, François Bozizé avait été inscrit par le Comité des sanctions du Conseil de Sécurité de l’ONU sur la liste des personnalités sous sanctions onusiennes. Au même titre que feu Levy Yakete et Nourredine Adam, François Bozizé a vu le gel de ses avoirs et une interdiction de voyager. On lui avait fait grief d’avoir participé activement au soulèvement des anti balaka en décembre 2013. Ces sanctions ne sont pas éteintes.
Peu de temps après le coup d ‘Etat de Michel Djotodia Am-Nondroko et de l’ex-Seleka, le 13 mars 2013, le nouveau régime avait aussi lancé un mandat d’arrêt international contre Francois Bozizé pour « crimes contre l’humanité » et » incitation au génocide ». Autant d incriminations susceptibles de rendre compétente la Cour Pénale Internationale, bien que celle-ci ne soit pas actuellement saisie.
Francois Bozizé a quelques raisons de s’interroger sur le sort qui lui serait réservé lors de son retour dans son pays. Il pourrait se réconforter avec la situation de son fils Jean-Francis Bozizé qui échappa à une privation de liberté, à son retour à Bangui, en août 2016. Mais depuis, la situation n’est plus la même avec l’opposition ouverte du KNK, le parti créé par Bozize, à Faustin-Archange Touadera.
A une année des échéances électorales, un retour de François Bozizé ajouterait à la confusion politique du pays.
Deux poids et deux mesures
On se demande comment l’ONU, l’Union africaine, les partenaires bilatéraux et les principales ONG humanitaires peuvent fermer les yeux sur le sort différentiel réservé aux anciens responsables de la Seleka et à certains leaders anti balaka. Il y a là le germe d’une contestation durable peu favorable à la réconciliation nationale.
– Michel Djotodia Am-Nondroko est libre de ses mouvements et peut même rencontrer récemment le chef d’État du Niger, avec les honneurs de son ancienne fonction. Sa gouvernance n’était-t-elle pas également marquée par des crimes contre l’humanité ?
– Nourredine Adam, le véritable leader de l’ex-Seleka et ancien ministre de Michel Djotodia Am-Nondroko, s’est signalé par des exactions que l’on peut qualifier de crimes contre l’humanité. Il fut inscrit sur la liste du Comité des sanctions de l’ONU, en même temps que François Bozizé. Il a été l’un des principaux soutiens au régime actuel pour la signature de l’Accord de Khartoum, signé à Bangui le 6 février 2019. Il bénéficie de l’impunité de facto de cet accord et voyage sans restriction. Il est un interlocuteur apprécié de l’ONU et de l’Union africaine.
– la Cour Pénale Internationale de La Haye a confirmé le procès qui sera réservé aux deux anciens leaders anti balaka, que sont Patrice-Edouard Ngaïssona et Alfred Yekatom. Où sont les prévenus de l’ex-Selaka ? Les seigneurs de la guerre qui terrorisent la population depuis quatre ans, comme Ali Darass, Al-Khatim, Abdoulaye Hissene et Abass Sidiki sont désormais intégrés dans les structures du gouvernement et de l’Armée.
Comme dans d’autres régions d’Afrique, la crise centrafricaine s’est développée sur un terreau de mauvaise gouvernance, du mépris du développement, notamment pour des régions périphériques, pour la satisfaction d’une cupidité sans limite. L’absence de réactions des bailleurs de fonds face à l’abandon de l’Etat de droit et des règles financières élémentaires accompagne et renforce l’impéritie des gouvernants. En dépit des discours mensongers des autorités nationales, l’impunité reste le moteur de la crise nationale et le choix de quelques boucs émissaires, utiles au pouvoir du moment, constitue un alibi pour masquer la réalité d’une justice aux ordres. Comme au Mali, au Burkina Faso et au Niger, où les groupes djihadistes font vaciller les fondements de l’État et imploser le vouloir-vivre collectif, en Centrafrique, faute de réactions, des uns et des autres, on se rapproche du scénario qui se développe au Sahel. Il est déjà bien tard.
Avec Le monde Afrique