CENTRAFRIQUE : OÙ EST DONC PASSÉE LA FRANCE ?
Bangui, 10 août 2018 (CNC) –
LA POLITIQUE AFRICAINE DU PRÉSIDENT EMMANUEL MACRON EST-ELLE EN DIFFICULTÉ EN CENTRAFRIQUE ?
Qui aurait cru, il y a quelque temps encore, que les relations franco-centrafricaines allaient tanguer aussi dangereusement ? Le président français semble en déficit d’une politique efficace en Centrafrique. Manque-t-il un nouveau Foccart ou un « monsieur Afrique » à l’Élysée ?
Les erreurs diplomatiques et les cafouillages se succèdent de façon lancinante. C’est, par exemple, le refus d’Emmanuel Macron de recevoir en audience son homologue centrafricain. Le locataire de l’Élysée aurait qualifié Touadera de : « président incapable de ramener la paix dans son pays… » Il aurait encore conseillé au président centrafricain d’instaurer : « un pouvoir fort… », sous-entendant ainsi que sa présidence était faible. Ces amabilités n’ont pas manqué de vexer le chef de l’État centrafricain. Au cours de ses voyages en Afrique, Emmanuel Macron n’a jamais fait l’escale de Bangui. Pourtant, un contingent français de 500 soldats stationne dans le pays depuis le retrait de la force Sangaris.
Depuis l’indépendance, la Centrafrique est l’exemple emblématique de la « Françafrique ». C’est une chasse jalousement gardée, un pré-carré où la France a toujours eu la haute main sur la fabrique des dirigeants dictateurs et sanguinaires. Néanmoins, malgré ces errements politiques, la France est restée l’amie des temps difficiles, assurant les règlements des salaires des fonctionnaires, apportant l’aide nécessaire dans les domaines de la santé, de l’agriculture et de l’éducation etc…
Mais Emmanuel Macron sembla avoir commis une erreur hautement politique en choisissant le dictateur Idriss Déby Itno, président du Tchad, comme régisseur du chaos qui ravage la RCA. Les Centrafricains tiennent Idriss Déby pour le principal responsable de leurs malheurs. A l’époque, ses soldats n’avaient pas hésité à tirer sur une foule de manifestants pacifiques. L’ONU avait commis un rapport qui mettait en exergue les exactions de l’armée tchadienne en République Centrafricaine. Aujourd’hui, les victimes de Déby envisagent d’ester contre le dictateur tchadien devant la Cour Pénale Internationale (CPI).
LES RUSSES SONT-ILS DEVENUS LES MAITRES DU TEMPS EN CENTRAFRIQUE ?
Les rues de la capitale centrafricaine ne bruissent que des échos des activités des Soviétiques. Ils sont partout – et surtout, bien implantés dans les rouages de l’État : conseillers auprès du président de la République et du Gouvernement ou chargés de la sécurité et de la protection rapprochée de Touadera. D’après nos informations, les conversations des ambassades de France à Bangui, N’Djamena, Brazzaville et Libreville seraient même interceptées et analysées par les services russes compétents.
Face à ce qui apparaît comme une politique très maîtrisée de la part des Russes, la valse des ambassadeurs de la France en Centrafrique donne l’impression d’une grande fébrilité. L’ex-puissance coloniale semble avoir perdu les clés politiques de la situation chaotique en RCA. Elle continue à penser que les solutions de l’imbroglio centrafricain se trouvent à N’Djamena. Quand comprendra-t-on à Paris que, pour les Centrafricains, Idriss Déby Itno est le pyromane ? Il ne peut en aucun cas être le pompier des feux de l’enfer qu’il a allumés en Centrafrique !
LES CHEFS DE L’EX- SELEKA ONT ÉTÉ CONVIES PAR LA FRANCE ET LE TCHAD A UNE RÉUNION A N’DJAMENA
Il semblerait que ce soit à l’initiative de la France que cette exhibition indécente ait été organisée. Décidément, Paris est en train d’anéantir les liens de près d’un siècle qui lient les Français et les Centrafricains. Comment la France, membre du Conseil de Sécurité de l’ONU, peut-elle réunir les chefs de bandes armées, qui sont des criminels de guerre, poursuivis par les Nations-Unies, concernés par des sanctions et interdits de déplacements ? Ce sont les ex-Sélékas que la France a combattus qui sont devenus aujourd’hui des interlocuteurs privilégiés !
Ajoutons que, pour cette réunion qui ressemble à une provocation, les autorités légitimes de la RCA n’ont pas été conviées.
De quoi les chefs rebelles vont-ils parler, si ce n’est de leurs exigences répétées, à savoir, d’une part, le départ de Touadera ou le partage du pouvoir et, d’autre part, l’impunité choquante, sans repentance, ni obligation de demander pardon au peuple centrafricain qu’ils ont martyrisé ?
Ces exigences sont inacceptables et indignes pour un État souverain agressé par un conglomérat de mercenaires étrangers. Substituer aux dirigeants légitimes de la République centrafricaine le sanguinaire dictateur tchadien pour rechercher la paix est incompréhensible. On atteint là les sommets de l’aberration ! Si ce n’est pas une erreur, c’est un cafouillage politique. Quand on ignore les dirigeants légitimes d’un État souverain et son peuple, il ne faut pas ensuite s’étonner qu’ils cherchent d’autres amis ailleurs…Décidément, la France patauge en Centrafrique. Malgré les liens centenaires qui les unissent, elle ne connaît toujours pas la psychologie du Centrafricain et ne sait pas tenir compte de ses désirs pour son avenir et celui de son pays.
La réunion de N’Djamena, ourdie par la France et Idriss Déby, n’aboutira à rien, comme les précédentes. Elle ne fera qu’éloigner encore plus les Centrafricains de la France et compromettra le surgissement de la paix.
Dès lors, les Russes n’auront pas de mal à occuper la place laissée par une France qui ne sait plus sur quel pied danser dans ce pays.
Par : JOSEPH AKOUISSONNE DE KITIKI
Journaliste contributeur
(9août 2018)