Sud Quotidien (Sénégal) / Corbeau News Centrafrique: 04-12-2014.
C’est avec une voix meurtrie que la ministre conseillère en communication, chargée de suivi de la réconciliation de la République centrafricaine s’est confiée à Sud Quotidien. Evoquant avec regrets et une profonde tristesse le drame que vit son pays depuis quelques années, elle parle surtout de l’épreuve que constitue le gouvernement de transition qui peine à sécuriser un pays dévasté. Mais, ce qui constitue la nouvelle blessure faite au peuple centrafricain est le fait que son Etat n’était pas convié au banquet de la francophonie à Dakar. Pourquoi cette marginalisation et quel avenir pour ce peuple qui est dans le désarroi le plus total malgré la présence des forces internationale? Réponses dans cet entretien
Malgré la transition réalisée avec la nomination à la présidence de Mme Cathérine Samba Panza et la mise en place d’un gouvernement provisoire, la République de la Centrafrique n’est pas encore sortie du bourbier. Pouvez nous faire la genèse de la situation de votre pays ?
Mme Cathérine Samba Panza, chef de la transition le 20 janvier 2014 est le fruit d’une élection du Conseil national de la transition, c’est-à-dire le parlement africain de la transition suite au coup d’état contre les institutions du 24 mars 2013. La Communauté des états de l’Afrique centrale est intervenue pour demander la démission de la première transition qui était issue du coup d’état. C’est dans ce contexte que le conseil national de la transition a été amené à élaborer des critères très sélectifs pour désigner une personnalité centrafricaine neutre et en mesure de conduire la transition.
A cet effet, Cathérine Samba Panza a été élue à l’issue d’un vote démocratique de la représentation nationale du pays centrafricain.
Cette élection a donné beaucoup d’espoir aux centrafricains et a permis de mettre un terme au coup d’Etat institutionnel. Mais, la crise était trop profonde, malgré les accords et interventions de la communauté internationale. La situation sur le plan de la sécurité reste très volatile parce que la plupart des groupes armés qui ont mis le pays dans cette situation à partir de décembre 2012 jusqu’aujourd’hui n’ont pas du tout été désarmés. C’est cela l’explication de la poursuite de la violence. Tant que ces groupes armés ne seront pas désarmés, ce sera difficile de retrouver l’apaisement.
Mme le président de la République a nommé un musulman Premier ministre. Cela a-t-il un effet pour apaiser le génocide centrafricain ?
La Républicaine centrafricaine est un pays laïc, c’est très important de le préciser. Une République est une, indivisible et laïque. On n’a jamais eu dans ce pays des questions sur le plan religieux. C’est un problème plaqué. En République centrafricaine c’est une crise de bonne gouvernance mais on se rend compte que cette crise révèle une crise de prédation de groupes armés qui tiennent ce pays dans cette situation. Ils ont accès aux ressources et organisent un pillage en règle du pays.
Qu’est ce qui explique cette aversion contre les musulmans au point de les exterminer ?
Il n’y a pas eu d’extermination en République centrafricaine, ce sont des représentations très tendancieuses. Comme l’accès au pouvoir en République centrafricaine a eu lieu dans la violence, il ya eu beaucoup de massacres, de violences sur la population. Et la population en se réveillant pour tenter de se libérer a ciblé un certain nombre de catégories de population et la lecture d’une certaine presse internationale a été confessionnelle ou religieuse alors qu’en réalité c’était purement politique. Parce que les personnes avaient dit qu’elles étaient agressées pour une telle raison, il fallait qu’elles réagissent. Et donc ces raisons on ne peut pas les considérer comme des réactions normales. Il faut situer l’intervention de la violence communautaire en Afrique plus d’un an après le coup d’Etat institutionnel où il y a eu l’usage des mercenaires internationaux en Centrafrique majoritairement de confession musulmane. Donc, c’est cela qui a perturbé l’équilibre national.
Aujourd’hui, quelle est la politique menée par votre gouvernement pour mettre fin aux multiples violences qui sévissent en Centrafrique?
L’Etat centrafricain a été totalement détruit par ces mercenaires. Le tissu économique et social détruit, les biens publics et privés pillés et amenés dans d’autres pays. La République centrafricaine est restée sur le carreau des massacres des populations. Cela a été une situation très grave. Donc, l’Etat est en reconstruction et le chef d’Etat de la transition a beaucoup fait. Quand elle a été désignée par le conseil national de la transition le 20 janvier 2O14, l’état centrafricain n’existait que de nom. Les groupes armés y compris les mercenaires occupaient les casernes, la gendarmerie, la police, et les administrations. Elle a fait un travail colossal pour obtenir la libération progressive de tous les espaces appartenant à l’administration. Ensuite, elle a commencé à redéployer l’administration qui était persécutée par les mêmes groupes armés dans les provinces. Elle a commencé à faire ce travail pour réinstaller l’administration. L’activité judiciaire n’a pas eu lieu pendant plus d’un an. En début 2014, elle a relancé l’activité judiciaire en renommant tous les hauts magistrats et chefs de juridiction à Bangui et dans toutes les provinces. Elle a également installé l’état major des armées parce que l’armée était persécutée et détruite. Elle a fait reconstituer les troupes de l’armée centrafricaine. Ils sont aujourd’hui plus de 8000 hommes qui sont entrainés dans un camp de Bangui pour reconstituer une nouvelle armée plus professionnelle, plus nombreuse et plus importante capable défendre le territoire, l’Etat et la population. Donc, tout ce travail, cette dame l’a fait et c’est difficile.
Mais est ce que la Centrafrique ne risque pas d’être une réplique de l’Irak en Afrique ?
Cela dépendra de ce que la communauté internationale veut faire de la RCA. C’est important de poser cette question parce qu’il est de plus en plus difficile pour le peuple centrafricain de comprendre que malgré la présence des forces française, européenne et onusienne, les groupes armés circulent armes au poing. Cela crée l’insécurité.
Selon vous, quels sont les vrais coupables de la situation centrafricaine ?
Les responsables de cette situation sont toutes les autorités qui ont géré ce pays dans le sens de l’intérêt égoïste, l’intérêt clanique et qui n’ont pas tenu compte de l’intérêt général. Tout cela, les investigations permettront de les situer. Donc, on ne peut pointer des personnes tant qu’il n’y a pas de faisceaux d’indices ou de mises en examen ou de jugements. Car, il y a la présomption d’innocence. Mais, par la presse, vous entendez qu’il existe sur certains nombres de personnes des indices qui continuent d’alimenter cette crise et la CPI a commencé à citer des noms. Les Usa citent également quelques noms. Ces noms font partie des investigations et je pense que le chef de l’Etat de la transition Mme Samba Panza est en route pour aller à New York rencontrer la Cour pénale internationale et approfondir ces questions pour que la justice commence enfin à faire son travail.
Je pense que les forces internationales de défenses la MUNISCA pour les Nations Unies, l’Union européenne, la France vont réussir leur mission, puisque la République centrafricaine est mise sous embargo et son armée n’a pas le droit de se défendre et défendre sa population. Pendant ce temps, les groupes rebelles ne sont pas sous embargo; allez comprendre…
C’est une situation assez incompréhensible et nous souhaitons que ces armées qui remplacent aujourd’hui l’armée centrafricaine par la teneur des résolutions du Conseil de sécurité des nations unies jouent ce rôle de désarmer les groupes armés. Parce que même si la CPI est en train d’investiguer sur les personnes déjà tuées, des personnes continuent d’être tuées. C’est comme si la RCA va être à la CPI le prochain siècle si on n’arrête pas ceux qui tuent les gens.
Vous n’avez assisté au sommet de la francophonie à Dakar. Qu’ est-ce qui l’explique ? ‘
Je n’ai pas pu assister au sommet de la francophonie pour la simple raison que notre pays a été exclu de l’invitation d’y participer. Et c’est tout un pays qui en détresse parce qu’il a été ignoré. Par rapport à la morale politique de l’espace francophone, on peut se poser des questions lorsqu’un pays, un peuple qui souffre à ce point avec une présidente de la transition élue dans des conditions difficiles puisse être ignoré à ce point. Alors que ce peuple vit dans une mare de sang sans savoir pourquoi et qu’on essaye de lui faire croire qu’il est un peuple raciste, un peuple confessionnel. Tout cela pour masquer la détresse du peuple centrafricain. On ne sait pas qui veut détruire le peuple centrafricain pour s’accaparer de ses richesses colossales.
Qu’est ce qui explique votre voyage à Dakar?
Même si la francophonie n’a pas voulu inviter le chef de l’Etat de la transition, nous nous sommes présentés. L’espace de la conférence est un endroit sécurisé où l’on vous demande à chaque fois le badge d’accès. Vous avez beau être un état, si vous n’avez pas de badge vous ne passez pas. Mais je tenais à venir à Dakar pour rencontrer les médias et échanger avec eux dans la mesure du possible de plus près pour que l’opinion sénégalaise et francophone sache que la RCA lance un cri de détresse à l’endroit du monde francophone. Ce peuple martyr ne comprend pas pourquoi il est ignoré de cette façon. Il faudra qu’on lui explique un jour.
Pensez vous que la francophonie peut rendre utile à la résolution de vos maux politiques ?
Nécessairement, les maux politiques de la RCA sont aussi les maux de la francophonie. Parce que la RCA est au cœur de l’espace francophone en Afrique centrale de la CEAC. Donc la francophonie ne peut pas par une pirouette se laver les mains sur ce qui s’y passe. D’une certaine façon, la RCA est l’échec de la francophonie. Parce que c’est un pays francophone qui n’a pas pu rentrer dans l’heure de la démocratie et de la bonne gouvernance. Donc c’est bien dans cet espace francophone que ce pays n’a pas été rattrapé à temps. C’est aussi l’échec d’une certaine francophonie.
Vous avez un mot à dire à la nouvelle secrétaire général élue ?
Je voudrais dire à cette dame canadienne qu’il y a peut être un péché de la francophonie lors de la 15e édition qui a vu son accession au secrétariat général. Et que ce péché, c’est que la seule femme présidente d’un pays francophone au monde a été ignorée, méprisée et laissée à l’abandon avec toute sa population en détresse. Nous attendons de voir si elle est bien informée du sort réservé à ce peuple centrafricain dans l’espace francophone et quelle sera sa réaction pour réintégrer notre pays de plein droit dans l’espace politique francophone