Publié par Corbeau News Centrafrique.
Les partenaires étrangers du pays s’inquiètent de plus en plus quant à la probité et à l’efficacité du gouvernement intérimaire. Mais ils semblent désemparés.
La décision surprise de la présidente centrafricaine par intérim, Catherine Samba-Panza de nommer Mahamat Kamoun premier ministre à la tête d’un gouvernement de 31 membres, a laissé sans voix ses alliés étrangers. Ceux-ci jugent que tous dans la nouvelle équipe, n’ont pas pour priorité l’intérêt du pays mais n’osent pas réagir de peur d’être accusés de harcèlement. Par ailleurs, des fonds accordés au gouvernement ont disparu et le FMI est si inquiet de la situation qu’il a suspendu toutes ses opérations à Bangui.
Lors d’une allocution radiodiffusée le 2l août, Samba-Panza a mis en garde l’opinion publique contre des «manœuvres quotidiennes destinées à déstabiliser les autorités transitoires et à mettre en danger la souveraineté du pays ». Assurant avoir choisi le premier ministre après de larges consultations et estimant qu’il était, elle a ajouté : « Contrairement à certaines personnes arrogantes qui n’ont pas leur place dans ce pays en temps de crise, M. Kamoun est un modèle d’humilité ce qui à mon sens est un grand atout ». Selon elle, il était le meilleur candidat.
Ce n’est pas l’opinion qui prévaut à l’étranger. Les voisins de la Centrafrique, le Tchad et le Congo-B, sont déçus, tout comme l’Union africaine (UA), la Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale (CEEAC), l’Union européenne (UE), l’Organisation des nations unies (ONU) et la France. Leur inquiétude se focalise sur le choix du premier ministre et la présence de nombreux amis et relations de la présidente au sein du gouvernement.
La longue saga qui a abouti à la nomination de Kamoun le 10 août, a marqué une rupture en Samba-Panza et les alliés internationaux du pays. Le 1er août, la présidente par intérim a appelé le ministre français des affaires étrangères Laurent Fabius qu’elle allait nommer premier ministre Abdou Karim Meckassoua pour succéder à André Nzapayéké. Selon nos informations et contrairement à ce que la présidente a déclaré publiquement la semaine suivante, c’est elle qui avait annoncé le nom de Meckassoua et non Fabius ou le médiateur officiel Denis Sassou Nguesso président du Congo-B.
Né dans une famille centrafricaine de commerçants musulmans, il n’a aucun lien avec la milice musulmane Séléka et ses relations avec le président déchu François Bozizé Yangouvonda étaient tendues après 2005. Meckassoua possède une grande expérience politique et entretient de bonnes relations avec toutes les communautés religieuses. Après avoir été haut fonctionnaire, ministre et parlementaire dans son pays, il a connu de beaux succès en tant qu’homme d’affaire au Congo-B. Après son retour en Centrafrique, il est devenu ministre des télécommunications puis ministre de la planification par intérim durant les deux dernières années du régime de Bozizé. Il bénéficie d’excellents contacts dans la région ainsi qu’en France et en Belgique et n’a jamais été accusé de détournement de fonds publics.
Toutefois, le 4 août, Samba-Panza a de nouveau rencontré les représentants internationaux y compris ceux de I’ONU, de I’UA, de la CEEAC, de l’UE et de la France. Elle a déclaré qu’elle n’obéirait pas à la France en nommant Meckassoua mais qu’il figurait sur une liste de candidats potentiels qu’elle étudiait.
Meilleure note
Comme prévu, la présidence a annoncé le lendemain la démission de Nzapayéké. Des consultations avec les partis politiques devaient suivre pour désigner son successeur et former le nouveau gouvernement. Le 9 août, la présidence a organisé une « marche pour la paix » au cours de laquelle Samba-Panza a prononcé un discours très provocateur. Elle a déclaré qu’elle ne cèderait pas à la pression extérieure, réaffirmerait la souveraineté nationale et ne serait pas « présidente à moitié », avec des fonctions purement honorifiques.
Dans la soirée, elle a de nouveau rencontré les représentants internationaux et annoncé qu’elle nommait premier ministre l’un de ses conseillers, en l’occurrence Kamoun, expliquant que c’est lui qui avait reçu la meilleure note (27 sur 33) selon le système d’évaluation mis au point par son équipe – dont il faisait partie.
Lorsque le représentant de I’UA chargé de la médiation, l’ancien premier ministre malien Soumeylou Boubèye Maiga, s’est enquis du score des autres candidats, dont Meckassoua et l’ex-ambassadeur auprès de l’ONU Charles-Armel Doubane, Samba-Panza a botté en touche, déclarant que la décision était prise.
Le 10 août, un décret présidentiel nommait Kamoun premier ministre du gouvernement transitoire.
Haut fonctionnaire au ministère des finances et au Trésor jusqu’en 2007, Kamoun a ensuite demandé l’asile politique aux Etats-Unis. Il est rentré en 2013 pour devenir chef de cabinet du leader de la Séléka, Michel Djotodia, qui avait renversé Bozizé. Les combattants de la Séléka ont pillé la résidence de Kamoun lorsque Djotodia a quitté la présidence et est parti pour Cotonou (Benin) en janvier dernier.
Au cours du même mois, Kamoun a rejoint l’entourage de Samba Panza dont il est devenu l’un des conseillers les plus influents. Toutefois c’est à sa compagne, Rachel Ngakola, que Kamoun doit sa promotion. Celle-ci a été nommée chef adjointe de la direction générale des douanes et des droits indirects peu après l’arrivée de Kamoun au cabinet présidentiel, et en est devenue directrice générale en février. Ngakola est une amie proche de Samba-Panza – et même sa cousine, selon l’AFP. Elle a largement financé la campagne de cette dernière lors du choix du président par le Conseil national de transition (CNT) et a même payé sa caution. Du coup, Kamoun est surnommé “le beau-frère” dans les bars de Bangui Localement, sa nomination n’a guère suscité l’enthousiasme.
Fonctionnaire sans aucune expérience politique, comme Nzapayéké, il a en outre été accusé de détournement de fonds publics en 2006-2007, avant d’être blanchi par la justice locale, Le passé de sa compagne n’est guère plus reluisant. Une délégation de diplomates aurait demandé à la présidente par intérim de la démettre de ses fonctions au motif qu’elle se montrait « trop gourmande ».
Pour les représentants étrangers, cette nomination est une véritable claque. « Menteuse », « manipulatrice », « de mauvaise foi » sont les termes qui reviennent à propos de Samba-Panza.
Pouvoir temporaire
Les grandes questions de gouvernance qui se posent aujourd’hui ne sont pas nouvelles. Elue par le CNT, un organisme sans grande légitimité, Catherine Samba-Panza ne devait rester au pouvoir que de façon temporaire. Ses pouvoirs sont encadrés par plusieurs textes, qui remontent à l’accord de Libreville de janvier 2013. Mars, aucun responsable international n’étant venu lui rappeler la différence entre son titre intérimaire et celui d’un chef d’état de plein droit. Cette différence a semblé s’amenuiser jour après jour dans son esprit. Ses alliés internationaux n’ont pas non plus réagi lorsqu’elle a formé son gouvernement et place Nzapayéké à sa tête.
Selon la charte transitoire, le premier ministre dirige le gouvernement. Mais ce dernier n’a été autorisé à nommer que le ministre des affaires étrangères, la présidente et son entourage choisissant tous les autres.
Résultat : l’autorité de Nzapayéké sur le gouvernement n’était que de façade. La plupart des membres étaient issus que de Bangui et ses environs. Certains faisaient même partie de l’entourage proche de Samba-Panza. D’autres étaient issus de la diaspora et n’avaient qu’une compréhension superficielle de la situation sur le terrain, surtout en dehors de la capitale. On a ainsi dit que Nzapayéké ne s’était jamais aventuré plus loin que le quartier PK12 de Bangui. Samba-Panza, elle, n’a effectué que deux brèves visites hors de la capitale en plus de sept mois, à Mbaiki et Bouar, sous forte protection des troupes françaises.
Si la communauté internationale a vite soupçonné les amis et relations de la présidente de vouloir capter les fonds publics, ces inquiétudes n’ont pas déclenché de mobilisation. Le silence est devenu assourdissant lorsque l’Angola a décidé de faire don de 10 millions de dollars au gouvernement, en avril. A la demande de la délégation centrafricaine à Luanda (dont Kamoun faisait partie), un premier versement a été effectué en liquide et changé en francs CFA à Douala (Cameroun), à un taux exorbitant. Environ 400 millions de F CFA (810.000 dollars) ont été perdus dans cette transaction, selon nos informations. Un second versement d’un montant d’environ 3 milliards de F CFA a été déposé sur un compte à Bangui avant de s’évanouir. C’est cet incident qui a conduit le FMI à geler ses opérations. D’autres décisions comptables qui se sont révélées totalement ineptes ont ébranlé la confiance de l’institution dans le gouvernement, selon une source financière à Bangui.
Bangui bruisse de rumeurs de corruption. Des politiciens haut placés auraient ainsi acquis des appartements à Neuilly sur Seine près de Paris, à Cotonou et à Lomé (Togo). Les fonctionnaires ne sont plus payés depuis des mois. Les bailleurs de fonds n’ont pas ouvert d’enquête alors même que la défense de l’éthique faisait partie de leur priorité. Lors de la conférence de Brazzaville qui a abouti à un cessez le feu provisoire le 23 juillet, il est apparu évident qu’il fallait changer de gouvernement. Samba-Panza a promis de procéder à un remaniement comme elle l’avait fait en mai. Le premier ministre n’a toutefois accepté de quitter son poste qu’après avoir obtenu le rang et (le salaire d’ambassadeur). Dans sa lettre de démission il remercie Denis Sassou Nguesso mais aussi le président angolais Jose Eduardo dos Santos, geste inhabituel en Centrafrique. Selon des membres du CNT et d’autres politiciens, il aurait reçu environs 300 millions de F CFA.
Faute d’avoir agi plus tôt, les membres de la communauté internationale ont de plus en plus de mal à se faire entendre. D’autant que les gouvernements et institutions de la communauté internationale ne sont pas tous sur la même longueur d’onde. L’ONU semble divisée. Selon nos informations, le Sénégalais Abdoulaye Bathily le représentant spécial du secrétaire Général pour l’Afrique centrale a adressé un rapport très critique au Conseil de sécurité, le 13 août, concernant le gouvernement intérimaire. C’est lui qui avait empêché la réunion de Brazzaville de capoter et qui, avec Maiga, a maintenu le contact entre les délégations. Le général Babacar Gaye représentant spécial chargé de la Centrafrique, lui aussi Sénégalais, qui a joué un rôle important dans le choix de Samba-Panza, s’était rendu à New York la veille pour briefer le Conseil de sécurité, après avoir dit à Bathily de se montrer moins dur dans son rapport.
La France trahie
En privé, les autorités françaises ont le sentiment d’avoir été humiliées. Fabius qui voyait en Samba-Panza une amie se sent trahi. Peu populaire dans l’Hexagone, l’opération Sangaris coûte plus de 800.000 euros par jour sans véritable enjeu à la clé pour la France. Le président François Hollande a bien expliqué que son pays pouvait assurer l’ordre mais qu’il revenait à d’autres de résoudre la crise. A Paris, beaucoup estiment désormais qu’il faut retirer les troupes le plus vite possible mais les autorités ne veulent pas être tenues pour responsables d’une éventuelle reprise des violences.
L’attitude de Samba-Panza pourrait toutefois conduire le Parlement français à refuser de prolonger le mandat de Sangaris, en décembre ou à exiger une forte réduction de ses effectifs. Sassou Nguesso va aussi lui aussi se retrouver en position de faiblesse s’il ne réagit pas. Lors du sommet de Luanda en juin, le président tchadien, Idriss Déby Itno, lui a franchement dit que sa médiation avait échoué, selon une source présente.
En tant que médiateur, le président congolais était censé superviser le processus politique et s’assurer que les accords conclus étaient respectés. Cela s’est révélé difficile, parce que d’une part, il n’assure pas un suivi constant, se montrant tantôt pointilleux tantôt distrait, et d’autre part, parce que son représentant à Bangui, Essongo semble souvent jouer son propre jeu et n’a pas toujours fidèlement reflété les opinions du médiateur.
Par: AFRICA CONFIDENTIAL N° 697