CENTRAFRIQUE : L’IMBROGLIO
LES EX-SELEKAS, FOSSOYEURS DE LA PAIX
Les groupes politico-militaires, les ex-Sélékas, sont passés à l’offensive un peu partout dans le pays, sabotant ainsi toutes les initiatives de paix et de réconciliation qui avaient pu être lancées.
Car il va de soi que la paix en Centrafrique n’est pas leur préoccupation principale. Leur motivation a toujours été de disposer du pouvoir total en République Centrafricaine. S’il le faut, ils y parviendront par l’usure.
Mais, en attendant, leur jeu est double : d’un côté, ils claironnent partout qu’ils sont favorables aux initiatives de paix de l’Union Africaine et de Khartoum. De l’autre, ils adoptent des comportements belliqueux et allument des foyers de tensions déstabilisatrices dans les régions qu’ils occupent.
Pour le moment, leur pouvoir ne s’exerce que dans quelques provinces, qui constituent des têtes de pont en vue d’un assaut sur le Palais de la Renaissance. En proie à de violents combats à l’arme lourde aussi bien qu’à l’arme légère, provoqués par les bandes armées qui ont sorti leurs outils de mort, les villes de Bambari et de Bantagafo en sont les malheureux symboles,
A Bambari, dans la matinée du 31 octobre 2018, des tirs ont ébranlé la ville, obligeant les populations à se barricader dans leurs maisons. La terreur est devenue palpable dans une ville plongée dans l’effroi. Les tirs seraient venus des terroristes de l’ U P C (Union pour la Paix en Centrafrique), très énervés par la destitution d’un de leurs : Abdoul Karim Meckassoua.
A Bantagafo là encore, des violences initiées par les séditieux ont, elles aussi, éclaté 31 octobre, faisant fuir 10000 personnes, qui ont heureusement pu trouver refuge dans l’hôpital de la ville où exercent les agents de Médecins Sans Frontières. D’autres ont dû fuir dans la brousse. Des maisons ont été brûlées, des camps de déplacés de l’intérieur incendiés.
Les autorités et les politiciens centrafricains sont dépassés par les événements. Une sorte de léthargie paraît les habiter. L’engagement du gouvernement se réduit à des communiqués du porte-parole. C’est largement insuffisant ! Ce n’est avec ça que l’on fera entendre raison à des rebelles fanatisés et déterminés à prendre le pouvoir par la force. C’est en les affrontant militairement avec détermination, avec l’aide des pays amis, que l’on sauvera le Centrafrique du chaos
C’est pourquoi on apprend avec satisfaction qu’une opération conjointe des FACAS et de la MINUSCA a été engagée pour protéger la population et traquer les terroristes. Aux dernières nouvelles, les Russes seraient, eux aussi, engagés dans la poursuite des bandes armées.
Car l’urgence les oblige à intervenir. C’est bien pour qu’ils appuient les FACAS et LA MINUSCA que le président Touadera les a sollicités. La défense et la protection de la population sont prioritaires. Le délogement des rebelles des provinces qu’ils occupent est primordial. Les Russes ne sont pas là uniquement pour faire de l’humanitaire, distribuer des trampolines et des ballons de foot aux écoliers – même si ce n’est pas négligeable.
Ils ont été appelés pour soutenir militairement les forces armées dans leur offensive contre les terroristes, afin de sortir la Centrafrique du chaos et de la terreur.
UN VOYAGE DIFFICILE POUR LE MINISTRE FRANÇAIS DES AFFAIRES ETRANGERES
Nicolas Sarkozy prétendait que « l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire. » François Hollande avait, pour sa part, refusé de porter secours au président Bozizé démocratiquement élu, malgré les accords de défense signés entre les deux pays, laissant les ex-Sélékas envahir Bangui et le chasser du pouvoir.
Une de nos sources nous a informés de cette séquence jusqu’ici gardée secrète : « En 2013, quand les Sélékas étaient aux portes de Bangui et s’apprêtaient à donner l’assaut au Palais de la Renaissance, Bozizé a constaté qu’il était perdu. Il a écrit une lettre de détresse au président français Hollande, lui demandant de protéger la Centrafrique et les Centrafricains. Il a remis cette lettre à son aide de camp pour qu’il la porte à l’ambassadeur de France à Bangui ». On connaît la suite : François Hollande refusant d’intervenir, les Sélékas s’emparant du pouvoir et François Bozizé prenant la fuite en hélicoptère. Début du dramatique chaos centrafricain.
Aujourd’hui, le président Macron et son ministre des Affaires Etrangères ne savent pas sur quel pied danser en République Centrafricaine. Certes, les forces françaises, avec Sangaris, ont été les premières à intervenir alors qu’un génocide se préparait.
Mais les autorités françaises ne semblent pas appréhender comme il le faudrait l’éclosion d’une nouvelle génération d’Africains, patriote et déterminée à ne plus courber l’échine. Cette nouvelle génération s’inscrit dans des échanges « gagnant-gagnant » et « d’égale à égale » avec l’ancienne puissance colonisatrice, comme avec les autres pays. On ne peut plus parler de pré carré ou de chasse gardée sur le continent noir. L’Afrique postcoloniale, « l’Afrique de papa », celle de l’infantilisation des Africains par des colons arrogants, ces Afriques-là ont rejoint les symboles du colonialisme dans les poubelles de l’histoire.
Pour avoir ignoré cette nouvelle donne, pour avoir manqué de respect et de considération à l’égard du président Touadera, Emmanuel Macron et Jean-Yves Le Drian ont mis la France dans une très mauvaise posture en Centrafrique.
Si les Russes étendent si facilement leur influence dans le pays, c’est à cause d’une mauvaise gestion de la crise qui ébranle la Centrafrique : pourquoi avoir choisi Idriss Déby Itno, le président du Tchad, comme pacificateur de la RCA, en sachant que ce dernier passe aux yeux des Centrafricains pour être le principal fomentateur de la déstabilisation de leur pays ? Pourquoi avoir demandé à Sassou Nguésso, président du Congo, d’être un médiateur ? Il n’a obtenu aucun résultat ! Les Russes n’ont eu qu’à se baisser pour ramasser les fruits de cette diplomatie aberrante.
Aujourd’hui, la France éclipsée par la Fédération de Russie, donne l’impression de courir derrière l’échalote. Le dernier voyage de Le Drian à Bangui a été difficile. D’après nos sources, il n’a pas été franchement le bienvenu. La signature de plusieurs documents n’a pas pu se faire, en raison du refus des dirigeants centrafricains. Le ton est monté entre Le Drian et son homologue, Charles Armel Doubane. L’opposition des responsables centrafricains à la volonté de la France a mis Le Drian hors de lui ! Il en est même venu aux menaces : « nous allons solliciter les États-Unis et demander à l’ONU de mettre fin à la présence de la MINUSCA, puisque vous refusez le DDR et le dialogue avec l’Union Africaine. Vous pouvez nous croire, vous n’êtes pas les premiers. Alors, vous n’avez pas le choix. » On se croirait au temps jadis où la France nommait et défaisait les Présidents de la République Centrafricaine. Les temps ont changés Monsieur Le Drian !
Il faut savoir que la France est vent debout contre la présence des Russes. Les autorités françaises exigent le retrait de leurs forces. Pour concurrencer l’influence de Moscou, elles ont même proposé de se retirer de la MINUSCA pour constituer une base militaire afin de participer à la formation des FACAS. Mais la proposition a été rejetée en bloc par les Centrafricains, qui ne croient plus à l’assistance de la France. Ils menacent d’ailleurs de ne plus céder aux volontés de Paris. Car pour eux, la présence russe est une œuvre divine. Quel gâchis !
UNE INTERVIEW SURRÉALISTE DE JEAN-YVES LE DRIAN SUR FRANCE 24 A BANGUI
A la question de Patrick Fandio, correspondant de France 24 en Afrique centrale, sur la double médiation des Russes à Khartoum (Soudan), le ministre des Affaires Etrangères a répondu d’une manière aussi péremptoire que surréaliste : « d’abord, à ma connaissance il n’y a pas d’initiative russe pour avoir une nouvelle feuille de route. Je ne la connais pas. Je connais qu’une seule initiative c’est celle des Africains eux-mêmes. (Soutenue par la France.) » Il conclu en laçant : « La Centrafrique n’est pas un terrain de jeu »
Les Russes n’ont-ils pas fait suffisamment de publicité sur leur initiative de paix de Khartoum ? Comment le ministre des Affaires Étrangères français aurait-il pu ne pas être au courant ?
C’est avec ce genre de langue de baobab que la France a abîmé la longue amitié franco-centrafricaine. On apprend que le président Emmanuel Macron en personne effectuera bientôt un voyage qui le mènera à Bangui. Puisse-t-il avoir, avec son homologue centrafricain, un dialogue respectueux et de bon sens, ainsi qu’un autre regard sur la République Centrafricaine !
« La hauteur de l’orgueil se mesure à la profondeur du mépris » (André Gide)
Par : JOSEPH AKOUISSONNE DE KITIKI et LOAWE à Bangui
(
6 novembre 2018)