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Centrafrique : « les dures réalités » que devra affronter la Cour pénale spéciale

Centrafrique : « les dures réalités » que devra affronter la Cour pénale spéciale

 

 Les déplacer en Saint-Sauveur à Bangui en attente de l'arrivée du pape François

Bangui, le 24 février 2017.

Par : Justice Internationale.

Bien qu’elle constitue un pas important dans la mise en place de mécanismes de lutte contre l’impunité en Centrafrique, la nomination le 14 février par le président Faustin Archange Touadéra du procureur de la Cour pénale spéciale* (CPS) ne doit pas susciter d’espoirs démesurés. Selon Didier Niewiadowski, juriste et ancien conseiller à l’ambassade de France à Bangui, la présence au sein de l’administration Touadera, d’hommes de mains de

l’ex-président François Bozizé, et l’actuelle partition de fait du territoire centrafricain ne manqueront pas de rendre difficile la mission du magistrat congolais Toussaint Muntazini Mukimapa.

 

Une Cour spéciale (CPS), dont les premières inculpations ne devraient pas sortir avant plusieurs mois, peut-elle vraiment dissuader la perpétration de graves crimes en nette recrudescence ces derniers jours?

 

Le colonel congolais nommé Procureur général de la CPS sait bien que les crimes de guerre et contre l’Humanité, perpétrés quotidiennement en RCA, ne peuvent être arrêtés, comme par enchantement, avec la création d’une juridiction spéciale. Les criminels sont des hors la loi ne connaissant que la violence dans leurs rapports humains. Ces barbares vivent dans un monde où les notions du droit sont inconnues. En tout état de cause, il faudra que les partenaires de la Centrafrique financent la totalité de la mise en place et du fonctionnement de la CPS. Cela prendra beaucoup de temps et créera aussi des états d’âme chez les magistrats centrafricains ne bénéficiant pas des privilèges de leurs collègues nommés à la CPS. La Cour pénale internationae a mis 13 ans pour condamner (le Congolais) Jean-Pierre Bemba pour des crimes pourtant circonscrits à Bangui. Cette condamnation a-t-elle eu un quelconque impact en Centrafrique ?

Et il va de soi que la création de la CPS ne doit pas exonérer les autorités centrafricaines de consacrer, dès maintenant, les financements nécessaires à la reconstruction d’un système judiciaire. Le recrutement de jeunes magistrats, la réhabilitation des tribunaux et des établissements pénitentiaires et le renforcement des capacités des personnels judiciaires ne doivent pas être remis à plus tard, sous peine d’accroître l’insécurité et de ne pas se soucier de l’indispensable réconciliation nationale.

Selon certaines ONG, des suspects de crimes graves occupent actuellement des fonctions importantes dans la nouvelle administration. N’est-ce pas un grand défi pour le magistrat congolais ?

De nombreux caciques de l’ère Bozizé sont, de nouveau, aux affaires à la présidence, au gouvernement et à l’Assemblée nationale. Jean-Francis   Bozizé** est revenu à Bangui sans problème en dépit du mandat d’arrêt international délivré en 2014 par la justice centrafricaine. Il n’est donc guère étonnant que les hommes de mains de la présidence Bozizé ne soient pas inquiétés. Plusieurs anciens ministres des gouvernements Touadera ( 2008- 2013) ont retrouvé une place de choix à la présidence en qualité de ministre- conseiller, prenant souvent le pas sur les ministres du gouvernement, étant donné l’hyper- concentration du pouvoir. Si de nombreux anciens responsables de la présidence Bozizé ont réintégré la gouvernance du président Touadera, en revanche, très peu de responsables de la transition de Catherine Samba-Panza   et encore moins du régime instauré, en 2013, par Michel Djotodia ont retrouvé un poste. Quant à l’administration, elle est totalement sinistrée avec la disparition de ses principes fondamentaux tels que la notion d’intérêt général, le respect de la hiérarchie et la neutralité.

 

Que pensez-vous des informations selon lesquelles Bozizé et Djotodia négocieraient secrètement une amnistie avec le nouveau gouvernement ?

 

Il est peu probable que les deux anciens chefs de l’État puissent obtenir la levée des accusations qui pèsent sur eux. Ce serait un précédent qui risquerait de faire jurisprudence. Une double amnistie ne favoriserait pas le processus de réconciliation nationale, en ravivant les douleurs subies par les citoyens de tous bords. Il est possible que cette double amnistie ait des partisans au sein des actuelles autorités centrafricaines mais l’opposition des principaux partenaires de la Centrafrique devrait être suffisante pour éviter de conforter une impunité généralisée.

 

Comment la CPS enquêtera-t-elle dans les zones actuellement contrôlées par des chefs de guerre ?

 

Soixante pour cent du territoire national est sous le contrôle de bandes armées. Tout déplacement officiel dans l’arrière-pays doit se faire sous la haute protection de la Minusca (ndlr : Mission des Nations unies en Centrafrique).

On mesure l’immensité de la tâche de la CPS devant cette insécurité ambiante et la multitude des criminels susceptibles de nourrir les procédures d’inculpation. On peut même se demander si la création de la CPS n’est pas une belle idée technocratique qui risque de se heurter aux dures réalités centrafricaines. En espérant que la CPS puisse vraiment jouer un rôle dans le retour à la paix et à la réconciliation nationale, il aurait peut être été judicieux de dépayser cette juridiction de manière à avoir une certaine sérénité.

 

Comment mettre fin à cette partition de fait du pays? Que peut-on attendre des derniers changements à la tête de l’ONU et de la Commission de l’Union africaine ?

 

Les concepteurs du drapeau de la Centrafrique avaient-ils la prémonition de la partition du pays en traçant presque au milieu une bande verticale rouge sang ?

 

Les bonnes nouvelles viennent de l’Onu avec l’élection du Portugais Antonio Gutteres au poste de secrétaire général, et de l’Union africaine avec l’élection du Tchadien Moussa Faki Mahamat à la présidence de la Commission de l’Union. Par leurs précédentes fonctions, ces deux éminents diplomates font probablement partie des meilleurs experts de la crise centrafricaine. Antonio Gutteres à été durant 10 ans le Haut Commissaire des Nations unies aux Réfugiés, aussi à ce titre il a bien identifié les ressorts de la crise centrafricaine qu’il a toujours considérée comme d’une ampleur exceptionnelle. Quant à Moussa Faki Mahamat, il a été Premier ministre d’Idriss Deby Itno de 2003 à 2005, soit au début de la présidence Bozizé, et ensuite l’inamovible ministre des Affaires étrangères de 2008 à 2017 durant les gouvernements de Touadera, la présidence de Djotodia, la transition de Catherine Samba-Panza et le retour du président Touadera.

 

L’Onu et l’Union africaine devraient désormais agir en parfaite coordination et peser davantage sur les nombreux mouvements rebelles mais aussi sur les autorités centrafricaines afin de mettre un terme à l’impunité. Conformément à son mandat, la Minusca utilisera probablement de plus en plus, “les actions robustes” pour lutter contre les fiefs des seigneurs de la guerre.

 

*La CPS est une juridiction créée au sein de la justice centrafricaine par la loi n°15.003 du 3 juin 2015. Elle a pour mandat de mener des enquêtes et des poursuites concernant les violations graves des droits humains et du droit international humanitaire commises sur le territoire de la République Centrafricaine depuis le 1er janvier 2003. Elle sera composée de 25 magistrats, à savoir 13 nationaux (dont le président de Cour) et 12 internationaux.

 

** Jean-Francis Bozizé est poursuivi pour détournement de fonds publics et violences perpétrées en 2013, lors de l’éviction de son père, l’ex-président François Bozizé. Après trois ans d’exil au Kenya, le fils de Bozizé, s’est rendu début août 2016 à la Mission des Nations unies pour la RCA, qui l’a ensuite remis aux autorités centrafricaines, lesquelles lui ont accordé la liberté sous contrôle judiciaire.

 

JusticeInfo.net – Centrafrique : « les dures réalités » que devra affronter la Cour pénale spéciale
http://www.justiceinfo.net/fr/component/k2/32253-centrafrique-
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