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CENTRAFRIQUE : LA COUR CONSTITUTIONNELLE S’ARROGE INDÉFINIMENT LE DROIT DE MODIFIER À SA GUISE TOUTES LES LOIS VOTÉES OU ADOPTÉES PAR LE PARLEMENT.

Madame Dominique Darlan, Présidente de la Cour Constitutionnelle centrafricaine. Crédit photo : Minusca.

 

 

Les dernières échéances électorales post crise ont connu des manquements organisationnels graves au point d’entacher la crédibilité et la transparence du scrutin couplé. À cet effet, toute la classe politique centrafricaine était unanime pour réformer de façon consensuelle et approfondie le droit électoral.

 

C’est dans cette optique qu’un groupe de travail des experts a été constitué sur initiative du gouvernement pour proposer un nouveau projet de loi portant code électoral. Rappelons au passage que ce dernier a fait l’objet d’une modification unilatérale du gouvernement sur des volets substantiels relatifs aux montants des cautions à la présidentielle et aux législatives.

 

Transféré à l’assemblée nationale par les soins du gouvernement, le projet de loi portant code électoral a été massivement adopté avec amendements par les parlementaires. Il ne reste ainsi que la promulgation par le président de la république pour que le code électoral électoral entre en vigueur.

 

A titre de rappel, il est important de souligner que le projet de loi portant code électoral soumis à l’examen des parlementaires a été adopté le 23 avril 2019 et le président de la république a saisi la cour constitutionnelle le 23 mai 2019 soit un (1) mois plus tard pour vérifier la constitutionnalité et la compatibilité du projet à la constitution avant sa promulgation.

 

Étonnant est de constater que l’article 40 alinéa 1 de la constitution dispose que « le président de la république promulgue les lois dans les quinze (15) jours qui suivent l’adoption définitive du texte par le parlement. Ce délai est réduit à cinq (5) jours en cas d’urgence déclarée par le parlement.». On assiste pathétiquement à une énième violation de la constitution car le président de la république a accusé un retard énorme dans la promulgation de ce projet de loi. Chose étonnante, l’alinéa 2 de l’article 40 de la constitution dispose « à défaut de promulgation dans les délais requis, la loi entre automatiquement en vigueur soit après constatation par la cour constitutionnelle soit sur saisine du parlement ». Par ces termes la constitution proclame l’irrévocabilité et l’irréversibilité du projet de loi au delà des délais requis.

 

La logique juridique aimerait que la cour constitutionnelle proclame après constatation des faits l’entrée en vigueur du projet de loi dans le respect de l’esprit de la constitution au lieu de déclarer recevable la requête fantaisiste du président de la république.

 

Par décision N*006/CC/19 du 05 mai 2019, la cour constitutionnelle a souverainement modifié certains volets du projet de loi et ordonne aux parlementaires de revenir sur le texte conformément aux exigences constitutionnelles.

 

Surpris par l’absence de neutralité de l’organe judiciaire suprême, le citoyen lambda s’interroge :

 

Comment comprendre que le président de la république puisse déférer devant la cour constitutionnelle son propre projet de loi c’est à dire d’initiative gouvernementale alors que ce dernier n’a pas subi d’amendements substantiels  de la part du parlement en vue de dénaturer le texte ? Avait-il un agenda caché ou dissimulé dans le corpus du droit électoral centrafricain ? Cette requête honteuse du président de la république devant la cour constitutionnelle met-elle à nu ou confirme t-elle la suspicion de manipulation ?

 

Au delà de toutes manipulations politiques, la décision de la cour constitutionnelle est-elle conforme au droit ? Pourquoi la cour constitutionnelle ne s’est pas prononcée sur l’illégalité résultant de la modification unilatérale des conclusions des travaux des experts par le gouvernement ? Pourquoi la cour constitutionnelle n’a pas ramené le montant des cautions des candidats à l’état initial tel que défini par le groupe de travail des experts ? La cour constitutionnelle est-elle devenu un instrument politique au service du pouvoir pour tordre le cou de la jeune démocratie centrafricaine ? Au nom de quel principe juridique la cour constitutionnelle s’arroge t-elle indéfiniment le droit de modifier toutes les lois votées ou adoptées par le parlement ? Que disent les chevronnés constitutionnalistes centrafricains ? S’agit-il d’un mutisme complice ou encore de la corruption morale ?

 

Par cette décision, la cour constitutionnelle risque de créer une autre crise qui aura des effets néfastes sur le calendrier électoral car le processus électoral doit capitaliser un chronogramme adapté à l’hypothétique situation sécuritaire. La définition du mode de scrutin, la délimitation des circonscriptions électorales, le rattachement des électeurs aux bureaux de vote, la détermination du nombre de sièges par circonscription, la convocation du corps électoral, l’établissement et la distribution des cartes d’électeurs, l’encadrement de la campagne électorale etc…tout ce processus nécessite du temps. Visiblement, le pouvoir par le truchement de la cour constitutionnelle cherche à bloquer le code électoral surtout à cause de la mention du démissions du président quelques mois avant si celui-ci désire se représenter…le banditisme et la délinquance électorale se prépare. Fort de ce qui précède, nous appelons les centrafricains à la vigilance car l’embryonnaire démocratie centrafricaine est en danger dès lors que la cour constitutionnelle prive systématiquement les parlementaires d’exercer leurs missions prévues par l’article 63 alinéa 2 de la constitution qui sont celles de légiférer et contrôler les actions du gouvernement. Mais

 

attention, ne le dites à personne. Si on vous demande, ne dites pas que c’est moi.

Paris le 08 juin 2019.

Bernard SELEMBY DOUDOU.

Juriste, Administrateur des élections.

Tel : 0666830062.

Monsieur Bernard Selembi, l’auteur de l’article. Photo courtoisie.
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