Rédigé par Jeune Afrique
Publié par Corbeaunews Centrafrique (CNC), le lundi 20 juin 2022
Bangui (CNC) – Sera-t-il bientôt de retour à Bangui ? Anicet-Georges Dologuélé l’affirme : si Faustin-Archange Touadéra convoque prochainement une session extraordinaire de l’Assemblée nationale pour voter une modification de la Constitution, il quittera aussitôt Paris pour la capitale centrafricaine afin de faire son devoir de député. L’ancien Premier ministre centrafricain s’opposera alors, sans doute en vain, dans l’hémicycle à la réforme constitutionnelle et à l’ambition sous- jacente du président de s’affranchir de l’actuelle limitation des mandats.
En exil en France depuis de longs mois, celui qui a officiellement terminé deuxième de la présidentielle de 2020 fait encore l’objet de menaces de la part de proches du chef de l’État. Le président de la Galaxie nationale, Blaise-Didacien Kossimatchi, lui a même récemment demandé, dans une énième menace de représailles, de venir « se rendre à la justice ». Sans minimiser les risques, Dologuélé préfère en rire. Le même « Didacien » avait menacé les « troupes françaises » de représailles mystiques des hommes-caïmans quelques jours plus tôt.
Wagner, bitcoin, troisième mandat… Le président de l’Union pour le renouveau centrafricain répond, depuis Paris, aux questions de Jeune Afrique.
Jeune Afrique : Le président Faustin-Archange Touadéra pourrait rapidement convoquer l’Assemblée nationale afin qu’elle entérine un projet de révision de la Constitution qui supprimerait la limitation des mandats du chef d’État. Que vous inspire cette ambition ?
Anicet-Georges Dologuélé : D’abord, je remarque que le timing est surprenant. Faustin-Archange Touadéra n’a été proclamé vainqueur de son deuxième mandat que depuis à peine un an. Il lui reste donc cinq années. Pourquoi aller si vite ? Souvent, quand les chefs d’État veulent modifier leur Constitution, c’est qu’ils sont lancés dans un projet de transformation de leur pays et qu’ils souhaitent aller au bout de leur œuvre.
Ce n’est absolument pas le cas avec Touadéra. Il ne cherche même pas à renverser la vapeur de son premier mandat et à emmener le pays dans la bonne direction, il veut juste pouvoir profiter plus longtemps des avantages de la fonction. D’ailleurs, la modification de la Constitution était déjà le principal objectif du dialogue qu’il a organisé à Bangui en mars, mais nous l’avions compris et nous avions réussi, avec l’appui de la société civile et de la communauté internationale, à lui barrer la route.
Si la Cour constitutionnelle laisse faire Touadéra, je ne sais plus à quoi elle sert
Comment comptez-vous vous opposer au projet actuel, lequel devrait cette fois passer par l’Assemblée ?
S’opposer au sein de l’Assemblée est symbolique mais ne servira à rien. Touadéra y a une majorité et a les moyens d’acheter les votes. Cela dit, au-delà de cette situation, les textes centrafricains sont clairs. L’Assemblée n’a pas le pouvoir de modifier seule la Constitution. Il faut théoriquement un vote des députés et aussi des sénateurs. Or, le Sénat n’a pas été mis en place. Ensuite, même si l’Assemblée avait ce pouvoir, il faudrait encore que le projet soit validé par la Cour constitutionnelle.
Mais l’actuelle Constitution dit clairement que certains de ses articles ne sont pas modifiables. C’est notamment le cas de la limitation des mandats et des modalités d’élection du chef de l’État. Nous avions mis en place ces verrous car nous savions que les volontés de modification menaient à des coups d’État. Nous l’avons vu avec François Bozizé. Touadéra tente de faire sauter ces verrous mais la Cour ne devrait pas l’y autoriser. Si elle laisse faire, je ne sais plus à quoi elle sert.
L’un des arguments des partisans de la suppression de la limitation du nombre de mandats est qu’elle n’existe plus non plus dans les pays voisins. Est-ce pertinent ?
C’est stupide. C’est un peu comme si on disait : “Il n’y a aucun pays riche dans la sous-région, donc nous devons rester pauvres”. Cela n’a pas de sens. Cela dit, le fait que nombre de chefs d’État aient fait sauter leurs propres verrous explique sans doute que Touadéra se sente autorisé à le faire.
On observe le retour de ces coups de force constitutionnels, notamment en Afrique de l’Ouest, de la part de pouvoirs militaires. Pourquoi pas en Centrafrique ?
En Centrafrique, nous pouvons encore moins nous permettre ce genre de choses. Sur quoi repose le pouvoir d’un État ? Sur une armée et sur des institutions. Or, la Centrafrique n’a pas d’armée nationale. Nous avons des soldats qui font ce qu’ils peuvent, mais l’exercice de la force repose aujourd’hui chez nous sur des soldats rwandais ou des mercenaires russes. S’ils partent, s’ils arrêtent de donner à Touadéra l’illusion d’être fort, que lui reste-t-il ? En Centrafrique, il est encore plus indispensable que le pouvoir du président repose sur la légitimité constitutionnelle. Sinon il ne nous restera plus rien.
Touadéra multiplie les actes de haute trahison envers notre pays.
Vous faites régulièrement l’objet de menaces, y compris physiques, de la part d’une frange de la société civile. Cela vous inquiète-t-il ?
Ces gens ne font pas partie de la société civile. L’opposition travaille main dans la main avec la vraie société civile. Ces groupuscules qui menacent les opposants sont en réalité les appendices les plus obscurs et les plus tordus du pouvoir de Faustin-Archange Touadéra. Avec sa bénédiction, ils opèrent sous le couvert d’associations pour prôner la haine et la destruction.
Tout cela est un signe de plus que Touadéra multiplie les actes de haute trahison envers notre pays. Il a juré sur la Constitution de la défendre et de ne pas chercher à violer ses articles. Nous voyons le résultat. Il se sent invulnérable car il a mis toutes les institutions à sa botte, de la Cour constitutionnelle à l’Agence nationale des élections. Comment un professeur, titre qu’il revendique, peut-il accepter que des jeunes gens prônent ainsi la haine en son nom ? En tant qu’éducateur, père de famille et chef de l’État, comment peut-il le cautionner ?
On constate un rapprochement de plus en plus important entre Bangui et Moscou, en particulier depuis 2020. Que pensez-vous de cette stratégie assumée par le président ?
Du temps de l’URSS, Moscou avait des relations fortes avec l’Afrique. Et elles n’avaient pas la forme que cela prend en Centrafrique avec Wagner. Même aujourd’hui, un pays comme l’Algérie entretient des liens très forts avec la Russie. Mais Alger n’a pas pour autant délégué tout son pouvoir à des mercenaires. L’armée algérienne a conservé son identité et est opérationnelle. C’est cela l’objectif que la Centrafrique et le président devraient poursuivre.
L’intérêt du pays est de se servir d’amis qui viendraient pour former nos troupes et non pas pour les remplacer en étant rémunérés ou en pillant nos ressources. D’ailleurs, initialement, les Russes – et je parle là des forces conventionnelles et non de mercenaires – devaient compléter l’offre européenne de formation. C’est ce qui avait été présenté à l’Assemblée. Mais ce n’est pas du tout la réalité aujourd’hui. Visiblement, Faustin-Archange Touadéra n’a rien compris des besoins de l’État.
Ce possible rapprochement avec la Russie ne permet-il pas à l’Afrique de se replacer sur l’échiquier diplomatique mondial et de s’affranchir des restes d’une tutelle coloniale ?
Que la Russie se serve de la Centrafrique et de l’Afrique pour mettre en place une propagande contre des pays occidentaux, c’est peut- être de bonne guerre. Mais je crois que notre intérêt n’est pas de rentrer dans ce jeu. Transposer une espèce de nouvelle guerre froide dans ce qui est aujourd’hui le pays le plus pauvre au monde est une énorme erreur. Cela ne permet pas à notre armée d’exister.
Touadéra, plutôt que de multiplier les partenaires dans l’intérêt du pays, veut alimenter le chaos et en profiter pour se maintenir au pouvoir.
Touadéra est au milieu d’une forêt sèche et allume des feux tout autour de lui…
Lors du dernier sommet de l’Union africaine (UA), le président Touadéra a adopté une déclaration finale des chefs d’État condamnant les coups de force constitutionnels et parlant des mercenaires étrangers comme d’une menace pour la paix. N’est-ce pas paradoxal ?
L’UA est dans son rôle quand elle rappelle ces grands principes et tente de faire réagir les chefs d’État. Maintenant, je ne m’étonne absolument pas de voir Faustin-Archange Touadéra prendre un engagement complètement contraire à ses actes. Depuis qu’il est au pouvoir, il n’a jamais respecté sa parole. Vous pouvez lui faire signer ce que vous voulez, il ne se sentira pas engagé.
En cas de modification de la constitution, l’UA devrait-elle alors sanctionner la Centrafrique ?
Oui, même si j’espère que nous n’en arriverons pas là. Ce n’est dans l’intérêt de personne. Nous avons suffisamment de problèmes à résoudre, notamment avec des groupes armés qui gagnent à nouveau du terrain dans le pays. J’entends le gouvernement s’enorgueillir d’avoir sécurisé la quasi-totalité du territoire. Rien n’est plus faux.
Touadéra doit faire attention. Il a des problèmes avec l’opposition, avec la société civile, avec les Occidentaux, avec les institutions internationales, avec les organisations de la sous-réciion depuis son pari de la cryptomonnaie… Il donne aujourd’hui l’image de quelqu’un qui est au milieu d’une forêt sèche et qui allume des feux tout autour de lui.
Vous abordez le sujet de la cryptomonnaie. Que pensez-vous de l’adoption du bitcoin comme monnaie centrafricaine ?
C’est désespérant. Dans un pays où plus de 90 % de la population n’a pas accès à internet, cela a-t-il du sens ? Allez expliquer à une vendeuse de beignets que, si elle n’utilise pas la cryptomonnaie, elle s’expose à une amende allant jusqu’à un milliard de F CFA ! Cet épisode prouve une fois de plus qu’une certaine pègre a beaucoup d’influence sur Faustin-Archange Touadéra, qui semble avoir de l’admiration pour ce milieu. Si, dans le monde entier, seul le Salvador a tenté l’aventure – et que ça n’y marche pas très bien -, c’est peut- être que ce n’est pas une si bonne idée…
Le gouvernement estime tout de même que le bitcoin est « une révolution qui va repositionner l’économie, améliorer les perspectives et changer le destin des citoyens » en Centrafrique…
C’est surréaliste. Les communiqués qui revendiquent cela et qui sont prétendument rédigés par la présidence sont hallucinants. Touadéra aurait pu prendre le temps de se faire expliquer ce qu’est la cryptomonnaie. Il aurait pu consulter la Banque des États de l’Afrique centrale. Il aurait pu discuter avec les autres présidents de la zone F CFA. Mais il ne l’a pas fait. Il a préféré écouter un Camerounais qui est aujourd’hui recherché par la justice de son pays. Par sa faute, la Centrafrique se retrouve sanctionnée et dans une impasse. Contrairement au Salvador, qui utilise le bitcoin et le dollar, la Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale (Cemac) interdit à ses membres de cumuler deux monnaies et donc d’avoir à la fois le bitcoin et le F CFA. Visiblement, Touadéra ne le savait même pas. Quand je lis cette loi, j’ai vraiment l’impression qu’elle n’a pas été rédigée par un Centrafricain.