Bangui (CNC) – Les registres statistiques des experts se sont amusés à affirmer que la Centrafrique capitalise sept accords de paix depuis 2012 mais aucun d’entre eux n’a connu un début d’exécution. C’est dans ce climat de désespoir ambiant qu’un énième accord de paix qualifié d’accord de la dernière chance parrainé par l’ONU et l’Union Africaine (UA) a été paraphé à Khartoum et signé formellement dans la modeste capitale centrafricaine.
La particularité de cet accord se résume par la présence effective des chefs emblématiques des groupes armés non conventionnels aux assises. L’accord dans sa globalité génère des des droits, devoirs et obligations entre les deux parties c’est à dire le gouvernement et les groupes armés non conventionnels. Les coulisses tumultueuses des travaux de cet accord suivi du mystère qui a entouré la publication du dit accord appellent les observateurs avertis de la vie politique centrafricaine à une méfiance accrue. Cet accord d’une trentaine d’articles agencés à dessein alimente un flou, une ambiguïté sur les principales attentes de la population. En effet, face à l’hostilité de la population sur la notion d’impunité, l’accord n’a nullement évoqué l’amnistie mais entretien un divertissement sur le volet de la justice. En outre l’accord énonce la mise en place d’un gouvernement inclusif, l’arrêt des hostilités et violences, le déploiement de l’autorité de l’état sur l’étendue du territoire national, la décentralisation etc…Lassé par des accords de paix qui se succèdent et qui se ressemblent, le citoyen lambda s’interroge : pensez-vous que ce énième accord endiguera la profonde crise centrafricaine ? Pensez-vous que les groupes armés non conventionnels vont respectés leur engagement ? Pourquoi les célèbres chefs de guerre n’ont pas finalisé le document à Bangui ? Qu’est-ce qui différencie cet accord des précédents qui n’ont pas été respectés ? Qui est le véritable gagnant du dialogue de paix téléguidé de Khartoum ? Pourquoi la publication de l’accord de paix a pris tant de retard ? Face à l’hostilité de la population, certains concepts comme l’amnistie ont-ils été retirés du document initial ? Pourquoi l’accord n’est-il pas clair sur les poursuites judiciaires ? Comment les groupes armés peuvent accepter de signer le document sachant qu’il rejette l’idée de l’impunité sans évoquer l’amnistie ? Pourquoi l’accord ne renseigne pas de façon explicite sur la sanction applicable en cas de non-respect frôlant ainsi une entorse au célèbre principe de légalité des délits et des peines ? Comment va fonctionner la décentralisation prévue par l’accord alors que la constitution confère la gestion des grandes décisions au pouvoir central de Bangui ? Sachant que toutes les dépenses de l’état sont ordonnées de façon centralisée selon le principe de l’unicité de caisse, comment peut-on organiser une autonomie des régions sans violer ce principe ? Devant ces interminables interrogations, nous pouvons remarquer que l’opinion nationale considère les groupes armés à travers des « clichés ou idées reçues » comme des analphabètes mais ils ne sont pas dupes et sont gagnants de ce round de Khartoum. S’ils n’ont pas reçu de garanties suffisantes de non poursuites, les groupes armés n’allaient pas accepter dîner, trinquer, faire de selfies et danser au rythme arabe dans cette somptueuse salle. Il est important de rappeler que l’on ne peut échapper aux actes criminels que par trois procédés juridiques. D’abord la prescription qui est un délai après lequel une peine ne peut être appliquée, ensuite le droit de grâce présidentielle qui est une dispense d’exécution de la peine octroyé par le président de la république dans le cadre de son pouvoir discrétionnaire après jugement et enfin l’amnistie qui fait disparaître légalement l’infraction par voie législative. Visiblement, les groupes armés ne bénéficient d’aucun de ces procédés juridiques. En dehors de ces trois procédés juridiques, pensez-vous que les groupes armés vont déposer les armes et renoncer à leur plan machiavélique ? Nous osons croire comme tout le monde au père Noël mais avec une énorme réserve. Sur le plan politique et juridique, l’accord de Khartoum n’a aucune assise juridique, non conforme à la constitution du 30 mars 2016 et est loin d’endiguer la béante crise centrafricaine. Selon une autre interprétation, c’est purement et simplement une trêve ou une accalmie négociée à coup de promesses en vue de faciliter la préparation des prochaines échéances électorales. Finalement, en s’évertuant à privilégier la négociation avec les groupes armés, le pouvoir est tombé dans son propre piège. Mais attention, ne le dites à personne. Si on vous demande, ne dites pas que c’est moi.
Paris le 08 février 2019
Bernard SELEMBY DOUDOU
Juriste, Administrateur des élections
Tel : 0666830062