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CENTRAFRIQUE : OÙ EST PASSÉ L’HÉRITAGE DE BARTHÉLÉMY BOGANDA?

CENTRAFRIQUE : OÙ EST PASSÉ L’HÉRITAGE DE BARTHÉLÉMY BOGANDA?

 

 

Monsieur Barthélémy Boganda, photo archive.

 

 

 

 

Bangui, le 7 avril 2018.

Par : Joseph Akouissonne, CNC.

 

 

ACTES  MANQUÉS

 

          Les Centrafricains n’ont pas perdu le souvenir du fondateur de leur république :

Barthélemy Boganda, disparu tragiquement dans un accident d’avion dont les causes demeurent à ce jour inconnues. Il y a de cela 59 ans maintenant.

          Visionnaire, il voulait fonder les ÉTATS-UNIS DE L’AFRIQUE LATINE, qui auraient regroupé l’Oubangui-Chari, le Tchad, le Cameroun, le Gabon et le Congo-Brazzaville – ce qui eût constitué un conglomérat économique puissant au cœur du continent.

          Mais la France, l’ex-puissance coloniale, et d’autres pays occidentaux torpillèrent le projet en manipulant le Gabon, qui refusa de faire partie de l’entité imaginée par Barthélémy Boganda.

          Humaniste, il se préoccupait du sort des Noirs sous la colonisation. Son mouvement politique, le MESAN (Mouvement d’Evolution Sociale de l’Afrique Noire) se voulait le fer de lance de l’évolution de l’homme africain, avec, pour devise, la célèbre formule : « ZO KWE ZO » (Tous les hommes sont des êtres humains). Vêtir, nourrir, soigner, instruire et bâtir étaient les piliers de son engagement. Le sort misérable réservé par les colons blancs aux Noirs, leur mépris et le racisme dont ils faisaient preuve le convainquirent d’abandonner la soutane pour la politique. Dès lors, il apparaissait comme une menace pour les intérêts des sociétés concessionnaires, prédatrices des richesses du pays. Il fallait y mettre un terme.

          Par la suite, l’ex-puissance coloniale a constamment manœuvré pour hisser au pouvoir une élite corrompue, dépourvue de tout patriotisme. Les successeurs de Barthélemy Boganda ont raté le coche du développement en pillant leur pays, en méprisant et en exploitant leur population. Ils ont tourné le dos à ses préceptes et livré la RCA aux prédateurs étrangers. L’injustice sociale, l’impunité, les multiples corruptions ont transformé la République Centrafricaine en un pays de cocagne pour certains, tandis que d’autres, trahis, ne survivaient que grâce à l’aumône internationale. Abandonnée par des gouvernements successifs uniquement préoccupés de multiplier des biens mal acquis, une grande partie de la population centrafricaine ne pouvait que végéter dans une pauvreté sans fin. En Centrafrique, les 4X4 rutilants et les villas somptueuses continuent à côtoyer les bicoques et les quartiers insalubres. La société actuelle rappelle furieusement l’époque coloniale, avec les Blancs « au-dessus » et les Noirs « en dessous », transformés en esclaves.

          Les successeurs de Boganda sont les responsables de la tragédie centrafricaine et de la descente aux enfers du pays des Bantous.

 

 

ESPOIRS  DÉÇUS

 

          Ces actes manqués ont plongé la RCA dans une terrible nuit. Des affrontements sanglants ont causé la mort d’environ 200 000 Centrafricains – sans compter ceux qui ont été jetés dans des fosses communes. Les ossuaires surgiront, malheureusement, un jour ou l’autre.     

          Les dirigeants actuels ont sombré dans des échecs abyssaux.

Pourtant, l’élection de celui qu’on n’attendait pas, Faustin-Archange Touadera, suscita dans le pays des hourras d’espoir retentissants !

          Lors de son intronisation, l’adresse du nouveau président à ses concitoyens contenait des paroles fortes : « Je suis le président des pauvres… Il faut une rupture avec un passé calamiteux…L’injustice sociale et les impunités seront clouées au pilori… Les auteurs de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité seront traduits devant la Cour pénale Spéciale de Bangui sans exception… ».

          Après tant d’années de souffrances, les Centrafricains se mirent à espérer. Touadera était, pour eux, non seulement une sorte de messie, mais aussi un président arrivé au pouvoir par les urnes et qui allait mettre fin aux gabegies et aux mauvaises gouvernances.

          Hélas ! Il s’est vite retrouvé entouré par une pléthore d’aigrefins (des « mbi gui kobè ti té »), des agents des criminels de l’ex- Séléka infiltrés dans un gouvernement dirigé par un Premier ministre immobile, ami de trente ans du Président Touadera et dont beaucoup de Centrafricains demandent la démission.

          Depuis deux ans, les deux gouvernements Sarandji ont montré leur incapacité à diriger un pays plongé dans une crise gravissime et à résoudre l’épineux problème de l’insécurité, qui gangrène l’économie. Les soupçons de despotisme ont d’ailleurs surgi dès la composition du premier gouvernement Sarandji. On a pu alors constater que les nominations soulevaient quelques interrogations : le Premier ministre était un ami de trente ans du président Touadera, les membres du gouvernement et les conseillers à la présidence de la République étaient des proches. On peut s’interroger légitimement sur les critères qui ont été retenus pour leur nomination.

          L’incompétence et le manque d’autorité de l’exécutif face aux bandes armées, les querelles inutiles entre le président de la République et celui de l’Assemblée Nationale, qui perdurent en sourdine, ont lourdement handicapé la lutte contre les rebelles. Un pays en guerre, dont environ 60% de son territoire sont occupés par des mercenaires, ne peut pas se permettre des bisbilles entre l’exécutif et le législatif. Quant aux propositions du peuple retenues au Forum de Bangui, elles ont bel et bien disparu dans les poubelles de l’histoire.

 

          Après deux ans de pouvoir de Touadera, seule la capitale Bangui donne l’illusion d’une certaine stabilité. Le reste du pays est constamment violenté par les bandes armées. La RCA est au bord du gouffre, les donateurs de Bruxelles hésitent à concrétiser leurs promesses d’aides pour la  reconstruction. Et force est de constater que les mauvaises habitudes du passé persistent. Bangui bruit de rumeurs d’accaparement des fonds publics par certains ministres et par l’entourage du Président. Les favoritismes claniques, le régionalisme et le despotisme continuent à hanter les ministères et le Palais de la Renaissance.

 

 

DES  PRÉCEPTES  A  SUIVRE : CEUX DE BARTHÉLEMY BOGANDA

 

          Monsieur le Président, l’immense espoir que vous avez soulevé dans le pays dès votre élection, est en train de fondre au soleil de Bangui. Les Centrafricains sont déçus, ils attendent de votre part des actions fortes pour redresser le pays. Pour cela, il faut que vous reveniez d’urgence aux préceptes de Barthélémy Boganda et agissiez avec courage face aux rebelles que les Centrafricains souhaitent châtier pour leurs crimes abominables.  

          Lors de la cérémonie qui célébrait votre arrivée au pouvoir, vous aviez déclaré rejeter toute option guerrière. Soit ! Cette recherche de la paix et de la réconciliation nationale vous honore.

          Mais, depuis deux ans que vous tendez inlassablement la main aux exSélékas pour un dialogue fraternel, vous avez pu constater qu’ils n’ont pas cessé de rejeter votre proposition avec dédain. L’émir du sultanat de N’Délé, le sanguinaire Nourredine Adam, vous a insulté. Un autre chef rebelle, Mahamat Alkhatim, a instauré la charia dans son califat de Kaga-Bandoro. Ils ne reconnaissent même pas la légitimité que les urnes vous ont attribuée.

          Il est à craindre que seul, le langage de la force les fera plier. Car que veulent-ils ? A n’en pas douter, le pouvoir, tout le pouvoir. Si possible par la force. Ils n’hésiteront pas à vous éliminer. C’est pourquoi il ne faut plus croire à leur volonté de paix. C’est du bluff.  Il faut, au contraire, les affronter. Les FACAS sont désormais formées et prêtes à libérer leur pays. Les Centrafricains attendent de vous une gouvernance courageuse qui, prenant comme bible les préceptes de Barthélémy Boganda, sera la seule à pouvoir sauver leur pays de l’enfer.

 

                                                                                        

JOSEPH AKOUISSONNE DE KITIKI

 

(6 avril 2018)

 

 

 

 

Monsieur Joseph Akouissonne de Kitiki, l’auteur de l’article. Photo archive du CNC.
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