CENTRAFRIQUE : DEBY, L’ÉTRANGLEUR DE LA RCA.
Bangui, le 20 mars 2018.
Par : Joseph Akouissonne de Kitiki, CNC.
L’ACHARNEMENT
Comme si cela ne suffisait pas d’avoir contribué à une déstabilisation dramatique de la République Centrafricaine, comme si cela ne suffisait pas d’avoir aidé certains présidents centrafricains corrompus à s’emparer du pouvoir, comme si le comportement criminel de ses soldats en Centrafrique ne suffisait pas. Deby s’acharne à nouveau sur le pays des Bantous.
Il s’attaque violemment à son économie déjà à l’agonie. C’est à une agression sans précédent qu’il s’est livré au cours d‘une réunion à Malabo en Guinée Équatorial : en tant que président de la Communauté Economique et Monétaire des États l’Afrique Centrale (CEMAC), il a décidé d’en délocaliser le siège de Bangui à Malabo.
De quoi s’agit-il sinon d’un étouffement en règle de l’économie déjà chancelante de la RCA ? Comment se fait-il que les autres chefs d’Etat consultés n’aient pas émis de réserves ? Le drame centrafricain les concerne aussi. Délocaliser le siège de la CEMAC isole davantage encore la Centrafrique et bouscule son économie plongée dans un coma avancé. Le pays a besoin d’avoir des liens de solidarité forte avec les autres Etats de l’Afrique Centrale, alors qu’il est envahi par des rebelles et des mercenaires étrangers qui menacent son existence. La proposition de délocalisation du président Deby s’apparente à une provocation pour tous les Centrafricains et à un véritable non-sens économique.
Les autorités centrafricaines doivent s’opposer vigoureusement à cette proposition indigne. Abriter le siège de la CEMAC permettait jusqu’à présent d’injecter environ 800 millions de FCFA dans l’économie centrafricaine et emploie une centaine de personnes. C’est un outil de développement pour les pays de l’Afrique centrale et un facteur de solidarité. Délocaliser son siège de Bangui à Malabo, c’est comme exclure la RCA de la Communauté. Pour justifier sa décision, Idriss Deby avance l’argument de l’insécurité et de l’instabilité du pays. Or, c’est justement le moment où la coopération avec la Centrafrique devrait être sans faille que l’on choisit de ne pas assumer ses devoirs de solidarité. Pourquoi Malabo ? Est-ce pour punir le président Touadera soupçonné d’avoir couvert la tentative de coup d’État manqué contre Teodoro Obiang ?
Toutes ces gesticulations risquent de handicaper la solidarité entre les États de la CEMAC, et aggraver le chaos centrafricain. Il ne faut pas accepter cette délocalisation, qui porterait un préjudice majeur à la République Centrafricaine.
LA CENTRAFRIQUE DOIT-ELLE SE RETIRER DE LA CEMAC ET DE LA ZONE DU FRANC CFA ?
Dans le texte fondateur de la CEMAC, chaque décision doit être le résultat d’un consensus entre les États membres. On ne peut pas imaginer qu’Idriss Déby Itno, président en exercice de la CEMAC, ait pris la décision de délocaliser le siège de la Commission sans consulter tous les autres chefs d’État, c’est-à-dire tous ses pairs, y compris le président Touadera. Si ce n’est pas le cas, Touadera doit é protester. Évoquer l’insécurité et l’instabilité pour justifier cette délocalisation ne tient pas debout : la capitale Bangui est justement la seule ville de Centrafrique où règne un semblant de calme, grâce à la présence massive de la Minusca et des forces internationales, qui lui confère une certaine stabilité.
Qui se cache derrière ce qui ressemble fort à une manipulation ? Le président Touadera est-il en sursis ? Faut-il qu’il retire son pays de la CEMAC et, dans le même temps, de la zone du franc CFA ?
RAPPORTS TENDUS ENTRE LES PRÉSIDENTS TOUADERA ET MACRON
Tout se passe comme si la France avait décidé de changer de personnel politique en Centrafrique. Nous apprenons, en effet, que le président français, Emmanuel Macron, a refusé, sèchement, de recevoir le président de la République Centrafricaine, Faustin-Archange Touadera, qui lui avait demandé audience. La France reproche à la Centrafrique d’avoir signé un contrat minier avec un oligarque russe en contrepartie de la livraison d’armes, ainsi qu’un autre contrat de coopération militaire avec les Chinois et, surtout, d’avoir fait appel à des mercenaires russes. Le pays est-il en train de privilégier une coopération avec la Chine et l’Union Soviétique ? Et rallumer ainsi la guerre froide ?
Est-ce le crépuscule des dieux pour le président Touadera ? Entre autres reproches, le président français pointe du doigt l’incompétence du Gouvernement et demande le limogeage du premier Ministre Sarandji. La Françafrique a décidément la peau dure. Mais il serait regrettable de laisser ces rumeurs ou pas, empoisonner les relations amicales franco-centrafricaines, qui, on le sait, ne datent pas d’hier. C’est la sérénité qui doit présider aux relations entre les présidents français et centrafricain. Se reprocher des choses d’accord. Mais se voir pour en parler, c’est mieux.
- AKOUISSONNE DE KITIKI et LOHAWE à Bangui
(19 mars 2018)