CENTRAFRIQUE : LAÏCITÉ, TOUADERA VIOLE-T-IL LA CONSTITUTION ?
Bangui, le 13 novembre 2017.
Par : Joseph Akouissonne, CNC.
DES SIGNES METTENT EN CAUSE LE PRINCIPE DE LAÏCITÉ
Le 7 novembre, s’est tenue à Bangui une conférence internationale d’une journée. Son but, formulé dans son intitulé : rechercher la paix et la réconciliation nationale.
Tous les Centrafricains de bonne volonté n’ont pu qu’applaudir à cette initiative. Enfin ! La communauté internationale allait se préoccuper, avec sérieux, du sort d’un pays meurtri, d’une Centrafrique en voie de dislocation au milieu de l’indifférence générale.
Mais quelle appellation a-t-on choisie pour cette rencontre ?
« Petit déjeuner de prière…»
Est-ce que tout républicain, soucieux de la séparation de l’Eglise et de l’Etat, n’a pas été forcé de réagir ? Ne serions-nous plus dans une « République, Laïque et Démocratique » comme il est écrit dans la Constitution ?
Dans le chaos sanglant et la menace grave de dislocation qui sévit en RCA, organiser une rencontre de recherche de la paix (SIRIRI) et de la réconciliation sous la dénomination : « Petit Déjeuner de Prière », n’a pas de sens pour une République Laïque.
Bien entendu, la laïcité garantit la liberté confessionnelle à tous. Mais les lieux où on doit parler de Dieu et de prière sont bien identifiés. Ce sont des églises, des mosquées ou autres lieux de cultes. Pour éviter les confusions et autres violations de la Constitution, le caractère privé et personnel de la religion doit être observé à tout instant. Mélanger République laïque et religion ne peut que se révéler néfaste pour la cohésion sociale du pays. La religion, répétons-le, est une affaire strictement privée, pratiquée dans un cadre privé.
Il va de soi que toutes les confessions, dans une République laïque, sont protégées par la Constitution, dont le président de la République est le gardien. A ce titre, il doit veiller, avec rigueur, à la séparation des sphères confessionnelle et publique. La piété du président Faustin-Archange Touadera est connue. Rien ne s’oppose à ce qu’il vive pleinement sa foi. Mais uniquement dans le cadre privé de son temple. Sa fonction doit être dénuée de toute allusion à la religion.
LE DANGER D’UNE RELIGION INSTRUMENTALISÉE
Beaucoup de responsables centrafricains – le président en tête – terminent souvent leur adresse à la population par : « Que Dieu bénisse et protège la République Centrafricaine ! » Oublient-ils que nous sommes dans une République laïque ?
D’habiles manipulateurs sont allés plus loin, n’hésitant pas à instrumentaliser la religion. On sait que les origines du chaos centrafricain sont les mauvaises gouvernances successives, qui ont plongé le pays dans une injustice sociale et des inégalités chroniques : régions abandonnées, impunités dont ont bénéficié les prédateurs qui venaient piller les deniers publics, prévarications de toutes sortes qui ont miné l’essor du pays…
Or, ces manipulateurs ont cherché, par tous les moyens, à transformer des revendications politico-sociales en affrontements confessionnels. Jusqu’alors, les Centrafricains vivaient en harmonie et dans la fraternité. Depuis, on ne parle que de catholiques et de musulmans, qui ne veulent plus vivre ensemble et s’affrontent dans de terribles guerres, dites « guerres de religion ».
C’est le moment ou jamais d’affirmer et de respecter le caractère laïque de la République Centrafricaine. Ce ne sont pas les « petits déjeuners de prière » qui arrêteront les viols et les massacres. Il faut se garder de mêler Dieu à toutes les sauces et de vouloir faire croire aux Centrafricains qu’il va les sauver.
Les solutions à leurs problèmes viendront, en premier lieu, de leurs dirigeants et d’eux-mêmes. Seules, la justice sociale et la fraternité leur permettront de stabiliser leur pays et de le développer, dans la paix et la sérénité.
Les politiciens doivent prendre garde à ne pas instrumentaliser la religion pour manipuler les gens. Quand le peuple centrafricain va à la messe le dimanche c’est pour prier, pour rechercher une certaine spiritualité dans un cadre privé. Ce n’est pas pour faire de la politique.
Barthélemy Boganda, père fondateur de la RCA, qui était homme d’Église, a pourtant rarement utilisé la formule : « Que Dieu bénisse la République Centrafricaine ! » Il était prêtre, mais croyait que l’évolution sociale du Centrafricain dépendait avant tout de son propre combat.
Les Centrafricains souhaitent, bien sûr, que la communauté internationale se préoccupe de leur pays en déroute et accueilleraient avec soulagement une « Conférence internationale pour la paix en République Centrafricaine ». Mais ils doivent aussi compter sur eux-mêmes, cherchant, inlassablement, quelles que soient leurs croyances, l’unité et la fraternité.
JOSEPH AKOUISSONNE
(11 novembre 2017)