Suite et fin…
En Janvier 2004, un mandat d’arrêt international est émis par le tribunal militaire de Bangui à l’encontre de Jean-Jacques Demafouth pour « assassinat et complicité d’assassinat » du lieutenant Antoine Bodot, du maréchal de logis chef Apollinaire Hondet, du commandant de la brigade de gendarmerie de Kembé ainsi que trois autres personnes dans la nuit du 18 au 19 novembre 1999. Pour ce motif, le 30 décembre 2004, la Cour Constitutionnelle invalide sa candidature à l’élection présidentielle prévue début 2005. Le 22 janvier 2005, la médiation du Président gabonais Omar Bongo aboutit à la signature de l’accord de Libreville qui acte finalement la validation de sa candidature. Cependant, Bozizé précise bien à Libreville qu’il ne pourra pas intervenir dans la procédure judiciaire qui reste ouverte contre Demafouth qui délègue l’action de terrain à son directeur de campagne Joseph Agbo. Demafouth recueille finalement 1,27% des suffrages sans avoir mené campagne sur le terrain…
Le 28 mars 2008, l’état-major du groupe armé Armée populaire pour la restauration de la démocratie (APRD) désigne Demafouth comme président de ce mouvement qui sévit alors dans le nord-ouest de la Centrafrique. Le 7 Mai 2008, Demafouth rencontre Omar Bongo pour baliser le bon déroulement du dialogue politique inclusif que le président Bozizé entreprendra prochainement avec l’opposition et les troupes rebelles en vue d’un rétablissement de la paix en RCA. Un « accord de cessez-le-feu et de paix » est signé le 8 Mai à Libreville entre l’APRD et le gouvernement. Le texte prévoie « l’adoption d’une loi d’amnistie générale » et « l’abandon de toutes les poursuites judiciaires en cours ». Le 21 Juin 2008, le gouvernement signe à Libreville avec l’APRD un « accord de paix global » qui prévoit notamment une amnistie pour tous les combattants ainsi que les responsables civils et le cantonnement des soldats rebelles qui doivent intégrer un programme de Démobilisation, de Désarmement et de Réinsertion (DDR) et participer au « Dialogue Politique Inclusif » (DPI).
En Août 2008, Demafouth crée le parti politique Nouvelle alliance pour le progrès (NAP) afin d’être candidat aux élections de 2010. Son ami de longue date Bienvenu Dotocko est un cadre de ce parti politique qui est officiellement reconnu par le Ministère de l’Intérieur.
En Octobre 2008, Bozizé promulgue la loi d’amnistie générale des personnalités, militaires et responsables civils des groupes rebelles, après que celle-ci ait été adoptée par le parlement centrafricain. Cette loi d’amnistie notifie l’arrêt des poursuites engagées pour atteinte à la sûreté de l’Etat et à la défense nationale ainsi que des infractions connexes, contre les responsables et les membres des groupes politico-militaires se trouvant sur le territoire national ou en exil. Le texte concerne notamment Jean Jacques Demafouth ainsi que les co-auteurs et complices pour détournement des deniers publics, assassinat et complicité d’assassinat.
Le 4 décembre 2008, Demafouth affirme à Libreville que son « premier acte sera de demander pardon au peuple centrafricain » lorsqu’il reviendra au pays mettant fin à six ans d’exil en France pour prendre part au DPI. Le DPI a lieu entre le 8 et le 20 décembre 2008 à l’Assemblée Nationale à Bangui, en présence de Bozizé et de Bongo rassemblant des acteurs de l’opposition politique, armée et de la société civile. Les travaux de ce forum sont présidés par l’ancien président du Burundi, Pierre Buyoya. A l’issue des débats, la plupart des recommandations formulées par la commission ont été adoptées par consensus, prévoyant notamment que l’organisation des prochaines élections générales, prévues pour 2010. Alors que les représentants des associations de victimes des évènements de 2001-2002, à l’instar de la ministre Bernadette Sayo et du président de la Ligue centrafricaine des droits de l’homme, Goungaye Wanfiyo sont écartés des débats, il est demandé la création d’une Commission vérité et réconciliation pour permettre « un pardon définitif » après des années de conflits et exactions… Le DPI se clôture par une accolade publique entre Patassé et Bozizé qui s’engage à former un gouvernement de large ouverture.
Le 30 janvier 2009, la Conférence des Chefs d’Etats de la CEMAC réunie à Libreville annonce accorder une « assistance financière de 8 milliards de FCFA pour aider la réalisation des opérations de DDR ». Le 13 août 2009, Bozizé lance officiellement le programme de DDR des ex-combattants dans le cadre d’une cérémonie de fête nationale célébrée pour l’occasion à Paoua aux côtés de Demafouth « Vice-président du comité de pilotage du programme de programme des anciennes rébellions. Le 21 décembre 2009, le Conseil de Sécurité de l’ONU demande au Gouvernement de la République centrafricaine de faire en sorte que le processus de désarmement soit achevé avant les prochaines élections. Le 18 février, lors d’une visite à Paoua, Bozizé s’en prend publiquement à Demafouth ainsi qu’à son ministre d’Etat Cyriaque Gonda, chargé de la communication et réconciliation, qui ont tous deux, la charge du pilotage du programme DDR. Bozizé pose la question de savoir ce qu’ils ont bien fait avec tout l’argent qu’il leur a précédemment remis pour payer les ex combattants. Bozizé les accuse d’avoir détourné une large partie de ces fonds pour se procurer des armes afin de le renverser du pouvoir. Il limoge finalement Cyriaque Gonda en Avril 2010.
Le 17 mai 2010, Demafouth annonce que l’APRD est dissoute.
Le Président du parti politique NAP candidat à l’élection présidentielle du 23 Janvier 2011 ne recueille finalement que 2,79 % et 31 184 voix.
Le 6 Janvier 2012, la Section Recherche et Investigation (SRI) arrête Jean-Jacques Demafouth mais aussi Herbert Gotran Djono-Ahaba et deux autres membres de l’UFDR. Tous sont accusés « d’atteinte à la sûreté intérieure de l’Etat » et incarcérés à la prison de Bossembélé. Demafouth est défendu par Me Nicolas Tiangaye et Mathias Morouba. Il sera finalement libéré en Avril 2012 après plusieurs semaines de détention.
Fin décembre 2012, Demafouth accompagne Eric Neris Massi à Paris où ils rencontrent notamment le directeur Afrique du Quai d’Orsay, Jean-Christophe Belliard.
Le 13 mars 2013, alors qu’il s’était rendu à Paoua dans le cadre du DDR, Demafouth passe la frontière tchado-centrafricaine à moto, habillé en soutane et indique à RFI qu’il a agi ainsi car il avait menacé d’arrestation par le Ministre de la Sécurité Josué Binoua. Faisant alors valoir son passeport français et demande à être rapatrié en France. Il est cependant refoulé vers la RCA le 16 mars 2013, avant d’être escorté jusqu’à Paoua puis d’être acheminé à Bangui.
Le 13 avril 2013, Michel Djotodia qui s’était autoproclamé Président après la prise de Bangui par la coalition Seleka le 24 mars est élu président de la République lors de la première session du Conseil national de transition (CNT) sous les applaudissements par acclamation, sans vote. Jean-Jacques Demafouth est alors membre du CNT en tant que représentant des partis politiques. Le 24 août 2013, Djotodia nomme Demafouth comme Ministre Conseiller à la Présidence en matière de DDR, chargé des relations avec la MISCA.
La transition de Samba-Panza permet à Demafouth de revenir en force et d’être le maillon fort de cette période d’intérim jusqu’aux élections de 2015-16. Parenté à la Présidente de transition de son côté maternel, il est nommé conseiller à la Présidence en charge de la sécurité et des relations avec les forces internationales (Sangaris, Misca). Installé dans un bureau juxtaposant celui de sa parente Samba Panza, Demafouth est l’un des rare qui peut entrer dans son bureau sans solliciter audience. Le Colonel Follot (qui fut chef de cabinet particulier de Jean-Paul Ngoupandé, Premier ministre du Gouvernement d’Union Nationale sous Patassé) est l’assistant de Demafouth. Ses proches sont promus comme par exemple Guy-Bertrand Damango, qui accède au grade de lieutenant-colonel avant d’être ensuite nommé Directeur Général de la Gendarmerie. Notons aussi les nominations dans le gouvernement de Mahamat Kamoun en Août 2014 de son ami Joseph Agbo aux Ministère des Mines et de Armel Sayo au Ministère de la Jeunesse et des Sports à Armel Sayo (dont le mouvement, Révolution et Justice, a recyclé nombre d’anciens cadres de l’APRD).
En 2014, Demafouth, Aristide Sokambi (Ministre de la défense) et le colonel Jules Kogbia (qui, en 2001, participa à une tentative de putsch contre Ange-Félix Patassé et qui a été nommé commandant de la Sécurité présidentielle) recrutent d’anciens membres des FACA qu’ils rétribuent en liquide pour combattre les poches de résistance anti-balaka à Bangui. Ces militaires sont utilisés lors d’interventions armées, et dans les heurts qui éclatent périodiquement dans plusieurs quartiers de la capitale.
En Septembre 2014, le visa américain est refusé à Demafouth alors qu’il faisait partie de la délégation qui accompagne Samba-Panza à New York où celle-ci devait prendre part à une réunion sur la RCA en marge de l’Assemblée Générale des Nations Unies.
Le 4 avril 2015, Samba-Panza signe trois décrets nommant le présidium du Forum de Bangui, les membres du Comité technique, et fixant les dates du dialogue national du 27 avril au 4 mai 2015. Le Conseil national de transition (CNT), le Parlement transitoire centrafricain, s’élève alors contre ces décisions, accusant la présidente de n’avoir consulté ni le CNT ni la Cour constitutionnelle et les critiques se cristallisent surtout sur le choix de Demafouth, comme coordinateur du comité technique. Beaucoup reprochent i à la présidente de la transition de noyauter la préparation du débat et menacent alors de boycotter le Forum. Le 13 avril, de nombreux partis politiques rencontrent les parlementaires du CNT pour exiger que la présidente revienne sur les décrets de nomination. Le lendemain, les ex-présidents Bozizé et Djotodia s’engagent par écrit en faveur du Forum de Bangui dans un document signé à Nairobi, au Kenya. Catherine Samba-Panza réunit finalement tous les acteurs le 15 avril 2015. La ministre de la Santé Marguerite Samba, personnalité consensuelle, remplace finalement Demafouth à la place du comité technique. La composition des deux comités est entièrement revue et tous les membres ont été choisis par consensus.
A la fin de l’année 2015, les violences s’amplifient à Bangui. Demafouth entretient ce climat de violence dans la capitale par les milices du Km5 et notamment via Abdoulaye Hissène espérant pouvoir prolonger un peu plus la transition, les autorités en place ne pouvant pas être candidates à ce scrutin…
Lors des élections présidentielles de 2015-2016, de nombreuses voix dénoncent l’influence de Demafouth qui supervise le travail de l’Autorité Nationale de Elections et empêche certains candidats de mener campagne en Province. Demafouth fut ainsi à la base d’un vaste système de fraude organisée par les autorités de transition et validé par l’ambassadeur de France à Bangui Charles Malinas en faveur de Faustin-Archange Touadéra. Parmi les anomalies dénoncées par ses adversaires : la distribution de bulletins de vote préremplis en faveur de Touadéra, l’existence de bureaux de vote fictifs, la modification de procès-verbaux par des responsables administratifs et le vote d’électeurs dépourvus de tout document d’identité…Ces manœuvres expliquent le surprenant score de Touadéra (loin de faire partie des favoris de ce scrutin) au premier tour et le trucage des dernières élections à la Présidence de la République Centrafricaine…
Juste avant la fin de son mandat, Samba-Panza essaye de trouver un point de chute à Demafouth comme ambassadeur de la République Centrafricaine auprès de la France mais les autorités françaises rejettent la demande d’agrément et une autre personnalité sera finalement choisie à ce poste.
Par : Emmanuel LIMBASSA