Lim-Pendé : les éleveurs transhumants sèment le chaos dans les champs des agriculteurs

Par la rédaction de Corbeau News Centrafrique, CNC.
À Lim-Pendé, les éleveurs venus d’ailleurs transforment les champs en pâturages sauvages. Dans la sous-préfecture de Kodi, les agriculteurs perdent leurs récoltes sous les sabots des bœufs, et la colère gronde face à l’inaction des autorités.
Dans la sous-préfecture de Kodi, qui relève de la préfecture de Lim-Pendé, en République centrafricaine, une tension palpable oppose les agriculteurs locaux aux éleveurs transhumants venus du Tchad et du Cameroun. À quelques kilomètres de Bocaranga et non loin de Ngaoundaye, les communes de Mann et Ndim vivent une situation alarmante. Les champs, principale source de vie pour les habitants, sont dévastés régulièrement par les troupeaux de bœufs, et la famine menace de s’installer durablement. Voici le récit d’une crise qui touche au cœur la population locale, entre désespoir, colère et impuissance.
Une agriculture en danger
Dans cette région rurale, l’agriculture est bien plus qu’une activité : c’est un mode de vie, une tradition, une nécessité. Le manioc, aliment de base pour tous les Centrafricains, est au centre de cette économie locale. Les familles cultivent leurs champs avec soin, arrachent les tubercules, les trempent dans l’eau pendant quatre jours, puis les sèchent au soleil. Une fois prêts, ces maniocs sont transformés en farine ou vendus pour subvenir aux besoins quotidiens. Mais ce cycle, essentiel à la survie des habitants, est aujourd’hui brisé.
Les agriculteurs de Mann racontent une autre réalité: des éleveurs transhumants, souvent armés et accompagnés de leurs troupeaux, envahissent leurs terres. Les bœufs piétinent les cultures et, pire encore, les éleveurs arrachent eux-mêmes les plants de manioc pour en extraire les tubercules et les donner à leurs animaux. « C’est du jamais-vu », témoigne un père de famille rencontré sur place par l’une de nos équipes. « Ils ne se contentent pas de laisser leurs bœufs brouter, ils prennent nos récoltes pour les nourrir. Que nous reste-t-il après ça ? ».
Un champ visité par notre équipe dans la localité de Mann montre l’ampleur des dégâts : des hectares de terre labourée sont réduits à néant, les plants arrachés ou écrasés, laissant derrière eux un paysage de désolation. Pour les agriculteurs, c’est un an de travail qui disparaît en une nuit. La faim guette, et la peur grandit.

Une vieille dame tuée pour avoir défendu son manioc
L’histoire d’une agricultrice âgée, assassinée il y a quelques semaines, a marqué les esprits. Cette femme, comme beaucoup d’autres, avait suivi le processus traditionnel : elle avait mis ses tubercules à sécher au soleil après les avoir trempés. En plein jour, elle a vu des éleveurs et leurs bœufs s’approcher de son champ. Elle a crié pour les arrêter, pour protéger ce qui lui restait. Mais au lieu de partir, les éleveurs l’ont attaquée. « Ils l’ont frappée à la tête, elle est morte sur le coup », raconte un habitant. Son corps a été retrouvé, exposé dans le village, avant d’être enterré.
Ce drame n’est pas une exception. Les tensions entre agriculteurs et éleveurs prennent souvent une tournure violente. Les habitants expliquent que les éleveurs locaux, ceux qui connaissent la région et ses coutumes, respectent généralement les terres cultivées. Mais ceux qui viennent du Tchad ou du Cameroun, selon eux, agissent sans retenue. « Ils ne connaissent pas nos règles, ils s’en fichent », lâche un vieux paysan. « Nous, les Booms, on n’a jamais volé leurs bœufs. On n’a pas appris à faire ça. Mais eux, ils pillent nos champs sans scrupule ».
La colère des agriculteurs
Les agriculteurs pointent du doigt un autre responsable : les autorités centrafricaines. Beaucoup estiment que l’État les abandonne à leur sort. « Ce sont eux qui laissent entrer ces troupeaux transhumants sans rien faire, accuse un cultivateur de Ndim. Ils ne contrôlent pas les frontières, ils ne protègent pas nos terres ». Selon les habitants, aucune mesure concrète n’a été prise pour limiter ces incursions ou pour punir les responsables des destructions.
Un père de famille, très en colère, raconte : « La vie, c’est comme ça. Certains voyagent en avion, d’autres à pied. Moi, je suis agriculteur, c’est mon rôle. Mais il faut qu’on nous respecte. On nourrit nos familles, on nourrit le pays grâce à nos champs. Si on nous tue, si on nous laisse mourir de faim, qui va parler pour nous ? ».
Une population désorientée
Devant cette situation, les agriculteurs se sentent seuls. Ils disent n’avoir vu ni forces de l’ordre ni aide extérieure pour les protéger. « Personne ne vient à notre secours », déplore une femme de Mann. « On crie, on pleure, mais rien ne change ». La peur de représailles les empêche souvent de se défendre. Quand ils osent protester, comme cette vieille dame, ils risquent leur vie.
Un vieux du village Ndim résume l’état d’esprit général : « On ne vole pas les bœufs des éleveurs, on n’a jamais fait ça ici. Mais eux, ils viennent, ils prennent tout, et on ne peut rien dire. Sinon, ça finit mal ». Notre équipe a tenté de rencontrer ces éleveurs pour entendre leur version, mais ils n’étaient pas présents ce jour-là. Leurs troupeaux, eux, laissent des traces bien visibles : des champs ravagés, des familles affamées, une colère qui monte.
Une menace plus large
Cette crise ne touche pas seulement Mann ou Ndim. À Ngaoundaye et dans d’autres localités de la préfecture de Lim-Pendé, les plaintes se multiplient. Les agriculteurs redoutent une famine généralisée si rien n’est fait. Le manioc, pilier de leur alimentation, disparaît sous les sabots des bœufs. Sans récoltes, pas de nourriture, pas d’argent, pas d’avenir.
Les habitants appellent à une action urgente. Ils demandent aux autorités de renforcer les contrôles aux frontières, de sanctionner les éleveurs qui détruisent leurs champs, et de protéger leurs terres. « On ne veut pas la guerre », assure un cultivateur. On veut juste vivre de notre travail. Mais si ça continue, on ne tiendra pas. »
Quand la colère explose : l’exemple de Ngaoundaye
La frustration a déjà débordé ailleurs dans la région. Il y a un mois, dans la sous-préfecture de Ngaoundaye, des jeunes, épuisés par la destruction répétée de leurs champs, ont décidé d’agir. Lassés des incursions des éleveurs transhumants, ils sont passés à l’attaque. Ils ont capturé trois éleveurs et les ont remis à la gendarmerie. Mais la réponse ne s’est pas fait attendre : furieux, les éleveurs sont revenus en masse, armés. Ils ont incendié une centaine d’habitations et des boutiques, et tué une vingtaine de personnes. Ce cycle de violence montre à quel point la situation est explosive.
Protéger les champs, pas à voler les bœufs
En attendant, la sous-préfecture de Kodi reste le lieu chaque saison sèche d’un conflit silencieux, mais dévastateur. Entre les troupeaux transhumants et les champs dévastés, c’est la survie d’une population entière qui est en jeu. À Ngaoundaye, l’attaque des jeunes contre les éleveurs et la riposte sanglante qui a suivi rappellent que la patience a des limites. Pourtant, comme le répètent les habitants, « ce n’est pas le vol des bœufs qui nous intéresse, c’est nos champs ». Ils ne cherchent pas la vengeance, mais un moyen de protéger ce qui leur permet de vivre. Sans intervention rapide des autorités pour encadrer la transhumance et sécuriser les terres agricoles, la famine et la violence risquent de s’étendre bien au-delà de Lim-Pendé. La question demeure : qui écoutera ces cris avant qu’il ne soit trop tard ?
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