Député de Bocaranga III et président en exercice du Mouvement de Libération du Peuple Centrafricain (MLPC), Martin Ziguélé ne retient plus sa langue face à la montée de l’insécurité dans le Nord-ouest du pays. Si le ministre de la communication, porte-parole du gouvernement considère qu’il attise le feu, Ziguélé estime quant à lui, que son combat s’inscrit dans le cadre du retour de la paix et de la sécurité. Dans cette interview avec nous, l’opposant centrafricain aborde le chapitre sécurité, le dialogue à venir ainsi que les élections locales en vue.
L’Hirondelle (LHRD) : Depuis quelques temps, le MLPC est en ligne de mire face à la montée de l’insécurité dans le Nord-ouest de Centrafrique, au moment où nous parlons, quelle est la situation exacte de cette partie du pays ?
Martin Ziguélé (MZ) : Je voudrais profiter de votre micro pour rappeler que j’avais pris part, personnellement, en tant que député et en tant que président du MLPC aux pourparlers de Khartoum. Même si nous n’avions pas été impliqués directement dans les débats, pour nous, il s’agissait d’encourager la dynamique afin de ramener la paix pour nos populations. Cependant, au moment où l’accord conclu à Bangui commençait à présenter des signes évidents de faiblesse, nous n’avons cessé de dénoncer la duplicité des groupes armés et de demander leur cantonnement. Parce que, ce que nous cherchons, c’est le désarmement des combattants et le rapatriement des combattants non-centrafricains. Malheureusement qu’à l’époque, nous avons en face de nous les groupes armés qui étaient mal à l’aise face à nos dénonciations, et de l’autre coté, une frange du gouvernement de l’époque qui nous qualifiait de « dérangeur ». Aujourd’hui, nous constatons que par vocation tardive, la posture que nous avions affichée vis-à-vis des groupes armés est en train d’être adoptée par ceux qui nous critiquaient. Par ailleurs, face à la détermination du gouvernement à réduire la force de nuisance des rebelles, nous ne pouvons que nous réjouir de ce que plusieurs villes du pays ont été libérées. Toutefois, on constate que les rebelles ont quitté les villes pour tenir les contrées. Les paramilitaires russes se livrent à toutes sortes d’exactions sur les populations, ce qui est bien décrié par les ONG, les experts de l’ONU, nos électeurs sur place ainsi que les médias. Les populations dans nos provinces vivent quasiment comme des prisonnières. Nous en avons des exemples à Mann, Loura, Bozoum, Bouar, Bossemptélé où les russes viennent sans sommation, casser des maisons, piller des motos en état d’ébriété. Les populations du nord- ouest sont prises en étau d’un coté par les paramilitaires russes, de l’autre coté, par les rebelles des 3R.
LHRD : Mais, suite à vos déclarations, le ministre de la communication, porte-parole du gouvernement avait qualifié vos propos d’allégations mensongères, il a même dit vouloir intenter des actions en justice contre vous. Qu’en dites-vous ?
MZ : Je n’ai pas été le seul à dénoncer ce que les populations du Nord- ouest endurent en ce moment. Le préfet de Bocaranga avait été appelé par un des vos confrères de Bangui FM ou de Ndèkè Luka, il a encore apporté plus de précision par rapport à ce qui est dit. J’invite le porte- parole du gouvernement à faire comme il l’avait fait pour Bossangoa, prendre un avion, se rendre sur le terrain, afin de s’enquérir de la situation qui prévaut. S’agissant des menaces et d’actions au niveau de la justice, j’en suis habitué, mais, ce n’est pas ce qui va nous empêcher de dénoncer la prise en étau des populations par les russes et les mercenaires des 3R ; ces populations sans défense dans l’ultime désir est de recouvrer la sécurité.
LHRD : En rapport à la situation qui prévaut dans le nord-ouest du pays, l’ambassade des Etats-Unis en Centrafrique a pondu un communiqué dans lequel, elle demande l’ouverture immédiate d’une enquête complète, est-ce que cela traduit la lassitude des partenaires internationaux face aux commissions d’enquêtes dont les conclusions ne pas connues à ce jour ?
MZ : Il est dans l’intérêt du gouvernement d’user de tous les moyens d’Etat afin d’enquêter sur tout ce qui passe. Je pense qu’il y a le ministère de l’intérieur, de la justice, il y a nos services de renseignements, il y a les représentants des collectivités territoriales, l’Etat peut passer par ces canaux pour avoir toute la vérité. Nous avons été à une certaine époque aux affaires, nous connaissons les faiblesses structurelles du pays, le gouvernement doit tout faire pour documenter très rapidement ces exactions, de tirer des conclusions pour que justice soit rendue. Il en va de soi avec l’intérêt de la paix et de la stabilité durable.
LHRD : Au moment où le pays se prépare au dialogue dit républicain, une nouvelle initiative de la communauté de Sant Egidio à la laquelle vous serez partie prenante a vu jour. Il s’agit d’une rencontre entre acteurs politiques et leaders de la société civile, n’est-ce pas une initiative de trop ?
MZ : On ne peut pas dire qu’on fait beaucoup de dialogue, et les dialogues d’avant ont échoué. Non, je ne suis pas de cet avis. J’estime par contre que si les dialogues passés ont échoué, c’est parce qu’il n’y a pas eu assez de préparation en amont. Or, lors des négociations qui ont abouti à la signature de l’APPR/RCA, il y avait eu beaucoup de préparation en amont avec les parties prenantes, cela visait à conduire au consensus ou à ce qui devait l’être. Nous nous préparons actuellement pour le dialogue dit républicain, vous êtes sans ignorer qu’il y a beaucoup d’objectifs selon divers courants de pensée, c’est de tout cela qu’il faut des discussions en amont, afin d’harmoniser les vues bien avant la tenue de cette conférence nationale.
LHRD : Il y a quelques jours, le Chef de l’Etat a pris part au minisommet de la CIRGL. Les conclusions de ce conclave ont appelé à la poursuite du dialogue avec les groupes armés, un état de fait qui semble ne pas arranger le porte-parole de la présidence, pour vous en tant que politique, quel regard portez-vous sur cette recommandation des Chefs d’Etat de la sous-région ?
MZ : Vous savez, il y a des fois où je me demande si c’est moi qui ne comprends pas les choses ou ce sont les autres qui font exprès. Il vous souviendra qu’il y a deux ans, le gouvernement avait fait savoir que sa première priorité était la sécurité, et qu’il fallait dialoguer avec les rebelles. Une vision à laquelle notre parti a adhéré. Mais, c’est tout aussi curieux de savoir qu’aujourd’hui, les gens viennent à dire qu’il ne faudrait plus avoir ce cadre de dialogue. Nous estimons pour notre part que face à la situation que traverse notre pays, tant il faut frapper les rebelles, il faut de l’autre coté ouvrir des discussions à ceux qui se montrent disposés à déposer les armes et à faire la paix.
LHRD : Le pays se dirige pour le moment vers les élections locales. D’un coté, les partis politiques sont moins enthousiastes, de l’autre, l’ANE n’a pas encore tiré les meilleures leçons du dernier processus électoral, cela vous inquiète-t-il ?
MZ : J’attendais justement l’ouverture de la session parlementaire pour poser cette question au gouvernement. Comment se fait-il qu’après les dernières élections, l’ANE a tenu une réunion bipartite avec le gouvernement sans avoir à élargir la discussion avec les partis politiques, les représentants de la société civile et les observateurs électoraux. Jusque-là, je n’ai pas compris cette démarche ! J’en appelle à la responsabilité de l’Autorité Nationale des Elections de convoquer une rencontre tripartite, ANE, gouvernement et observateurs indépendants afin que l’on fasse les états généraux du dernier processus.
Propos recueillis par Ben Wilson