Les Miliciens Azandés : De Héros Locaux à Prisonniers de l’Ombre Russe

0
5

Les Miliciens Azandés : De Héros Locaux à Prisonniers de l’Ombre Russe

 

Les Miliciens Azandés : De Héros Locaux à Prisonniers de l’Ombre Russe
Miliciens de la milice Azandé prenant une pause avec un instructeur du groupe Wagner, assis sur un véhicule blindé

 

Par la rédaction de Corbeau News Centrafrique, CNC.

 Une crise couve depuis des mois la préfecture du Haut-Mbomou, mêlant espoirs déçus, violences incontrôlées et jeux de pouvoir occultes. Au cœur de cette tourmente : les jeunes de la communauté Azandé Ani Kpi Gbé, originaires de villes comme Obo, Mboki, Zémio ou Rafaï. Ces garçons, partis défendre leurs villages contre les abus des rebelles de l’UPC, se retrouvent aujourd’hui pris dans une spirale répressive qui dépasse leur compréhension – et celle de leurs familles. Dix d’entre eux croupissent depuis le 24 janvier 2025 à la Section de Recherche et d’Investigation (SRI) de la gendarmerie à Bangui, tandis que deux autres, Bakoyoko Célestin et Ngoéngué Elie, ont mystérieusement disparu après avoir été récupérés par des mercenaires russes du groupe Wagner. Comment en est-on arrivé là ? Retour sur une histoire qui explique les paradoxes tragiques d’un pays sous influence des mercenaires.

 

Une genèse dans le chaos

 

En effet, tout a commencé dans les villages du Haut- Mbomou, une région oubliée où l’État centrafricain brille par son absence. Depuis des années, les rebelles de l’Union pour la paix en Centrafrique (UPC), un groupe armé issu de l’ex-Séléka, sèment la terreur : racket, assassinats, incendies de maisons. Face à ce fléau, un groupe de jeunes Azandés décide de ne plus subir. Discrètement, ils quittent leurs terres pour le Soudan du Sud voisin. Là-bas, ils trouvent des appuis – des miliciens Sud-Soudanais qui leur apprennent le maniement des armes et leur insufflent une détermination nouvelle. À leur retour, ils se baptisent « miliciens d’autodéfense Azandé  » et jurent de protéger leurs communautés des exactions des rebelles de l’UPC.

 

Au départ, l’initiative est saluée. Dans des villes comme Obo ou Mboki, ces jeunes parviennent à tenir tête aux rebelles de l’UPC, même s’ils ne réussissent pas à les déloger complètement. Les affrontements sont rudes, mais les Azandés tiennent bon, portés par le soutien de leurs familles et de leurs villages. « Ils ont agi là où l’État a échoué », dira plus tard un habitant de Zémio, sous couvert d’anonymat. Pourtant, ce fragile équilibre va bientôt voler en éclats.

D’après Victor Bissekoin, gouverneur de Haut-Oubangui, les Wagner ti Azandé continuent de semer la terreur dans le Haut-Mbomou
nouvel ecusson Wagner ti Azande produit par les mercenaires russes

 

L’entrée en scène de Wagner

 

En avril 2024, un nouvel acteur entre dans la danse : les mercenaires russes du groupe Wagner, omniprésents en RCA depuis 2018. Voyant dans ces miliciens un potentiel, les Russes décident de les prendre sous leur aile. « Ces jeunes veulent défendre leur territoire, formons-les », auraient-ils argué, selon une source locale. Par vagues de centaines, les Azandés sont entraînés, équipés d’armes modernes et déployés aux côtés des mercenaires pour reprendre les villes aux mains de l’UPC. Mboki, Rafaï, Zémio, Djéma : une à une, les localités tombent. Face à la puissance de feu russo-azandée, les rebelles battent en retraite, se repliant dans les forêts.

 

Pour les villageois, c’est une victoire inespérée. Les maires, sous-préfets et députés locaux, comme le député Bessiguié, encensent ces jeunes héros. Mais l’euphorie est de courte durée. Une fois le contrôle assuré, les miliciens, grisés par leur nouveau pouvoir, changent de visage. Ils se mettent à harceler la population, ciblant particulièrement les musulmans : les commerçants, les éleveurs, les imams etc.. « Ils rackettaient, intimidaient, tuaient», confie un habitant de Mboki. Le communiqué de presse rédigé par le député Bessiguié lui-même reconnaît que « plus d’une vingtaine de personnes ont été exécutées » par ces jeunes, ternissant leur image de protecteurs.

Haut-Mbomou : une épuration ethnique se déroule sous les yeux complices des autorités
Les miliciens Azandé à Zémio

 

La rupture avec les Russes

 

Ce dérapage n’échappe pas à Wagner. Les mercenaires, qui misent sur une stabilité minimale pour asseoir leur emprise sur les ressources et soutenir le gouvernement de Faustin-Archange Touadéra, commencent à voir ces miliciens comme un problème. Des tensions éclatent. Dans plusieurs localités, des discussions opposent les Azandés aux Russes, au point que ces miliciens ne veulent plus travailler avec leurs maîtres du groupe Wagner. Dans la forêt de Bocaranga, les russes ont tué un milicien Azandé lors d’une opération, et le corps de la victimes avait été retrouvé par les villageois. Même sur le chantier minier à Bozoum, ces miliciens avaient accompagné les russes dans leur opération contre les rebelles de 3R. Mais deux jours plus tard, une mésentente entre eux avec les Wagner les avait poussé à se retirer  vers Bossangoa et laisser les russes seuls sur le chantier minier.

 

« Les jeunes ne comprenaient pas qu’ici en République centrafricaine, c’est Wagner qui donne des ordres  aux autorités, c’est-à-dire que c’est Wagner qui commande  », explique un observateur centrafricain. « Ils pensaient être autonomes, mais pour les Russes, ils n’étaient que des pions ».

 

C’est dans ce contexte sans doute que dix miliciens Azandés sont arrêtés fin janvier 2025 sur ordre des mercenaires russes. Certains, comme Bakoyoko Célestin et Ngoéngué Elie, étaient à Bangui pour des démarches administratives, loin des événements incriminés. Pourtant, sous un prétexte fallacieux – une soi-disant réunion –, ils sont piégés et transférés à la SRI. Le député Bissengué , dans son communiqué publié la semaine dernière, dénonce une « un enlèvement organisé par Wagner ». Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Une nuit, des éléments de Wagner débarquent à la SRI, emportent Bakoyoko et Ngoéngué sous les yeux du commandant, qui se contente de noter l’incident dans son registre. Depuis, les deux jeunes sont introuvables.

 

Une colère impuissante dans le Haut-Mbomou

 

À Bangui comme dans le Haut – Mbomou, la nouvelle fait l’effet d’une bombe. Les familles des détenus manifestent dans les rues, de Obo à Rafaï en passant par Mboki et Zemio, réclamant la libération de leurs fils. Les maires, sous-préfets et députés locaux, dont Bessiguié, montent au créneau. « Nous exigeons des explications sur le sort de Bakoyoko Célestin et Ngoéngué Elie », tonne le député dans son texte. Il accuse le gouvernement – le président Touadéra, le ministre de la Défense Claude Rameaux-Bireau et le chef d’état-major Zéphyrin Mamadou – de complicité avec Wagner, et appelle la communauté internationale à réagir.

 

Mais cette colère cache une méprise, ou peut-être une vérité que personne n’ose nommer à voix haute. Car en RCA, tout le monde sait que Touadéra et ses ministres n’ont qu’un pouvoir symbolique. « Ce sont les Russes qui commandent », confesse un habitant de Bangui, amer. Wagner agit en maître, transformant la SRI en « enclos à bétail », selon les mots du député Bessiguié, où ils puisent à leur guise sans rendre de comptes. Les gendarmes assistent, impuissants ; le procureur de Bangui ignore les appels des élus ; et les manifestations, aussi bruyantes soient-elles, ne pèsent rien face à la volonté des mercenaires.

 

Un pays sous tutelle de Moscou

 

Pourquoi ces jeunes ne sont-ils pas libérés ? La réponse est claire : sans l’accord de Wagner, personne ne le peut. « Les Russes ne comprennent pas leur français, leurs cris, leurs plaintes », ironise un témoin. « S’ils ne disent pas ‘OK’, c’est fini. » Touadéra, Bireau, Mamadou : tous sont relégués au rang de figurants dans un théâtre dirigé depuis Moscou – ou, comme certains le murmurent, par Vladimir Poutine lui-même.

 

La communauté nationale et internationale, via la MINUSCA ou la Ligue centrafricaine des droits de l’homme, s’indigne, mais ses protestations restent lettre morte. Pendant ce temps, les miliciens Azandés, hier encensés comme des sauveurs, paient le prix d’un jeu qui les dépasse. Leurs exactions ont sali leur cause, mais leur sort actuel – emprisonnés ou disparus – révèle une vérité plus sombre : en RCA, la défense de son peuple peut mener à une geôle contrôlée par une puissance étrangère.

 

Le député Bessiguié conclut son communiqué en interpellant : « Nous engageons la responsabilité du gouvernement et alertons la communauté nationale et internationale ». Pourtant, entre les lignes, on devine son désarroi. Car face à Wagner, ni les mots ni les marches ne suffisent. Pour les Azandés Ani Kpi Gbé, il ne reste qu’à espérer un miracle – ou, peut-être, une intervention divine.

 

CONTACTER CORBEAU NEWS CENTRAFRIQUE

Corbeaunews Centrafrique

Tel/ WhatsApp : +236 75 72 18 21

Email: corbeaunewscentrafrique@gmail.com

Rejoignez notre communauté

Chaine officielle du CNC

Invitation à suivre la chaine du CNC

CNC Groupe 3

CNC groupe 4

CNC groupe le Soleil

Note : les deux premiers groupes sont réservés  uniquement aux publications officielles du CNC